Revenge
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- Rétroprojection par Yoan Orszulik le 1 octobre 2014
Remise à plat
Revenge est peut-être l’œuvre la moins connue de Tony Scott, tombée rapidement dans l’oubli lors de sa sortie en salles en 1990 en dépit de son prestigieux casting, et qui pourtant aller définir le style emblématique du réalisateur de Man On Fire.
En 1979 l’auteur Jim Harrison, surtout connu en France pour l’adaptation de Légendes D’Automne par Edward Zwick, publie la nouvelle Revenge dans le magazine Esquire. Jack Nicholson, grand ami de l’écrivain, souhaite porter cette histoire au cinéma et s’attribuer le rôle du propriétaire Tiburon "Tiddy" Mendez, mais le projet n’aboutit pas. Walter Hill, Jonathan Demme et John Huston se penchent également sur l’adaptation. Entre temps Kevin Costner, alors célébré pour ses prestations dans Silverado, Les Incorruptibles et Jusqu’Au Bout Du Rêve, décide de coproduire le long-métrage, éjectant Huston du poste de réalisateur, non sans avoir lui-même envisagé la mise en scène. C’est dans ce contexte assez chaotique que le producteur Ray Stark (non crédité au générique) décide de confier la réalisation à Tony Scott, tout juste sorti des succès de Top Gun et du Flic De Beverly Hills 2.
Débutant sur un prologue qui laisse justement envisager un "Top Gun 2" dans lequel le pilote Michael J. "Jay" Cochran (Costner) ferait office de Maverick, le film dévie très rapidement de cette approche lors de l’arrivée de ce dernier au Mexique dans la propriété de son vieil ami et mentor Mendez (Anthony Quinn). C’est au cœur de ce domaine, filmé comme un jardin d’Eden, que va se nouer un triangle amoureux à l’issue tragique entre nos deux protagonistes et la belle Mireya (Madeleine Stowe), la femme de Mendez. Son idylle naissante avec Cochran finira par donner naissance à la revenge du titre.
Jusque-là cantonné au registre de cinéaste inconsistant à l’imagerie publicitaire dont il ne parviendra jamais à se défaire auprès d’une partie de la critique, Scott voyait en Revenge une bonne occasion de livrer une œuvre plus personnelle et offre ainsi un film beaucoup plus en phase visuellement avec son sujet. Avec l’aide du chef-opérateur Jeffrey L. Kimball (son collaborateur attitré jusqu’à True Romance), le réalisateur apporte un soin tout particulier à la composition des cadres, utilise des longues focales afin d’aplatir les grands espaces et les intérieurs, conférant à son film une aura anachronique qui convoque tout un pan du western, que vient renforcer l’utilisation du CinemaScope. Un emploi du cadre couplé à celui, bien mieux géré qu’auparavant, des filtres, utilisés avec parcimonie et uniquement lors de scènes clés. Le tout au service d’une narration qui prend le temps de développer ses personnages afin de crédibiliser l’histoire d’amour entre Cochran et Mireya, véritable cœur émotionnel du long-métrage. Scott fait preuve d’une sobriété exemplaire à l’égard de son couple, préférant suggérer leur idylle naissante à travers une scène quasi muette précédée d’une complainte mélancolique de la femme de Mendez. Une approche singulière auquel s’ajoutent des scènes d’amours improvisées sur le tournage qui, bien qu’explicites, invoquent un certain lyrisme conférant à l'ensemble un romantisme sauvage porté par trois interprètes subtils et nuancés.
Ces choix rendront beaucoup plus violente la bascule narrative. Bien qu’attendue, cette scène s’avère particulièrement puissante dans sa portée dramatique : la deuxième partie du film voit ainsi Cochran préparer sa vendetta envers Mendez avec l’aide de tueurs incarné par Miguel Ferrer et un John Leguizamo débutant, en parallèle à la déchéance que subit une Mireya défigurée et droguée dans une maison de passes. Bien que loin d’être aussi inintéressante que la première partie, notamment lors d’une confrontation entre Mireya et l’un de ses bourreaux construite entièrement à partie de reflets dans des miroirs, cette seconde moitié souffre d’un déséquilibre narratif, auquel vient s’ajouter un montage des plus expéditifs qui amoindrit sa portée émotionnelle.
Cependant ces défauts, aussi irritants soient-ils, s'estompent lors d’un final que l’on serait tenté de qualifier "d’anti-climax", dont l’un des plans cite explicitement l'annonce du carnage final de La Horde Sauvage. Assez surprenant, ce final finit d’asseoir le caractère anti-héroïque de Cochran auquel vient s’ajouter une ultime scène qui, tout en renouant avec la sobriété de la romance mélancolique, reste longtemps gravé dans la mémoire du spectateur.
Tourné rapidement durant l’été 1988, Revenge connaît une post-production douloureuse. Après des projections tests négatives, Ray Stark et Kevin Costner renvoient le cinéaste et ses monteurs Chris Lebenzon et Michael Tronick afin d’effectuer leur propre montage. À ces problèmes s’ajoutent la faillite du studio New World Pictures (ayant appartenu à Roger Corman jusqu’en 1984) qui oblige le film à rester dans les tiroirs jusqu’à ce que Columbia Pictures le distribue sur les écrans américains en février 1990. Pour ne rien arranger, l’affiche se calque sur celle de Sens Unique, autre succès de Costner réalisé par Roger Donaldson quatre ans auparavant.Â
Revenge disparaît très rapidement des salles. Entre-temps Tony Scott, dépité par le sort de son film, retrouve le producteur Jerry Bruckheimer et le comédien Tom Cruise sur le plateau de Jours De Tonnerre, transposition de Top Gun dans le milieu des courses de Nascar, soit le genre de productions dont le cinéaste souhaitait s’extirper avec Revenge. Qui va rencontrer l’estime d’un autre cinéaste : Quentin Tarantino sort tout juste de Reservoir Dogs quand il est question de porter à l'écran l’un de ses premiers scripts co-écrits avec son ami de l’époque Roger Avary, True Romance. Tandis que différents cinéastes comme William Lustig ou Jonathan Demme sont envisagés, et que les frères Weinstein souhaitent imposer Alex Cox, Tarantino, avec l’aide de Samuel Hadida, insiste pour soutenir la candidature de l'auteur des Prédateurs. La raison ? Revenge, qu’il considère comme son chef-d’œuvre.
Avec le recul, on peut considérer Revenge comme le premier film important du cinéaste. Un brouillon des futures thématiques que l’on retrouvera de façon beaucoup plus approfondies dans sa filmographie post-Jours De Tonnerre. La romance impossible renvoie autant à celle de True Romance (notamment dans la brutalité réservée au personnage d’Alabama Whitman) qu’à celle de Brad Pitt et Catherine McCormack dans Spy Game ou de Denzel Washington et Paula Patton dans Déjà Vu. Idem pour la relation "mentor/élève" présente dans Spy Game mais surtout à travers les personnages interprétés par Gene Hackman dans USS Alabama et Ennemi D’Etat. Les chasseurs de primes trouveront un écho dans Domino, les figures anti-héroïques, le Mexique (que le cinéaste appréciait particulièrement) et la vengeance seront à nouveau présents dans Man On Fire. Enfin la mise en scène axée sur la gestion spatiale des limites de la longue focale deviendra l’enjeu de réalisation primordial du cinéaste.
Autant d’éléments que l’on trouve déjà dans Revenge, "néo-western" qui, en dépit de défauts structurels, n’en demeure pas moins fascinant pour une Å“uvre de transition dans la carrière de Tony Scott, démontrant le talent d’un artiste posant les bases de sa véritable carrière. Â
En 2007, Tony Scott profita du support DVD pour éditer un director’s cut de Revenge, retirant vingt minutes afin de rééquilibrer le rythme et proposant une nouvelle partition composée par Harry Gregson-Williams.
REVENGE
Réalisation : Tony Scott
Scénario : Jim Harrison & Jeffery Alan Fiskin d'après la nouvelle de Jim HarrisonÂ
Production : Stanley Rubin, Kevin Costner, Hunt Lowry
Photo : Jeffrey L. Kimball
Montage : Chris Lebenzon & Michael Tronick
Bande originale : Jack Nitzsche
Origine : USA / Mexique
Durée : 2h24 / 2h04 (director's cut)
Sortie française : 3 juillet 1991