Paperhouse

Bande de ciné

Affiche PaperhouseL’heure est à l’exhumation d’œuvres trop rares et c’est tant mieux ! Après La Bouche De Jean-Pierre en mars, c’est au tour de Paperhouse de Bernard Rose de connaître les joies d’une restauration et d’une édition digne de ce nom.


Film inclassable, Paperhouse n’aura pas connu de sortie salles en France malgré le prix remporté au Festival du film fantastique d’Avoriaz où il reçut le Grand Prix de l’Etrange en1989. Une injustice inexcusable car ce film au charme vénéneux demeure à ce jour un petit classique du fantastique qui, plus de vingt ans après, n’a rien perdu de sa force.
Réalisateur de vidéoclip, Bernard Rose signe là son premier film et une entrée percutante dans le domaine du fantastique. Un essai qu’il transformera quelques années plus tard, en 1992 précisément, avec le remarquable Candyman (d’après une nouvelle de Clive Barker) qui forme avec Paperhouse une sorte de diptyque comme si Candyman était l’extension, le développement urbain et contemporain de Paperhouse. Les récits sont différents comme leurs environnements mais il règne dans chacun d’eux une grande mélancolie, une dimension onirique incontestable même si clairement plus marquée et alambiquée pour Paperhouse. Aussi poétique qu’effrayant, ce dernier envisage de manière remarquable la perméabilité entre rêve et réalité.

Anna, 11 ans, est une petite fille malicieuse qui a du répondant, pour ne pas dire un sacré tempérament. Une attitude de frondeuse qui sied mal dans une école anglaise où la moindre trace de contestation est punie par l’exclusion. Ici, elle se fera mettre à la porte du cours après une énième répartie envers sa prof. Lassée de faire le pitre pour amuser la galerie, elle se réfugie dans ses rêves ou plutôt s’y effondre ! Anna vient en effet de tomber au sol et gît inconsciente. Nous la retrouvons dans une immense plaine, courant jusqu’à une bâtisse étrange comme sortie de l’imagination d’un enfant. Et pour cause, cette maison n’est autre que la représentation imaginaire de la maison qu’elle a dessiné durant le générique. Mais impossible d’y pénétrer, car elle a beau être dans un rêve, elle ne pourra en pousser la porte qu’à partir du moment où elle aura dessiné, dans la réalité, l’intérieur. De sorte que l’on en vient rapidement à se demander si elle dessine ce qu’elle rêve ou bien si elle rêve ce qu’elle dessine. Autrement dit, le film va permettre de tisser des liens étroits entre l’art, l’imagination et la réalité, un jeu d’influences qui entraînera le film vers une réflexion sur l’acte créatif comme échappatoire, comme alternative à la réalité.

Paperhouse
Une réalité difficile pour Anna qui a une relation plutôt houleuse avec sa mère mais qui souffre plus sûrement de l’absence de son père, éloigné du foyer familial par son travail. Cette solitude, cette impression d’abandon, elle la comble par l’art, et dessine un ami imaginaire qui l’attend derrière la fenêtre de cette maison de papier. Prénommé Mark, il est incapable de se mouvoir car Anna a oublié de lui dessiner des jambes. Mais impossible pour elle d’effacer et recommencer, son dessin acquérant au fur et à mesure des propriétés "magiques". Ce sera à elle de faire attention à ce qu’elle dessine, donc ce qu’elle désire.
Film poétique, Paperhouse se pare également de toute une symbolique liée aux rêves, bien évidemment, mais également à la psychanalyse notamment dans le traitement de ce père absent. La teneur enfantine, la relation étroite qui se noue entre Anna et Mark entraînent le métrage sur des rivages au départ certes étranges mais relativement apaisants et qui  basculeront dans la noirceur cauchemardesque avec l’apparition au loin du croquemitaine (il n’est pas rare de penser fortement à La Nuit Du Chasseur de Charles Laughton dans le traitement opéré par Rose).

Paperhouse
La tension devient palpable notamment grâce au superbe travail sur la photo, le son et les voix. Ce qui donne lieu à des scènes d’autant plus intéressantes si on les interprète justement sous l’angle du rêve signifiant, dès lors que l’on envisage cette ombre pénétrant de force dans cette maison, dans l’intimité de Anna et Mark donc. On peut dire que la psyché d’Anna est sacrément perturbée. Pire, son inconscient, ses expériences qu’elle vit en rêve ont des répercussions sur son corps physique, sa santé s’altérant dangereusement. Tout en discourant sur les émois de la gamine, Bernard Rose, par le truchement de sa réalisation n’oublie pas de construire une intrigue allant crescendo où deux mondes, le rêve et la réalité, se percutent et dont les actions dans l’un ont des conséquences dans l’autre. Le réalisateur usant des transitions abruptes voire carrément inexistantes pour perdre un peu plus son héroïne et le spectateur par la même occasion. Pas de trucages ou d’effets spéciaux sophistiqués comme dans Nightmare On Elm Street ou Dreamscape pour figurer un monde imaginaire. Rose utilise à merveille les ressources à sa disposition, à savoir de fabuleux décors aussi évocateurs que sobres (une maison, une plaine, un phare) et une maîtrise de son art, le cinéma.
Paperhouse n’a rien d’un voyage enchanteur au pays imaginaire. Nous sommes bien loin de l’innocence généralement attribuée à l’enfance. Et c’est ce qui rend cette œuvre si singulière, si attachante, si perturbante, si indispensable.


PAPERHOUSE
Réalisateur : Bernard Rose
Scénario : Matthew Jacobs & Catherine Storr (auteure du roman Marianne Dreams ici adapté)
Production : Tim Bevan, Jane Frazer, Dan Ireland, M.J. Peckos & Sarah Radclyffe
Photo : Mike Southon
Montage : Dan Rae
Bande originale : Stanley Myers & Hans Zimmer
Origine : Grande-Bretagne
Durée : 1h32
Sortie française en Blu-ray et DVD : 02 mai 2013