Interview - Miguel Angel Vivas

Pan! séquences

Affiche Kidnappés

Film coup de poing du quatrième festival européen du film fantastique de Strasbourg, Kidnappés (Secuestrados) divise autant le spectateur que le critique, partagé par l'ambiguïté de la mise en scène. Manipulateur, voyeur ou tout simplement une volonté d'immersion au delà de toute morale ?

Réponse avec le passionnant Miguel Angel Vivas, aux antipodes des procédés brechtiens moralisateurs de Michael Haneke auquel il est souvent, à tort, comparé.


Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
J’ai commencé avec deux courts-métrages : The Boogeymann et I See You In My Dreams, puis j’ai fait un long : Reflejones. J’ai ensuite passé quatre ans à enseigner à l’université, et finalement j’ai abandonné les cours parce que je voulais faire plus de cinéma, quand j’ai eu l’idée de Kidnappés.

Pourquoi avoir cette pause universitaire ? Vous donniez quels cours ?
Après mon premier film j’ai commencé à travailler pour une boîte de production, sur un budget très élevé mais je n’ai pas réussi à concrétiser le projet qui s’appelait Wolf Hunter. Cela m’a mis en colère contre l’industrie du cinéma, mais j’avais besoin de travailler pour manger (rires), une université voulait que j’enseigne. J’ai pensé que je pouvais le faire mais quelques années après, même si j’aimais ça, je me suis rendu compte que je ne voulais pas le faire toute ma vie. Donc j’ai quitté mon travail pour faire un film.
C’est dur de trouver quelqu’un pour financer votre projet, alors j’ai essayé de monter un film à petit budget. J’ai eu cette idée, qui me trottait dans la tête. Depuis que je suis enfant, j’ai peur à l’idée que des gens s’introduisent dans ma maison. Je ne l’ai pas écrit comme une histoire classique, je voulais que le public soit plongé dans l’histoire, comme si c’était une expérience, qu’ils soient avec la famille dans la maison. C’est pourquoi j’ai conçu le film avec de longs plan-séquences.
Sinon, j’enseignais la direction d’acteur et l’analyse filmique.

Comme MacKendricks !
Oui comme lui. (rires)

Kidnappés
 


Vaca Films a produit un autre film choc, Cellule 211. Comment êtes-vous arrivé chez eux ?
Un ami producteur avec qui je parlais de mes projets, et qui aimait mon premier film, m’a dit que c’était une bonne histoire mais très dur à faire en Espagne, parce qu’il n’y a pas d’argent pour ce type de films. Je lui ai dit que je n’avais pas besoin de beaucoup d’argent, parce que j’allais faire le film en deux semaines seulement. Il m’a dit que c’était impossible, et je lui ai répondu que si parce que j’allais le faire en seulement douze plans. Je me rappelle qu’il m’a répondu que j’étais fou mais qu’il voulait voir ça. On l’a donc fait. Douze plans, un par jour.

Et avec La Fabrique de films ?
Ils avaient fait Cellule 211 avec Vaca Films, qui leur ont parlé de mon film en douze plans. Ils ont voulu être du projet en entendant ça.

Comment s'est passé votre collaboration avec Javier Garcia, crédité comme co-scénariste ou chef-opérateur ?
C’est un bon ami depuis longtemps, et je n’aime pas écrire seul car j’ai besoin de quelqu’un qui me stoppe parfois (rires). J’aime sa façon d’écrire donc je lui ai demandé de m’aider et il était d’accord. Pour moi c’est le meilleur chef opérateur aujourd’hui, malgré que Kidnappés soit seulement son deuxième film. Il est très très bon.

Il a commencé comme scénariste. Le fait qu'il soit chef-opérateur vous a aidé à écrire le scénario ?
C’est le premier film qu’il scénarise, il voulait à la base être scénariste. On s’est beaucoup battu sur le scénario, il voulait quelque chose de très différent, de manière plus stylisée. Un jour je lui ai dit : on va le faire en douze jours. "Pourquoi ?" "Parce que je le veux."
Je lui ai expliqué que je voulais faire du film une expérience plus qu'une histoire narrative. On a eu beaucoup d’idées et je les ai toutes éliminées (rires). Je lui ai dit qu’on allait prendre l’essentiel, en éliminant des bonnes scènes qui ne marchaient pas avec mon idée. Mais c’était pour le mieux parce qu’il m’a beaucoup modéré quand j’allais dans l’excès.

Kidnappés
 


Comment ont été réfléchis vos plans-séquences ? Le deuxième par exemple, avait un intérêt d'exposition géographique autant que de présentation des personnages ?
Le deuxième plan présente la famille de manière très naturaliste. Mes références étaient les Dardenne ou Cassevetes (un de mes réalisateurs favoris). C’est pourquoi j’ai tourné le premier plan de cette manière, pour avoir un moment de peur, où le public reste coller sur sa chaise.
Vous connaissez les conversations entre Hitchcock et Truffaut ? Hitchcock explique à Truffaut l’exemple d’invités autour d’une table, puis la caméra descend sous la table et montre une bombe au public. Les personnages peuvent parler pendant longtemps de n’importe quoi, le public sera effrayé, à se dire "Arrêtez de parler, il y a une bombe sous la table !". La première séquence est la bombe. Je voulais montrer à l’audience que la première séquence allait arriver à la famille de mon film. Je pouvais ensuite longuement présenter la famille, à parler de tout et de rien, et garder le public est en alerte, parce qu’il sait que quelque chose va arriver.

Les plans-séquences rappellent autant les Dardennes et Cassevetes qu'Alfonso Cuaron...
Oui je l’adore ! Les Fils De L’Homme est un de mes films favoris de ces dernières années, sa manière d’utiliser les plans-séquences est incroyable et c’était clairement une de mes références. Mais il y en a beaucoup dans mon film. Le plus clair est Brian de Palma, le maître des plans-séquences et des split-screens.

Justement, pourquoi avoir utilisé le split-screens ?
Je voulais raconter mon histoire avec un minimum de coupes, qui ne sont présentes que lorsqu’on passe de la voiture à la maison. C’est le seul moment où il y a des coupes. Quand j’ai commencé à écrire le premier script, je ne pensais pas encore le faire en plan-séquence.
Pour le climax, le troisième acte est un plan-séquence qui se passe dans deux endroits en même temps, donc au lieu de faire un montage parallèle avec des coupes, j’ai utilisé le split-screen. Le montage est fait par le spectateur ! Si le spectateur regarde à gauche, il coupe sur la voiture, s’il regarde à droite il coupe sur la maison. Beaucoup de monde m’ont reproché le split-screen parce qu’on ne peut voir qu’un côté et manquer l’autre, je leur disais qu’au lieu de leur montrer un côté sans l’autre, je leur ai proposé de faire le montage qu’ils voulaient !

Kidnappés
 


N'était-ce pas risqué de proposer une expérience avec une telle esthétique prise sur le vif pour ensuite  arriver brutalement au climax à ce procédé purement cinématographique ?
Je vois tout le film de manière cinématographique parce que toutes les scènes sont très préparées, il fallait que tous les dialogues, les actions soit contrôlés pour que la caméra soit en accord avec l’action. C’est très difficile, il faut tourner dix minutes sans faire d’erreur. Comme à vélo, il ne faut pas réfléchir mais le faire : on devait toujours faire pareil, de manière automatique en sachant où étaient les acteurs. Les lumières sont très directes, donc les acteurs ne doivent pas faire un pas de plus ou de moins, sinon ils ne sont plus raccord avec les lumières.
Le split-screen est plus cinématographique mais c'était un risque de le faire comme ça.

Pourquoi cette volonté de plonger le spectateur dans le fait divers ?
C’est une peur que j’ai depuis que je suis enfant. Mais ces dernières années, ça arrive de plus en plus en Espagne, il y a une certaine tension à ce sujet et tout le monde est inquiet à cause de ces kidnappings. Avant les cambrioleurs attendaient que vous partiez de chez vous, aujourd’hui ils attendent que vous soyez là ! Ils prennent votre argent, et vous prennent vous ! Ils prennent tout : l’argent de la maison et celui de la banque après.

Pointer une ethnie particulière vous exposait à un risque de polémique idiote. Ça a été le cas ?
Je savais que cela serait controversé mais j’ai voulu faire quelque chose de très réel, et la plupart des cas mettent en cause des gens d’Europe de l’est. Je ne dis pas que tous les européens de l’est sont des méchants, je voulais montrer deux méchants. Si je fais un film sur un chauve, je ne dirai pas que tous les chauves sont méchants ! C’est une histoire de crédibilité, je ne fais pas de discours politique, je fais un film effrayant.
On ne me l’a pas beaucoup reproché, mais dans un journal on m’a traité de xénophobe. Je ne comprends vraiment pas. Je n’aime pas le politiquement correct, qui fait qu'on ne peut parler de rien. Je savais que ça arriverait avant le film, c’est arrivé finalement mais pas tant que ça. Aux États-Unis et dans beaucoup de pays, cela n’a pas été évoqué. En Espagne si.

Kidnappés
 


Quelle vision avez vous du cinéma français ?
Une de mes références pour ce film était les nouveaux films d’horreur français, commeA L’Intérieur, Frontière(s), Martyrs. En Espagne, avec un ami qui est aussi réalisateur, quand on pense à l’industrie française on se dit qu’ils arrivent à faire ce qu’on ne peut pas faire. "Comment font-ils ?". J’ai ensuite parlé avec des réalisateurs français : c’est le contraire ! Je pensais qu’en France c’était plus facile de faire ce genre de films qu’en Espagne, mais les réalisateurs français m’ont dit que c’était difficile. Mais ils y arrivent !

Les films espagnols sont quand même souvent meilleurs...
C’est différent. J’adore les films d’horreur espagnols. Maintenant on a beaucoup de très bons réalisateurs : Plaza, Balaguero, Bayona. J’étais à Austin, au Texas, c’était la première fois qu’on montrait le film au public. On est arrivé à la séance qui était complète : on était étonné ! Le directeur du festival nous a dit que tout le monde voulait voir le film. Pourquoi ?  Ils ne me connaissaient pas, ils ne connaissaient pas mon film. Il m’a répondu que tout le monde voulait voir "le film d’horreur espagnol". En Espagne c’est l’inverse ! Si on fait ce genre de films, on n’est pas considéré comme de bons réalisateurs, on est les petits enfants qui jouent à faire des films monstrueux. Je ne parle pas du public, mais de l’académie.

C’est pareil en France.
Aux Etats-Unis, tous les producteurs connaissent les films d’horreur français !


Remerciements à Lison Müh-Salaün, Lucie Mottier et Bénédicte Vagne.

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