J'aime les artistes ?

A l'Ede !

Hadopi
En septembre 2008, François Ede, réalisateur, chef opérateur et restaurateur de films, s’est ouvert dans une lettre largement diffusée sur le Net des risques que représentent pour le respect des cinéastes le nouveau format télévisuel adopté en catimini.

En avant d'y revenir en détail, prenons des nouvelles de notre Ministre préférée.

Madame la Ministre de la culture, Christine Albanel,  a depuis quelques mois enfourché son blanc destrier pour se lancer à la poursuite des internautes irresponsables qui téléchargent des fichiers musicaux ou vidéos, mettant en péril l’industrie du disque qui a bien du mal a maintenir un haut niveau d’engraissage des plus grosses Majors et la fréquentation des salles de cinéma qui ne cesse d’augmenter depuis 1999 mais atteint péniblement une hausse de fréquentation de 6,7 % en 2008. Un résultat bien décevant si on le compare à celui de 2006, la différence étant de 0,1%.
Mais notre Ministre a trouvé la parade : le projet de loi "Création et Internet".Vous connaissez d’ailleurs tous le nom affectueux qu’on lui a donné, Hadopi. Une loi juste et pertinente qui a pourtant été rejetée par le parlement européen, la CNIL et âprement dénoncée par de nombreux sites dont Numérama, La Quadrature du Net ou votre webzine ciné favori.

Hadopi, Albanel et Godwin sont dans un bateau…
Un projet de loi voté par le Sénat et en discussion à l’Assemblée Nationale la semaine dernière. Des débats reportés au 31 mars (voir début avril) après la séance du 12 mars et la sortie anthologique de madame Albanel. Finalement, à quoi bon se démener contre ce projet de loi lorsque son instigatrice le saborde elle-même par son imprécision et son manque de sang froid. Sous pression, madame la mMnistre obtient le point Godwin le plus rapide de l’Histoire, moins de une minute et trentre secondes : vérification en images.

Petit rappel sur ce qu’est le point Godwin : inventée par Mike Godwin, la loi de Godwin stipule que "plus une discussion dure longtemps, plus la probabilité d’y trouver une comparaison avec le nazisme ou Hitler s’approche de 1". Elle démontre qu’au bout d’un certain temps, "il arrive toujours un moment où l’un des participants s’échauffe et fait une comparaison au nazisme. Le débat est alors sans issue."
Il faut donc 1 min 27 à Christine Albanel pour lancer :
"Je suis accablée par toutes les caricatures sur tous les bancs et par l’obstination qui consiste à présenter l’Hadopi comme une sorte d’antenne de la Gestapo, c’est particulièrement ridicule ".

C’est donc ainsi que madame la Ministre nous démontre son indéfectible assurance à défendre un projet qu’elle sait juste et apte à protéger les artistes de ces salauds d’internautes qui se réapproprient le moyen de diffuser et partager toutes formes de culture au mépris des règles les plus élémentaires du marché.

Même si on ne rate pas une occasion de démontrer le ridicule de madame la Ministre et son projet de loi, on l’aime bien Christine Albanel. Si, si. La preuve, nous allons lui donner une nouvelle raison de vivre, un combat sans nul autre pareil, un de ceux qui produisent des légendes. Nous invitons cordialement le ministère de la culture à s’intéresser de près au nouveau format de diffusion des œuvres cinématographiques en vigueur à la télévision et notamment sur le service public, un format bâtard qui dénature l’œuvre originelle et ne respecte donc pas la vision de l’auteur. Ce format, c’est le 14/9 et, une véritable plaie pour le cinéma.

Un format très discret
C’est François Ede qui le premier monta au créneau en septembre 2008, accablé par le charcutage sur France 3 du film de René Clément, Paris Brûle-t-il ? Son courrier fut largement diffusé sur Internet mais n’eut pas d’écho dans la presse. C’est Nathalie Dassa dans le numéro 1 de la revue Scénaristes (ex Gazette des Scénariste) paru début mars 2009 qui remit à jour le problème à travers un intéressant décryptage consolidé par les propos de Ede.
Ce format 14/9, on ne peut pas dire que les chaînes s’en soient vantées. Et pour cause. Car si comme moi vous n’utilisez plus votre téléviseur que pour regarder des DVD, à terme il est probable que l’on y soit confronté.

La télé c’est pas du cinéma, c’est le moins que l’on puisse dire. D’autant que la diffusion d’œuvres cinématographiques dans votre salon s’accompagne bien souvent de mutilations de l’image. Outre les génériques de fin en vitesse lumière quand ils ne sont pas carrément supprimés, l’image cinéma pour être adaptée à votre téléviseur 4/3 était soit anamorphosée, soit recadrée en Pan et Scan ce qui obligeait lors de certaines séquences ou plans larges à effectuer des champs/contre-champs purement artificiels. Le format letterbox avec des bandes noires en haut et en bas permet de visionner le film dans son format d’origine. Seulement voilà, ces bandes noires occasionnent une gêne trop importante pour les téléspectateurs qui ne comprennent pas que tout l’espace de leur poste ne soit pas occupé. Ce qui vous en conviendrez est plutôt frustrant lorsque l’on a investi dans un téléviseur 16/9 en 4 fois sans frais. Même imparfait, le format 16/9 a au moins le mérite de ne pas complètement dénaturer le film. Le parc de téléviseurs proposant ce format étant florissant, il reste donc aux chaînes de trouver un moyen de diffuser leur programme en 16/9.

Lorsque le meilleur est l’ennemi du bien
Le 2 avril 2008, le service public communique largement sur le passage de ses programmes au 16/9 sur le numérique ou le hertzien, même si vous vous obstinez à conserver votre télé 4/3. Un véritable miracle technologique qui risque rapidement de se transformer en cauchemar. Car il faut savoir que la diffusion au format 16/9 concerne en priorité les messages publicitaires et que pour ce faire, on leur a concocté un petit format rien que pour elles, le 14/9. Un format qui propose une image 4/3 (norme pour les écrans pub) moins haute et étirée en largeur pour remplir l’écran. François Ede relève en outre que "ce format est un compromis pour ne pas couper le texte en bas des messages publicitaires". Belle faculté d’adaptation de la pub a ce nouvel environnement.
Avec la disparition de la publicité sur le service public, vous pensez le problème résolu ? Malheureusement, il n’a fait que se déplacer.

En août 2008, France 3 diffuse Paris Brûle-t-il ? mais dans une version pour le moins étrange car une partie du titre manque tout comme des morceaux entiers de comédiens. Ne cherchez pas, le film a bénéficié d’un recadrage au format 14/9.

Paris Brûle t'-il ?
Le jeu du 14/9 : Toi lecteur perspicace, sauras-tu reconnaître l'acteur à droite de l'image ?

Profondément indigné de voir appliquer à un film tourné en Scope un format inventé pour les publicités, Ede se fendit d’un e.mail à la chaîne incriminée qui lui retourna comme explication que "le format de diffusion de ce film est un compromis entre le format des écrans TV actuels et le format d’origine du film. En effet, France 3, chaîne généraliste et de service public, peut être amenée à modifier le format de diffusion de certains films afin que l’ensemble des téléspectateurs puisse bénéficier d’une meilleure vision".
Une meilleure vision ?!
Non seulement aucune chaîne n’estima devoir communiquer sur cette légère transformation de l’image mais cette pratique a toutes les chances de se généraliser puisque une recommandation dérogatoire au respect des formats 1 :1.85 et 2.35 permet aux diffuseurs d’opérer ce genre de bouleversements. Et dans l’optique de mieux vendre leur catalogue aux chaînes, rien n’empêchera les gros éditeurs de remasteriser leurs titres en 16/9 ou 14/9 pour les adapter à une "meilleure vision". Jusqu’à présent, le format original des œuvres (Scope, 1.85 et 1.33) est respecté par les DVD et les chaînes de cinéma payantes, sans que personne ne trouve à redire. Reste à savoir si l’amour du cinéma résistera à une logique mercantile et à nos comportements consuméristes qui minimiseront l’intérêt de posséder un écran dernière génération si c’est pour avoir des espaces vides d’images.
Reste la solution d’aller voir les films en salles ou dans les cinémathèques, derniers lieux préservés de toute manipulation, si tant est qu’ils possèdent le matériel adéquat pour projeter de vieux films dans leur format d’origine. Des salles de cinéma où les projections numériques vont se généraliser, les Majors adoptant de plus en plus ce support qui offre comme avantages la facilité de stockage, de conservation et de…manipulation des images pour une diffusion télévisuelle !

Alors problème insoluble ? Bien sûr que non. Mais il est urgent d’alerter sur ces pratiques indignes et non respectueuses de l’œuvre telle que voulue par leurs auteurs. Notamment en diffusant largement la lettre de François Ede reproduite ci-après.
Peut-être cela arrivera jusqu’à la boîte de réception de notre chère Ministre de la culture qui changerait son fusil d’épaule et ainsi légiférer plus judicieusement pour que les chaînes de télévision privées mais aussi et surtout publiques respectent stricto sensus l’intégrité des œuvres qu’elles diffusent. Le ministère se targue d’aimer les artistes, de veiller au respect de leur droit d’auteur, de leur droit moral ? Il est temps de le prouver.


Reproduction de la lettre de François Ede :

Films génétiquement modifiés

Les films tournés en Scope et en 1.85 seront désormais recadrés en 14/9 (1:1.55) sur les chaînes du service public.

Jusqu’à présent les chaînes publiques diffusaient les films au format Scope avec des caches noirs en bas et en haut de l’image pour conserver la largeur du cadre (letterbox), ce n’était évidemment pas la panacée, mais au moins le format d’origine des films était respecté.
Le 21 août France 3 diffusait Paris Brûle-t-il ? de René Clément. Ce film tourné en Cinémascope a été mutilé par recadrage dans un format qui n’a jamais existé au cinéma : le 14/9 ou 1:1.55 ! Le titre du générique début était devenu incomplet (on lisait en forme de rébus : .ARIS BRULE-T…!!!). Dans certains plans, les acteurs situés sur les bords du cadre étaient hors champ et en voix off.
J’ai donc envoyé un mail au service des téléspectateurs de la chaîne, qui une lunaison plus tard m’a retourné cette explication amphigourique :

"Le format de diffusion de ce film est un compromis entre le format des écrans TV actuels et le format d’origine du film. En effet, France 3, chaîne généraliste et de service public, peut être amenée à modifier le format de diffusion de certains films afin que l’ensemble des téléspectateurs puisse bénéficier d’une meilleure vision". (1)
On reste évidemment ému d’une telle volonté de nous offrir une "meilleure vision". Les vrais amateurs de cinéma objecteront que je mène ici un combat d’arrière-garde, et qu’il faut aller voir les films au cinéma ou dans les cinémathèques. C’est encore vrai pour quelques années, car les copies films vont progressivement disparaître. Les gros détenteurs de catalogues n’auront aucun scrupule à éditer leurs DVD, Blue-ray ou films en téléchargement dans des formats adaptés à une "meilleure vision" pour mieux les vendre aux diffuseurs. Dans le passé de nombreux éditeurs et distributeurs ont mis sur le marché des versions "restaurées" avec un recadrage d’image, ou un son remixé en 5.1. Puis est venue la "colorisation". (On peut citer Autant En Emporte Le Vent restauré en 1.85 dans les années 70, la version remixée de Vertigo et celle colorisée de Asphalt Jungle). Qui sait encore que les premiers films parlants étaient au format 1.20 et qu’on ne peut plus les voir aujourd’hui qu’en 1.37 (en dehors de quelques restaurations de cinémathèque) ? La plupart des films muets ont subi le même sort. Mais les méfaits du 14/9 ne s’arrêtent pas là. Quand vous regarderez un film au format classique (Academy) 1:1.37, le rapport longueur largeur se trouvera modifié. Pour y parvenir, il faut déformer l’image en largeur, c’est une anamorphose électronique. On peut imaginer que bientôt les films de répertoire seront diffusés en 16/9 comme cela se fait déjà pour les documentaires utilisant des images d’archives. L’image sera déformée en largeur et tronquée en hauteur pour occuper toute la surface des écrans 16/9. Brigitte Bardot y gagnera deux tailles de tour de hanches, et le général de Gaulle n’en sortira pas grandi tout en perdant les étoiles de son képi. Il suffira de quelques années pour que des catalogues entiers d’oeuvres soient massacrés par des "restaurations" numériques et des "remasterisations" faites au mépris du respect des oeuvres et de leurs auteurs. L’irruption discrète du format 14/9, sur lequel les chaînes se sont abstenues de communiquer, produira inévitablement ce type d’effets pervers.

Tout cela m’ayant échauffé la bile, j’ai poussé plus loin mes investigations et j’ai appris qu’il existe une recommandation FICAM/CST (2). Cette recommandation (qui n’est donc pas une obligation pour les diffuseurs), autorise de surcroît une dispense pour les formats 1:1.85 et 2.35. Cette dispense figure en caractères minuscules au bas d’un tableau et est ainsi formulée : "Valeur qui peut être modifiée sur demande de recadrage spécifique du diffuseur". Il est clair que cette recommandation pour la diffusion des films de cinéma autorise les diffuseurs à faire à peu près tout et n’importe quoi, et comme ils n’attendaient que ça, ils se sont donc engouffrés dans la brèche. On appréciera le caractère ubuesque d’une recommandation qui instaure une règle où l’image de cinéma est traitée comme un chewing-gum optique.

Vous êtes donc invités à faire circuler ce texte le plus largement possible parmi les organisations professionnelles de réalisateurs, de techniciens et de producteurs. Les sociétés d’auteurs et les ayants droits devraient se trouver au premier rang de ce combat, car cette affaire touche au respect des oeuvres et au droit moral des auteurs.

François EDE
Réalisateur et chef opérateur.

En vue d'une pétition, vous pouvez communiquer vos noms, professions & adresses mail à Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.



[1] Service des téléspectateurs de France 3 : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
[2] Les recommandations FICAM/CST sont téléchargeables sur le site de la CST : http://www.cst.fr/spip.php ?article56. Vous pouvez me communiquer vos noms, professions et adresses mail dans la perspective de déposer une pétition.