Octobre 2009

A la carte

Frédéric Mitterrand

Nous pensions tous perdre au change avec le départ de Christine Albanel et l'arrivée du sémillant Frédéric Mitterrand, mais finalement seul l'acteur principal a changé, l'équipe de scénaristes est restée en place pour notre plus grand bonheur.


Canal + peut nous vendre l'imagination
de leurs auteurs maison, ne nous trompons pas : la série culte du moment se passe rue de Valois. Des retournements de situations époustouflants (le chapitre des socialistes ninjas restera dans les annales aux côtés de la fin du Prisonnier et de la mort de JR), des résurrections renversantes pour une République de prime time (présenter une loi déboutée par le Conseil Constitutionnel jusqu'à ce qu'elle soit votée, la prod de West Wing en est verte de jalousie) et de la guest star à foison, n'hésitant jamais à jouer de son image pour faire rire (pensez !, même les acteurs décédés sont de la partie).

Toutefois, cette saison 2 s'achève sur un goût d'inachevé, et laisse penser que les auteurs n'ont plus beaucoup d'idées en stock pour la prochaine salve d'épisodes : quel spectateur peut bien être excité par ce cliffhanger sur la commission Zelnick chargée de mettre d'accord tous les acteurs du milieu culturel à propos de la répartition des revenus provenant du Web, quand on sait que la commission Olivennes, qui débuta le show Hadopi, avait exactement le même but ?
Nous voici embarqués vers un Hadopi 3 aussi en retard sur son temps que visionnaire dans l'absurde. Il faut au passage saluer le courage d'une production sacrifiant des millions par amour de l'art : distribuer autant de budget pour savoir comment distribuer du chiffre d'affaire généré par Internet avant même de réfléchir à une politique cohérente d'offres légales afin de créer ce chiffre d'affaire, c'est définitivement la preuve que les maîtres de ce show ne pensent qu'aux intérêts du public et son accès à la culture, uniquement et exclusivement le public et la cultur€.

S'il fallait un signe supplémentaire de l'intégrité de l'équipe Hadopi, le mini spin off "L'affaire Polanski" diffusé entre les saisons 2 et 3 devraient finir de convaincre les plus sceptiques. Alors qu'artistes et ministre de la culture arguaient il y a quelques semaines l'urgente nécessité d'une sévérité juridique sans faille à l'encontre des téléchargeurs illégaux, les voici s'élevant contre "cette Amérique qui fait peur", cette folle Amérique osant l'impensable : mettre un artiste sous le couperet de la loi ! Et là, tout d'un coup, finie la beauté de la répression, finie la tolérance zéro, finie l'application stricte de la loi : un internaute peut finir en prison ou endetté pour avoir téléchargé un film, mais un artiste n'a pas à répondre de ses actes sur mineur devant une cour de justice.
Cette égalité très relative continue de laisser indifférente une bonne partie des protagonistes de la sphère cinéphile pour qui le sort de la plèbe et sa relation avec la culture ont toujours très peu importé.

On savait déjà qu'il fallait réaliser des films et écrire des livres pour avoir le simple droit de s'exprimer sous peine de se voir rabroué à coup de "Et toi t'as fait quoi dans ta vie ?", la saison 2 de Hadopi nous révèle les pouvoirs obtenus lorsqu'on accède au divin rang d'artiste. Espérons qu'elle sautera le requin et proposera un discours gorgé d'émotion de Frédéric Mitterrand défendant une internaute lambda endettée à vie pour avoir téléchargé 24 chansons.

Si quelqu'un réussit cette épreuve de politique-fiction, il remporte la carte de Roman Polanski.

"Il y a un petit comité, un jury clandestin, une coupole mafieuse composée de gens influents des médias, du Monde, de Télérama, de Libération et deux ou trois outsiders, qui distribuent des cartes, dorées ou pas, assurant aux porteurs que quoi qu'ils fassent, pour leur plus petit pet, il y aurait de l'écho. Le coup de projecteur sera là.

BHL a la carte. Il fait même partie de la coupole. Ah, son film a été assassiné... Peut-être qu'il ne l'a plus. Godard a la carte et Luchini aussi. Elle n'est pas synonyme de talent ou d'absence de talent. Il n'y a pas de référence autre que la décision de cette coupole. Moi, je n'ai pas la carte. Pas assez pensant, pas assez partie prenante. Mon comportement professionnel est trop erratique. Je n'ai pas d'étiquette. Tavernier n'a pas la carte. Dès qu'il fait un truc, Libé lui tombe dessus. Bertrand Blier a eu la carte du temps de Buffet Froid, et depuis il l'a perdue. On peut hériter de la carte d'un autre. Par exemple, Jeanne Moreau a hérité de la carte de Simone Signoret. Elle est la tête pensante du métier, elle est la mémoire, elle a la distinction, le côté international. Dès qu'on a joué une fois à savoir qui a la carte, on ne s'arrête plus."


Philippe Noiret.