Les astronautes du cinéma - 2ème partie

Need for space

Affiche Silent RunningDans la première partie de notre dossier, la Lune était une destination de rêve et l’exploration spatiale faisait les gros titres de la presse. 

Ce sera moins le cas à partir des années 70, mais les aïeuls des héros de Gravity ont su maintenir à leur manière la mystique de l’expérience spatiale.

Les leçons de 2001, L'Odyssée De L'Espace ont porté leurs fruits. L’espace est agrandi, il est devenu un décor parfois hostile qui isole l’astronaute, le révèle et lui donne l’occasion de prendre du recul loin d'une civilisation étouffante. Il lui donne aussi l’occasion de construire des bases et de s’installer en pionnier dans de nouveaux mondes (Outland, Alien) ou chercher des moyens de corriger le gâchis des ressources naturelles sur sa propre planète (Silent Running). L'espace permet également de côtoyer des univers imaginaires ou étendus, dans les sillages de Star Trek, puis de Star Wars. Il faudra attendre le début des années 80 pour sentir poindre la nostalgie de l'époque où la conquête spatiale et les astronautes (et par extension le pilote) faisaient rêver.
Une nostalgie prolongée les décennies suivantes par l’emploi de cette figure héroïque nous défendant contre divers projectiles venus du cosmos au sein de blockbusters aux gloires diverses (Armageddon, Deep Impact, Supernova...). Puis par une volonté de s'établir sur les astres plus proches, plus accessibles (Mission To Mars, Moon ou le récent Last Days On Mars), une volonté qui peine à se concrétiser dans le réel, mais qui demeure vivace.


SILENT RUNNING
Loin de l’élan spatial collectif, Silent Running est de ces films de Science-Fiction qui s’inscrivent dans une optique critique de leur temps, avec à ses commandes un véritable pionnier du genre.

Silent Running
Douglas Trumbull était de l’aventure 2001. C’est grâce à lui que les maquettes du film de Stanley Kubrick ont paru si crédibles, et les minutes du segment "Vers Jupiter et au-delà" aussi incroyables (grâce à une adaptation du procédé slit-scan). (1)
Co-scénarisé par les nouveaux venus Michael Cimino (Voyage Au Bout De L’Enfer, L'Année Du Dragon) et Steven Bochco (futur créateur de la série NYPD Blue), Silent Running offre une imagerie semblable à celle de 2001 : un espace vide et silencieux dans lequel dérive un long vaisseau faisant office de serre géante. La végétation a disparu de la Terre suite à une guerre nucléaire. On établit donc de grandes serres dans l’espace en espérant ensuite réimplanter librement la végétation à la surface. Le botaniste Freeman Lowell à bord du vaisseau spatial Valley Forge porte un soin particulier à s’occuper de ces plantes. Aussi, lorsque la Terre décide de détruire les serres pour des raisons économiques, Freeman ne supporte pas la réaction de ses compagnons qui acceptent les ordres sans en saisir les conséquences. Il tue accidentellement l’un d’entre eux et décide de les évacuer du vaisseau, s’isolant toujours plus loin dans l’espace pour protéger les dernières onces de végétation encore vivantes.

Silent Running
Silent Running
est une oeuvre pessimiste qui programme l’extinction des ressources naturelles de la Terre dans une indifférence globale, la planète étant trop occupée à régler les problèmes à court terme. Une fable écologique bien marquée par le flower power qui passe cependant bien les époques, non seulement grâce à son esthétique minimaliste, mais aussi parce qu'elle reste avant tout une belle histoire, pas si noire qu’elle ne le laisse paraître. Film brillant sur la solitude de l’astronaute, Silent Running met en scène une nécessité de préservation via un isolement qui virera fatalement à la contrainte.
Dès que Trumbull libère son personnage principal de ses obligations professionnelles, il n'a plus que de petits droides (pré R2-D2) comme compagnons. Il les baptise, leur enseigne comment jardiner et jouent aux cartes avec eux. Le rapport affectif qui s’installe entre l’homme et les robots à mesure que celui-ci s’éloigne de la civilisation culmine dans une transmission célébrée par un superbe plan final. On aimerait juste qu'à ce moment Joan Baez cesse de chanter.

SILENT RUNNING
Réalisation : Douglas Trumbull
Scénario : Steven Bochco, Michael Cimino & Deric Washburne
Production : Michael Gruskoff, Douglas Trumbull, Marty Hornstein
Photo : Charles Wheeler
Montage : Aaron Stell
Bande originale : Peter Schickele
Origine : USA
Durée : 1h29
Sortie française : 3 décembre 1975


ALIEN, LE HUITIEME PASSAGER

Affiche Alien"Vaisseau transporteur commercial le Nostromo". "Equipage 7". "Cargaison : produits du rafinage 20 000 000 de tonnes de minerais". "Destination : la Terre".

Un vaisseau avance dans l’espace. Nous pénétrons dans ses couloirs étroits par une succession de lents travellings mettant en évidence une architecture fonctionnelle, faite de bric et de broc. Un écran d’ordinateur s’allume, un signal est transmis. Nouveau travelling sur une porte qui s’ouvre. Les membres de l’équipage du Nostromo sont encore plongés dans le sommeil. Les vitres des capsules se soulèvent et Kane profite calmement de son réveil. Puis nous arrivons autour d’une table, témoins d’une discussion animée entre les sept employés du Nostromo.

Alien
Rien de grandiloquent. Le début du premier Alien est une succession de données qui ramènent le spectateur à l’évidence de l’univers dans lequel il est introduit, comme s’il était un contemporain de l’époque dans lequel se situe le film, amené à voir l’aventure de semblables travailleurs. Les décors futuristes possèdent une familiarité, les membres de l’équipage ressemblent à des "routiers de l’espace" (2), ce qu’ils sont finalement de par leur mission et la machinerie rafistolée qui leur sert de transport. Pour illustrer la banalité de leur quotidien, ils s'entretiennent même sur la répartition des primes.
Sans le succès de La Guerre Des Etoiles, la Fox n’aurait jamais donné le feu vert au scénario de Dan O’Bannon. Alien représente pourtant un autre pendant du film de SF, qui n’a en commun avec le travail de George Lucas et son équipe que la volonté de faire d’un thème de série B une production de qualité en mettant de nombreux talents au service d’un univers. Là où les décors des Star Wars visaient la vraisemblance, ceux d’Alien, Le Huitième Passager tablaient sur la précision, et atteignaient presque les ambitions de Kubrick sur 2001.

Alien
En 1974, Dan O’Bannon participe à Dark Star, film étudiant de John Carpenter qui prend l’ampleur d’un long professionnel, mais n’en est pas vraiment satisfait. O'Bannon souhaite donner vie à un extraterrestre qui paraisse réel avec un horror flick reprenant les mêmes éléments que Dark Star, soit un vaisseau et peu d’astronautes.
Le scénario d’Alien ne sortira qu’à son retour du projet avorté de Dune par Jodorowski, expérience qui l’incitera à s’entourer d’une équipe d’artistes du même niveau que Moebius. Dès le feu vert de la Fox et avant l’arrivée de Ridley Scott, O'Bannon a déjà réuni autour de lui Hans Ruedi Giger (pour les éléments liés à la créature), le dessinateur britannique Chris Foss et le caricaturiste Ron Cobb. Ce dernier sera d’une aide déterminante dans la conception des décors intérieurs du Nostromo et du Narcissus, ses dessins réalistes formant l'essence du sentiment de proximité avec cet univers.
Alien bénéficie de la détermination du studio à l'éloigner le plus possible de tout ce qui pourait l’identifier à une série B. C’est la Fox qui démarche plusieurs réalisateurs de la A list de l’époque et qui décide de faire de Ripley l’héroïne. Enfin, Ridley Scott storyboarde le script dès son arrivée sur le projet, son sens visuel l'amenant à faire de l’esthétique sa préoccupation principale sur le tournage.
Trente-quatre ans plus tard, Alien, Le Huitième Passager n’a pas pris une ride et a donné naissance à des rejetons souvent très sympathiques (particulièrement ses deux suites et le très intéressant Event Horizon, Le Vaisseau De L'Au-Delà de Paul Anderson). Il est fascinant de constater à quel point cet Alien parvient à transmettre, malgré son appartenance assumée à la SF et son environnement lointain, une proximité avec ses personnages et un sentiment de claustrophobie pour la plupart absents des films horrifiques contemporains.

ALIEN
Réalisation : Ridley Scott
Scénario : Dan O'Bannon, Walter Hill, Ronald Shusett
Production : Gordon Caroll, David Giler, Walter Hill, Ivor Powell, Ronald Shusett
Photo : Derek Vanlint
Montage : Terry Rawlings, Peter Weatherley
Bande originale : Jerry Goldsmith
Origine : Britannique, USA
Durée : 1h56
Sortie française : 12 septembre 1979


L'ETOFFE DES HEROS

Affiche L’Etoffe Des Héros

L’histoire commence en 1947, dans une zone déserte au-dessus de laquelle les pilotes d’essai de l’Air Force testent l’avion fusée X-1 capable de voler à vitesse supersonique. Chuck Yeager relève le premier le défi de dépasser le mur du son. Une compétition s'engage bientôt entre Yeager et Scott Crossfield, qui parviendra à pulvériser son record. L'histoire se termine avec le vol orbital de Gordo Cooper, ancien casse-cou de la base fan des exploits de Yeager, devenu le dernier homme du programme Mercury à être lancé en orbite autour de la Terre. Entre les deux se joue un "Il était une fois les astronautes" bien réel.

L’Etoffe Des Héros
Film foisonnant de plus de trois heures, L’Etoffe Des Héros ne décolle dans l’espace que dans sa dernière partie, mais se révèle passionnant de bout en bout. A vocation historique, le film de Philip Kaufman retrace sans détour, à partir d’images documentaires, les circonstances qui ont amené les Etats-Unis à lancer le programme Mercury, à poursuivre avec détermination la sélection des sept astronautes et leur préparation intensive. Il dévoile aussi l’envers du décor, le cirque médiatique programmé par le gouvernement et le peu de considération pour les hommes du programme. Les pilotes sont ouvertement considérés comme des singes aptes à obéir au doigt et à l’œil des scientifiques (souvent allemands) et au gouvernement, grands organisateurs et leveurs de fonds privés. Un parallèle que le montage ne manque pas de mettre en avant, contrecarré par le soutien mutuel du groupe des sept, prêts à aller au-delà de leurs différences de caractère pour faire cause commune.


L’Etoffe Des Héros
Si la distance est prise avec le programme, les pilotes ont tout de même le beau rôle. Un remarquable casting rassemble une brochette d'acteurs qui feront les années 80, chacun des personnages est traité comme s’il était un premier rôle, prompt à être mis sur le devant de la scène à tout moment. S’inspirant de l’essai journalistique de Tom Wolfe, Kaufman a suffisamment brossé les portraits de ces hommes pour pouvoir les confronter et mettre en scène subtilement leurs forces et faiblesses. Bien plus qu'une bio de ces astronautes, L'Etoffe Des Héros est un film à la gloire des pilotes, si bien qu'il ne perd jamais de vue Chuck Yeager, cet homme à l'écart que l’adrénaline récompense plus que les flashs des photographes, exécutant ses exploits dans le plus grand secret alors que tous les regards sont tournés vers l’espace. Kaufman ne manque pas de souligner les difficultés des astronautes à s’affranchir des machines, des conditions d'obtention des crédits (l'expression "No bucks, no Buck Rogers"). Ni de transporter le spectateur au cœur des vols, distillant le frisson d'un passage du mur du son ou d'un dangereux piqué d’une manière qui annonce les envolées immersives des Strange Days, Point Break et Démineurs de Kathryn Bigelow. Les scènes de solitude de Yeager dans les airs font écho aux superbes minutes partagées avec John Glenn lors de sa mise en orbite. En voyant Ed Harris observer la Terre de son hublot au milieu des particules lumineuses qui volent autour de sa capsule, on peut comprendre ce qui a poussé James Cameron à le choisir pour explorer les profondeurs de Abyss.
Aussi pertinent dans sa démarche que communicatif dans le plaisir qu’il procure, on en oublierait presque que L’Etoffe Des Héros est une histoire vraie.

THE RIGHT STUFF
Réalisation : Philip Kaufman
Scénario : Philip Kaufman d'après l'oeuvre de Tom Wolfe
Production : James D. Brubaker, Robert Chartoff, Irwin Winkler
Photo : Caleb Deschanel
Montage : Glenn Farr, Lisa Fruchtman, Tom Rolf, Stephen A. Rotter, Douglas Stewart
Bande originale : Bill Conti
Origine : USA
Durée : 3h07
Sortie française : 25 avril 1984



APOLLO 13

Affiche Apollo 13

Le 13 avril 1970, la treizième mission Apollo effectue son deuxième jour de vol vers la Lune lorsqu’un réservoir d’oxygène est détruit par une explosion. Le module de commande devenu inhabitable, les trois astronautes Jim Lovell, Fred Haise Jr. et Jack Swigert sont contraints de migrer vers le module lunaire Aquarius qui leur permettra de survivre jusqu’à leur retour sur Terre. Mais Aquarius n’est pas construit pour pouvoir accueillir autant d’occupants sur une période prolongée. L’équipage et le centre de contrôle devront tour à tour s'évertuer à trouver des solutions pour économiser l’oxygène, éliminer le surplus de dioxyde de carbone dans le module et conserver suffisamment d’énergie pour traverser l’atmosphère sans dommages.

Apollo 13
Les déboires de la treizième mission Apollo furent adaptés au cinéma vingt-quatre ans après les événements. En soit, suffisamment de temps pour que le fameux "Houston, we’ve had a problem" de l’astronaute Jack Siegert passe à la postérité. Suffisamment de recul aussi pour revenir sur des heures douloureuses qui faillirent coûter cher à la NASA en terme d’image. Le film de Ron Howard ferait un beau double programme avec L’Etoffe Des Héros, montrant le début de la fin de l’aventure décrite dans le film de Phillip Kaufman et abordant un des revers de la conquête spatiale. Mais contrairement aux aspirations historiques de ce dernier, Apollo 13 donne dans le spectacle. En dehors des présages et des superstitions qui accompagnent la préparation de la mission, l’exposition se résume au strict minimum pour mettre le spectateur en condition et établir de l’empathie envers les protagonistes. Tout juste évoque-t-on le désintérêt grandissant des médias et des américains pour les voyages spatiaux par l’absence de retransmission de l’événement.
Adapté du livre co-écrit par Jim Lovell, le film prend le parti d’accompagner l’accident et de surligner les efforts déployés par les techniciens de Houston pour remettre dans les mémoires la formidable solidarité et l'ingéniosité qui accompagnèrent les exploits de la conquête spatiale.

Apollo 13
Ron Howard embrasse le film catastrophe avec l’académisme qui lui colle à la peau, parsemant son métrage d’une poignée de bonnes idées visuelles assez discrètes pour ne pas prendre le pas sur le récit. Des allées et retours constants entre l’espace et la capsule renvoient aux Naufragés De L’Espace de John Sturges, la fiction répondant étonnamment à la réalité. D’autant plus que le film de 1969 paraît plus vraisemblable sur certains points que la réalité exposée dans le film de Ron Howard. Son parti pris est néanmoins intéressant puisqu'il permet de décrire de l’intérieur et sur une période prolongée une expérience de voyage dans l’espace avec une relative fidélité de reconstitution dans les échanges et les procédures. Et en dépit de l’issue connue de l’aventure, on ne peut s’empêcher de frémir pour ces sympathiques american heroes durant le climax que représente l’entrée dans l’atmosphère de la capsule, preuve d'une certaine maîtrise du genre de la part du réalisateur de Splash.
Même si Apollo 13 a vieilli, il charrie toujours avec lui la nostalgie typique des années 90 pour l'époque - idéalisée - de la conquête spatiale. Et pose avec sa conclusion la question d’un retour prochain sur la Lune. Tom Hanks, Ron Howard et Brian Grazer aborderont par ailleurs plus en détail la conquête spatiale dans la très bonne mini-série De La Terre A La Lune produite par HBO en 1998, dans laquelle l’astronaute Buzz Aldrin était interprété par un certain Bryan Cranston.

APOLLO 13
Réalisation : Ron Howard
Scénario : Williams Broyles Jr. et Al Reinert d'après l'oeuvre de Jeffrey Kluger et Jim Lovell
Production : Brian Grazer, Todd Hallowell
Photo : Dean Cundey
Montage : Daniel P. Hanley, Mike Hill
Bande originale : James Horner, Peter Townshend
Origine : USA
Durée : 2h20
Sortie française : 8 novembre 1995


SUNSHINE

Affiche Sunshine

2057. Sur Terre, l’espèce humaine vit un hiver qui pourrait être son dernier. Son soleil meurt et elle place ses derniers espoirs dans la mission Icarus 2. Des hommes et des femmes sont chargés de larguer une bombe thermonucléaire dans l’étoile pour la ranimer. Une mission possible au regard des technologies de protection des rayons solaires, mais qui a valu la disparition du premier vaisseau sept ans auparavant. En dépit des aléas de la vie quotidienne au sein d'une telle expédition, Icarus 2 suit son chemin. Mais un signal radio à proximité de Mercure va provoquer une série de catastrophes qui mettront en péril l’équipage et la mission.

L’Homme face au soleil est une image d’une symbolique intense, considérant que nous sommes des poussières d’étoiles, idée plusieurs fois exposée dans Sunshine pour mettre en avant l’absence d’importance de cette mission de sauvetage à l’échelle de l’univers.

Sunshine
Comme Fritz Lang, Stanley Kubrick et Ridley Scott, Danny Boyle n’est pas un réalisateur de SF à proprement parler. A leur instar, il porte un grand intérêt à la vraisemblance de l’univers qui entoure son film, dans un récit qui a toutes les apparences de l’invraisemblance. Une intention orientée hard SF destinée à dépasser le simple postulat du métrage, car s’approcher du Soleil, comme le fit Icare dans la mythologie grecque, est une expérience qu’on peine à considérer comme possible en tant qu’être humain. La force de
Sunshine est de jouer avec cette dimension mystique et inaccessible en éprouvant la force des passagers de l’Icare 2, leur capacité à se dégager de leur propre condition pour mener à terme la mission et assurer la survie de leur espèce. Ils seront tour à tour victime de leur peur, de leur culpabilité, de leur fascination pour l’astre (le mythe d’Icare dans toute sa splendeur est symbolisé par la première scène avec le psychologue de bord), de leur compassion... Autant d’erreurs et d'égarements qui en entraîneront d’autres. Le plus fatal étant l’assujettissement au Dieu qui étreint le capitaine du précédent vaisseau, devenu un fanatique ayant la possibilité de menacer le projet.

Sunshine
Danny Boyle a toujours prôné le dépassement de l’être humain, qu’il traite d’un drogué prisonnier de son addiction (
Trainspotting), d’un homme coincé dans un désert pendant plusieurs jours (127 Heures) ou d’un indien qui parvient à s’extirper de la rue (Slumdog Millionnaire). Le cinéaste anglais oblige ses héros à se détacher d’une partie d’eux-mêmes et de leur groupe pour pouvoir venir à bout de leur épreuve. Il ne minimise pas le bénéfice de tous ces éléments, ni leur séduction (ici les scènes d’aveuglement par le Soleil sont d’une rare beauté), les sacrifices de chacun sont brillamment mis en valeur alors que la froideur de Mace (Chris Evans) et de Capa (Cilian Murphy) les rendent d’abord antipathiques. Malgré leur opposition, ce sont au final les plus aptes à accomplir la mission : Mace possède un attachement à sa planète qui l’oblige à rester focalisé sur leur but, Capa possède un esprit suffisamment rationnel pour effectuer les choix difficiles et survivre aux sollicitations passionnelles. Le retour sur la raison de cette expédition dans les dernières images ne laisse plus de doute sur les intentions du cinéaste. L’être humain chargé d’une telle responsabilité doit être plein et logique, puis assumer des sacrifices, notamment celui de sa propre spiritualité.
Malgré sa richesse thématique,
Sunshine ne se perd pas dans des trips alambiqués, pêchant même par l’inverse en proposant un slasher spatial grotesque dans sa dernière partie. Boyle va piocher dans Silent Running (le lien à la Terre), Alien (la menace dans un huis-clos), Event Horizon (le vaisseau fantôme) et 2001(l’expérience mystique, la représentation du vide). Des emprunts pour la plupart revisités afin de proposer de l'inédit magnifié par les images (la réalisation est aux petits oignons) et le son (le thème principal de John Murphy connaîtra une carrière qui dépassera le cadre du film) et nous permettre de ressentir l’épiphanie de l’astronaute qui vit ses derniers instants dans la lumière de l’astre pour le bien de l’humanité.

SUNSHINE
Réalisateur : Danny Boyle
Scénario : Alex Garland
Production : Bernard Bellew et Andrew Macdonald
Photo : Alwin H. Kuchler
Montage : Chris Gill
Bande originale : John Murphy & Underworld
Origine : GB
Durée : 1h48
Sortie française : 11 avril 2007


MOON

Affiche Moon

La société Lunar extrait de l’hélium 3 sur la Lune pour remédier à la crise de l’énergie sur Terre. Sam Bell fait partie des employés envoyés vivre trois ans dans une station lunaire, avec pour seul compagnie le robot Gerty chargé de veiller aux tâches quotidiennes et à son bien-être. Trouvant l’isolement difficilement supportable, il s’impatiente de rejoindre sa femme et sa fille sur Terre. Mais un accident survient peu avant la fin de la mission alors que Sam effectuait une sortie. Il se réveille sans dommage, mais ne tarde pas à soupçonner que des choses étranges se déroulent sur la station. Insistant pour retourner à l’extérieur, il trouve dans les décombres de son véhicule un homme qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau.

Moon
Premier film de Duncan Jones (Source Code), réalisé en indépendant pour seulement cinq millions de dollars, Moon est un modèle d’utilisation intelligente d'un maigre budget : unité de lieu, nombre réduit de personnages, absence de scènes d’action d’envergure, rythme languissant... Duncan Jones transcende tous ces obstacles pour livrer un des meilleurs films de ces dernières années. Le jeune cinéaste, fils de David Bowie, soigne ses décors lunaires et la topographie de sa base afin d'y faire émerger un sentiment d’authenticité. Le quotidien du héros fait songer à celui de Freeman de Silent Running, à ceci près que Sam Bell est employé d’une entreprise privée sensée fournir à la Terre ce dont elle manque. Une philanthropie déguisée que dissimulent mal des campagnes publicitaires comme on en voit beaucoup et une politique de ressources humaines fort discutable. Moon, c’est un peu l’aboutissement de la logique du salarié interchangeable, programmable à loisir, et l’abolition totale du facteur humain dans une logique de profit immédiat. Le film de Duncan Jones plonge à pieds joints dans des problématiques de bioéthique, mais s’intéresse bien plus aux conséquences d’une situation hors du commun.

Moon
Imaginez devoir cohabiter loin de tout avec un double de vous-même. Un beau sujet de court-métrage. Sur ce postulat simple, Duncan Jones produit des étincelles durant une heure quarante. Le jeune cinéaste profite des années séparant les deux Sam pour mettre en avant une différence de caractère, d’abord génératrice de défiance, puis de conflits entre les deux hommes et enfin d’une proximité sans égale. Se retrouver seul avec soi-même, un robot pour seul arbitre, lui fait prendre conscience de l’homme qu’il était avant sa retraite et des progrès qu’il a accompli. L’autre Sam, plus impulsif, trouve dans ce compagnon l’inspiration pour aller jusqu’au bout de sa quête finale. Sur les superbes notes de piano de Clint Mansell (compositeur attitré de Darren Aronofsky), les moments partagés avec les deux hommes, comme la découverte progressive de l’impossibilité de vivre la vie familiale dont ils rêvent, deviennent d’autant plus viscéraux.
Grâce à un scénario impeccable distillant les informations avec intelligence, une épatante ambiance immersive dans ce quotidien spatiale et à l'interprétation de Sam Rockwell, Moon redonne à lui seul espoir dans les capacités du cinéma à lier l’émotion à la réflexion.

MOON
Réalisation : Duncan Jones
Scénario : Duncan Jones, Nathan Parker
Production : Nicky Moss, Stuart Fenegan, Trudie Styler
Photo : Gary Shaw
Montage : Nicolas Gaster
Bande originale : Clint Mansell
Origine : Britannique
Durée : 1h37
Sortie française : 16 juin 2010 (en DVD)


(1) Brillant technicien de l’image, Trumbull a aussi été un précurseur avec la mise au point du procédé Showscan, basé à partir de la pellicule 70 mm, avec une vitesse de 60 images par secondes (au lieu de 24 au cinéma). Il parviendra par ailleurs à proposer aux parcs d'attraction des essais en 3D sans lunettes pour les spectateurs, mais le projet se révéla trop coûteux. Il participa également à l’attraction Star Tours.

(2) Terme régulièrement employé par les créateurs du film dans le making-of présent dans l’édition DVD du director’s cut (2003).


En bonus, le superbe court-métrage Les Astronautes réalisé en 1959 par Walerian Borowczyk et Chris Marker :