Le cinéma d'horreur français

Qu'un sang impur...

Martyrs

Alors que se profile à l’horizon la 16ème édition du festival de Gérardmer Fantastic’Arts 2009, avec dans sa besace une pelleté de films de "genre" plus ou moins attendus et susceptibles d’être présents (Lady Blood, Mutants, Ricky, Humains), L’ouvreuse se penche sur l’existence a priori inconciliable d’un cinéma d’auteur et d’horreur français. Attention le combat risque d’être sanglant !


Depuis presque dix ans le cinéma de genre français fait recette. Et pour peu que vous auriez été envoyés au fin fond d’une île déserte, vous avez forcément entendu parler de cette "nouvelle vague" du cinéma français (jusqu’au info du 20 heures, c’est dire), vous avez forcément été amenés, à un moment ou à un autre, à participer à une discussion sur le sujet, à partager votre propre avis sur la question sur les nombreux forums et blogs qui pullulent sur le Net (à ce titre, je vous invite à lire la missive lancée par Rafik Djoumi il y a plus d'un an sur son propre blog Compagnon geek dans un article intitulé "Le Z ou l’infini"). Il faut se rendre à l’évidence, le sujet interpelle, voire passionne une grande majorité des cinéphiles français. Encore récemment, la chaîne cryptée Ciné Cinéma proposait dans le cadre de son programme On Demande A Voir une émission entièrement consacrée au cinéma de genre franchement passionnante (c’est suffisamment rare chez nous pour être signalé) où tour à tour différents intervenants (dans l’ordre : Yannick Dahan (1), Alexandre Aja (2), Philippe Rouyer (3) et Vérane Frédiani (4)) faisaient un état des lieux assez inquiétant et pessimiste de l’avenir de ces productions made in France. Vous l’aurez sans doute deviné, mais toute cette agitation médiatique tourne toujours autour de cette même et lassante ritournelle : existe-il un cinéma fantastique français de qualité ? Existe-il un cinéma policier français de qualité ? Etc. Existe-t-il tout simplement un cinéma de genre français de qualité ?

A peine a-t-on prononcé la problématique que déjà le cinéphile ordinaire se heurte à la définition même du "cinéma de genre", formulation que tout le monde s’accorde à reconnaître qu’elle n’est pas vraiment appropriée pour identifier l’éventail populaire de la production mondiale (5). Car, après tout, de quel cinéma de genre parle-t-on ? Ne faut-il pas parler de cinéma des genres ? Ou, pour reprendre le titre d’un ouvrage universitaire écrit par Raphaëlle Moine en 2005, Les Genres Au Cinéma (j'invite tous lecteurs passionnés par le sujet à le lire ardemment) : ne peut-on pas admettre une bonne fois pour toute l’idée, malgré toute la volonté de nos chères têtes pensantes à séparer de manière arbitraire commerce et art, que l’ensemble de l’industrie cinématographique est entièrement inféodée à l’idée même de genre. C’est une condition sine qua non pour que des œuvres soit reconnues et identifiées par le public. En ce sens, oui, le cinéma d’auteur français est un genre à part entière dans la mesure où il s’inscrit dans un marché clairement reconnaissable (les salles art et essai), dans un cadre idéologique visible (le cinéma réaliste et les préceptes de la politique des auteurs), et parce qu'il véhicule un imaginaire et des thématiques suffisamment reconnaissables et redondantes pour que quiconque puisse l’identifier à la simple vision de la chose (ou dès lecture du titre, du casting, dès la découverte de l’affiche). En gros ce qu’en littérature on nomme un "horizon d’attente". 

Cette confusion entretenue en partie par les critiques eux-mêmes entre les termes "genres" et "auteurs" est tellement évidente et palpable qu’elle en devient risible lorsqu’on ne fait justement plus la différence entre l'un et l’autre. Pour preuve, en 2004, James Quants écrit sur le forum Arts Films du site BNF un article révélateur de cette dérive terminologique : Flesh And Blood: Sex and Violence in Recent French Cinema, texte anglophone aboutissant à la visibilité naissante d’un nouveau courrant artistique français, le cinéma d’horreur d’auteur français. Déjà, le simple fait d’associer les termes "horreur" et "auteur" devrait faire bondir (ou sourire, c’est selon) n’importe quels cinéphiles doués de bons sens. Cela devient carrément surréalistes lorsqu’on voit les noms des réalisateurs alignés et associés à ce courrant : quid des Alexandre Aja, Eric Valette, Pitof, Lionel Delplanque, Florient Emilio-Siri, Matthieu Kassovitz, Doug Headline auxquels on songe immédiatement ? Et bienvenue à Bruno Dumont, Catherine Breillat, Philippe Gandrieux, Gaspar Noé, François Ozon, Marina de Van, Claire Denis, Patrice Chéreau. Fait unique donc dans les annales de l’histoire du cinéma, et belle preuve de diversité esthétique de la cinématographie française (sic) : un courrant artistique ne désigne plus forcément les mêmes films et ne touchent pas forcément les mêmes publics. Encore récemment lors d’un échange amical avec une universitaire, celle-ci m’avouait que François Ozon était, selon elle, le meilleur cinéaste français de genre en activité. Comment lui expliquer mon embarras sur l’étrangeté même de cette hypothèse ? Sur l’idée saugrenue mais ô combien partagée par beaucoup, que le cinéma d’auteur français serait finalement le seul garant d’un cinéma de genre de qualité. J’en connais déjà certains en train de s’étouffer avec leurs pizzas au fromage. Un petit rappel historique me semble pour le coup bienvenu pour comprendre cette situation tout droit sortie d’un épisode "twilightzonesque".

Martyrs
Martyrs, exemple d'un certain cinéma attachant



Les films de genre entrent dans la place
Apparue dans les années 80 sous les plumes généreuses et passionnées des rédacteurs de Starfix, le terme "film de genre" avait été mis en avant à la base dans une logique militante, avec pour objectif de donner une visibilité, une légitimité à des catégories de film reposant sur des imaginaires reconnaissables et définis par le public, des récits certes codés mais malléables à l’infini. Il s’agissait surtout de rendre justice à des cinématographies populaires systématiquement bafouées par nos élites (de droite ou de gauche) avec une violence et une virulence inimaginable pour les générations actuelles (on parlait fréquemment du cinéma des années 70 et 80 comme d’une période moyenâgeuse). Avec pour finalité ce souhait utopique d’unir, de fusionner des idées cinématographiques a priori inconciliables (d’un coté la politique des auteurs (6) et de l’autre un cinéma populaire issu majoritairement de l’industrie de masse propre aux grandes nations du cinéma). Ce label visant à fixer une qualité va hélas rapidement devenir un pi&egrave et se se retourner contre lui, participant à agrandir une fracture déjà présente dans les années 50, qui opposait, en caricaturant à peine, les exégètes du cinéma réaliste (plus ou moins théorisé par André Bazin, Siegfried Krakauer et les intellectuels italiens) et ceux d’un cinéma de l’imaginaire (la clique des Midi-Minuit, Ado Kyrou, Gérard Lenne, etc.). Pas la peine d’épiloguer pendant des heures pour savoir quelle tendance va sortir vainqueur de cette bataille idéologique, il n’y a qu’à lire le sommaire du numéro de décembre "Bazin en Chine" des Cahiers Du Cinéma (la seule revue à croire encore que le cinéma français est le meilleur au monde) pour comprendre que ce label a joué un rôle déterminant dans la disparition progressive d’un cinéma populaire nationale. Dans ce cadre, le cinéma fantastique se devait également de subir un ravalement de façade ; c’est là qu’apparaît la fameuse tradition poétique française.


The french poetic tradition
Comme vous le savez, la France a cette réputation de ne pas avoir de cinéma fantastique (7). Ce qui est comme vous vous en doutez bien archi faux pour peu que vous jetiez un coup sur notre production nationale. Néanmoins cette idée s’est peu à peu imposée dans les esprits, au point de la faire rimer avec "cinéma lent, ennuyeux et terriblement prétentieux". Ce sentiment gagne pourtant à ce qu'on le minimise, car cette production est très loin d’être inexistante et mauvaise. Malheureusement, elle a été le centre de débats et de disputes essentiellement d’ordre idéologique et esthétique qui va l’éloigner à partir de la fin des années 60 de sa nature populaire. Par un tour de passe-passe absolument scandaleux, la critique française, forte d’une tradition catholique conservatrice, va tenter de fusionner le fameux concept du cinéma réaliste avec son exact opposé, le fantastique. La question de la politique de l’auteur fut donc subtilement détournée de son utilisation première (film réaliste égal film d’auteur) pour devenir le porte-drapeau d’un réalisme authentique, récupérant le succès de la Nouvelle Vague pour imposer à la fois un cinéma de qualité, libre de toute contrainte commerciale, et surtout loin de l’industrialisation de masse. Le cinéma populaire subit, dès lors, un véritable diktat de la pensée intellectuelle réduisant celui-ci à une dimension purement mercantile. Et pour bien signifier que ce cinéma ne vaut rien, on lui accola tour à tour différents noms d’oiseaux : cinéma bis, cinéma d’exploitation, cinéma porno, jusqu’à ce terme plus consensuelle qu'est "le cinéma de genre", très utile au critique pour distinguer un cinéma artistique d’un cinéma, heu, comment c’est déjà... ah oui, de genre.

Le cinéma fantastique français va être la première victime de cette récupération intellectuelle puisqu’il s’agissait, au nom de l’esthétique de la Nouvelle Vague et de la tradition réaliste, de défendre une conception du fantastique qui ne doit surtout pas ressembler à ce que de nombreux critiques appelaient naguère avec un mépris évident "le fantastique folklorique" (même les honorables membres de la revue Midi-Minuit Fantastique ne pouvait se défaire de cet héritage). C’est de là que vient le terme "tradition poétique fantastique française", déjà employé pour évoquer une production typiques des années 40, mais qui fut à son tour détourné de sa vocation populaire (en gros, La Belle Et La Bête c’est pas du cinéma fantastique, c’est de la poésie, vous voyez le genre). Dans cette logique, il fallait coûte que coûte que la production fantastique de l’époque, parfois excellente (cela va des Yeux Sans Visages, Judex en passant par Le Testament Du Dr Cordelier et plus tard L’Alliance), s’extraie de la masse infâme du cinéma d’exploitation pour valider sa qualité et surtout sa supériorité. C’est à ce titre qu’on a vu germer entre la fin des années 60 et le début des années 70 une liste de termes tous plus cocasses les uns que les autres pour illustrer les bandes fantastiques (8) : fantastique réaliste, fantastique moderne, fantastique contemporain, poésie fantastique abstraite.

Vous comprenez pourquoi, au moment même où on tentait d’imposer un label de qualité avec la délicatesse d’un éléphant (alors que le public déteste plus que tout qu’on lui dise ce qu’il doit aimer et ce qu’il doit considérer comme de la qualité), le cinéphile ordinaire se décide de se foutre comme d'une guigne de ce cinéma bourgeois (9), célébrant dans un élan d’amour cinéphilique le fabuleux cinéma américain, bouleversant toute une génération de geeks avides de sensations fortes. La conséquence fut désastreuse (même si on peut toujours trouver des exceptions et de bons films, là n’est pas la question), le fantastique français s’est totalement désolidarisé du public de base (10) en imposant une série d'objets embarrassants (Alice Et La Dernière Fugue, La Belle Captive, Le Jeu Avec Le Feu, La Bête, Cérémonie d’Amour, Litan, Oppressions, Coïncidences, Clash, L’Ange, Le Passage, Peau D’ange, L’unique, Grand Guignol, Docteur Jekyll et les Femmes, Frankenstein 90, La Chute de la Maison Usher, Le Secret de Sarah Tombelaine, L’Oeil Qui Ment, Farendj).

A L'Intérieur
A L'Intérieur : on lui avait pourtant dit de mettre de la mousse



A coté de la plaque
Dans les années 80, certaines œuvres ont tenté de manière maladroite de sortir de cette prison rhétorique, imposant des œuvres d’inspirations dites américaines. Vous les connaissez toutes pour la plupart : Terminus, Le Prix du Danger, Zone Rouge, Némo, Le Démon Dans l’Ile, L’Union Sacrée, Kamikaze, Les Spécialistes, Rue Barbare, 36 15 Code Père Noël, etc. Cette incapacité des réalisateurs français à rivaliser avec le cinéma américain, ne serait-ce que sur le plan purement technique, est d’ailleurs un des grands enjeux de ces dernières années. L’échec regrettable de ces films (encore récemment Chrysalis ou Dante 01) n'ont fait que stigmatiser la faiblesse d’une cinématographie préoccupée de son propre marché local.
Certains journalistes de Mad Movies (Arnaud Bordas, Julien Dupuy, Rafik Djoumi) avaient dès 2001 démontré les manques et faiblesses des productions françaises, prisonnières à la fois de l’étroitesse de leur marché, de structures de production peu fiables et solides (et oui, le fantastique passe aussi par des phases d’écriture et de pré-production), de cette idée affligeante du spectateur enfant incapable d’user de son libre arbitre, ou tout simplement de l'incapacité chronique des professionnels de mettre en pratique un savoir ou un jugement acquis par l’expérience. L’inégalité des résultats témoigne d’une réelle difficulté des metteurs en scène français à instaurer un cinéma fantastique à la fois en phase avec leur propre attente et celle du public tout en rivalisant avec le niveau de technicité indispensable à la mise en place d’une qualité nationale du cinéma de genre.

Où se situe alors le cinéma d’auteur d’horreur français ? Ben, ici, dans cette faille. En partant du principe, qu’il n’est soi-disant pas possible de rivaliser sur ce terrain avec le cinéma américain (heureusement que Florient Emilio-Siri est passé par là pour prouver le contraire), les cinéastes français ont été sommés de chercher une alternative susceptible de contourner des exigences techniques insurmontables pour des budgets microscopiques, tout en essayant de retrouver les faveurs d’un public populaire désireux de nouvelles expériences.
Dans un registre nettement plus méchant et polémique, Baxter (1988) de Jérôme Boivin et Carne (1990) de Gaspar Noé, Délicatessen (1990) de Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro, Lune Froide (1991) de Patrick Bouchitey, C’Est Arrivé Près De Chez vous (1991) de Benoît Poelvoorde, Rémy Belvaux et André Bonzel, trouvent un ton et une ambiance qui tranchent nettement avec les films cités plus haut. En orientant les histoires vers une horreur sociétale et clinique (parfois à la lisière du polar, du film noir ou de l’étrange) plutôt que celle d’un cinéma fantastique traditionnel, Gaspar Noé, Jérôme Boivin et les autres préparent le chemin de la nouvelle génération des réalisateurs de films d’horreur français, moins exigeant en terme technique ou logistique mais plus enclin à traduire une vraie identité dans le cinéma de genre. Citons : La Bouche de Jean-Pierre (1996) de Lucile Hadzihalilovic, Assassin(s) (1997) de Mathieu Kassovitz, Sitcom (1998) de François Ozon, Seul Contre Tous (1998) de Gaspar Noé, Sombre (1998) de Philippe Gandrieux, Les Amants Criminels (2000) de François Ozon, Les Rivières Pourpres (2000) de Mathieu Kassovitz, Promenons-Nous Dans Les Bois (2000) de Lionel Delplanque, Trouble Every Day (2001) de Claire Denis, Nid de Guêpes (2001) de Florient Emilio-Sirit, Irréversible (2002) de Gaspar Noé, Haute Tension (2003) d'Alexandre Aja, Calvaire (2005) de Fabrice De Welz, La Colline a des Yeux (2006), d'Alexandre Aja, Sheitan de Kim Shapiron, A l’intérieur (2007) de Alexandre Bustillo et Julien Maury, Frontières (2007) de Xavier Gens, P2 (2007) Frank Khalfoun, Martyrs (2008) de Pascal Laugier, Vinyan (2008) de Fabrice Du Welz, en attendant de voir à quel niveau et registre se situent les prochains Lady Blood (2008) de Jean-Marc Vincent, La Horde (2009) de Yannick Dahan et Benjamin Rocher, Mutant de David Morley ou encore Humains de Jacques Olivier Molon et Ricky de François Ozon.

On le voit, il y a un paquet de titres, certains sont sans aucun doute discutables dans notre corpus. Il n’en reste pas moins que d’un point de vue technique et commercial (si on compare leurs budget respectifs) mais aussi dans les nombreuses  thématiques analogues (un discours sur la chair, l’affrontement sociétal et civilisationnel entre le monde de la cité et le monde rural, etc.), peu de choses séparent fondamentalement le cinéma de Claire Denis (Trouble Every Day, donc) d’A l’Intérieur (casting compris), de Sombre à Haute Tension, si ce n’est le cursus et le background de leurs auteurs.

Trouble Every Day
Trouble Every Day : attention, selon Pascale Deschamps, ceci est une image porno


Et pour cause, la domination du cinéma américain dans les années 70 et 80 a eu comme effet positif de permettre à une nouvelle génération nourrie en grande partie par le cinéma d’exploitation (dont Mad Movies, L’Ecran Fantastique, Starfix, Impact, et Ciné News se sont largement faits écho) de s’imposer sur le marché européen et international validant ainsi une qualité du cinéma de genre français. Cette nouvelle génération se distingue profondément de la tradition poétique française à travers ses références, ses influences et sa plus-value technique qui lui permet, malgré des budgets ridiculement faibles (on évoque une moyenne de deux millions d'euros, ce qui est clairement la lose (11)) et des carences de production propres au système de financement français, d’être compétitive sur le marché international. C’est sans aucun doute avec ce rapport qualité/prix qu'est née une certaine reconnaissance permettant ainsi à de nombreux cinéastes français (Jean-Pierre Jeunet, Mathieu Kassovitz, Florient-Emilio Siri, Christophe Gans, Alexandre Aja, Eric Vallette, Xavier Gens, Xavier Palud…) d’être régulièrement embauchés sur des commandes états-uniennes (Alien La Résurrection, Otages, Silent Hill, Catwoman, L’Incroyable Hulk, Gothika, Hitman, Babylon A.D, La Colline A Des Yeux, Mirrors). Il ne s’agit pas de se réjouir ou de condamner cette forme de fuite de nos forces créatrices mais de souligner comment le système de financement français empêche, à quelques trop rares exceptions (Peut-Etre de Cédric Klapish, Immortel, de Enki Bilal, Dante 01, de Marc Caro ; oui, je sais…), de plus vastes projets audacieux à voir le jour. La préférence des jeunes metteurs en scène hexagonaux pour le cinéma d’horreur est une réponse pragmatique pour palier à la faiblesse du budget alloué (multiplication des lieux clos, distributions peu riches en personnages et ligne narrative minimale) comme du manque de structures cohérentes capables de suivre des projets risqués.

Le hic, c’est que c’est également par le biais de ces contraintes et donc des libertés attenantes que le cinéma d’horreur d’auteur s’est imposé, s’inspirant de Cronenberg, Lynch, Polanski, Romero, Hooper, Craven, Carpenter (bref, toutes les figures subversives du cinéma des années 70 et 80). A contrario du festival de Gérardmer (qui a semble-t-il senti le vent venir), le festival de Cannes a alors joué comme jamais la carte de l’ouverture, permettant justement à certaines productions à mi-chemin entre un rendu propre au film d’auteur et le film d’horreur (Assassin(s), Irréversible, Seul Contre Tous, Trouble Every Day et je ne parle même pas de Michael Haneke qui a bâti toute sa carrière sur ce créneau), d’être considéré comme des films de genres, une anomalie systémique entre des réalisateurs formés à l'esthétique issue de l’IDHEC et des thématiques bourrés de métaphores et d’allusions au chaos ambiant, à la société de consommation, à la violence des cités, à l’insécurité. C’est d’ailleurs à ce niveau que ce situe le principal malentendu. Le public d’amateurs de l’époque qui se déplaçait pour voir du Zombies, Alien, The Thing, Chromosome 3, Videodrome ou Gremlins voulait d’abord des œuvres spectaculaires, effrayantes, originales, inédites, ressentir des sensations qui dépassent grâce à l’imaginaire le principe du vraisemblable et surtout du discours idéologique. Malheureusement, les metteurs en scène français ne semblent garder que l’une ou l’autre des deux tendances (soit un cinéma d’allégories, de métaphores et de discours ou un cinéma gore et minimaliste sans aucune accroche idéologique ou politique (12)) et c’est pourquoi nous avons aujourd’hui deux courants distincts, mais issus d’un même système de production.

Le cinéma d’horreur d’auteur a-t-il un avenir en France ? Certainement, dans la mesure où chacune des deux tendances tenteront de tirer avantage d’une situation inédite : d’un coté, des metteurs en scène français (Ozon, Breillat, Denis, Dumont) bien établis sur le marché hexagonal, bénéficiants de l’aide au financement, de l’appui des critiques, de la visibilité de festivals prestigieux (Cannes, Venise et Berlin) et d’un réseaux de distribution qui a fait depuis longtemps ses preuves (le label des salles art et essai). Reconnus par un public fidèle, ils marchent la plupart du temps assez bien en salle. Par contre, ils sont inexploitables sur le marché international, marqués par une forme et un parti prix jugés austères. A l’autre bout du phénomène, nous retrouvons ceux qui payent visiblement leurs statuts (issus des revues de cinéma populaires ou du court-métrage) et leurs origines modestes. Car bien que produits, écrits et réalisés dans des conditions proches d’un cinéma d’auteur traditionnel, ils ne sont pas reconnus en dehors des circuits marginaux, ne bénéficient d’aucun soutient particulier de la presse influente et se prennent des vestes magistrales au box-office. Pas assez intello pour intégrer les circuits arts et essais, mais pas assez spectaculaire pour rivaliser avec les scores des Saw. Par contre à l’étranger, c'est la panacée, et ce sont ces mêmes réalisateurs qu’on sollicite pour réaliser les futurs Piranha 3D et autre Choc Des Titans. On peut appeler ceci un paradoxe. Ce n’est finalement que le résultat de notre propre politique, l’exception culturelle française.




(1
) Ancien critique de Positif et Mad Movies, animateur de l’ancienne émission Frisson Break, Yannick Dahan a terminé le tournage de son premier film La Horde, prévu pour l’été 2009.

(2
) Réalisateur entre autres de Haute Tension, de La Colline A Des Yeux et du récent Mirrors.

(3
) Journaliste à Positif et membre de la commission de censure, auteur du livre Le Cinéma Gore - Une Esthétique Du Sang (éditions du Cerf).

(4
) Productrice à La Fabrique De Films, responsable de métrages tels que A l’Intérieur ou Humains.

(5
) Nos élites ont la fâcheuse tendance à assimiler, voire réduire par commodité idéologique, les films de genre au cinéma horrifique, sadique, et gore, sans discernement ni clairvoyance.

(6
) Rappelons juste aux étourdis que cette politique des auteurs, instaurée en place par les rédacteurs des Cahiers Du Cinéma (Truffaut, Chabrol et les autres) visait à l’origine à rendre surtout visibles et légitimes des metteurs en scène américains totalement mis au ban par les intellectuels de l’époque (Hitchcock et Hawks en tête).

(7
) Un ouvrage sur le sujet devrait paraître dans les mois à venir, Le Cinéma Fantastique Français : Un Rendez-Vous Manqué ? dirigé par Frédéric Gimello-Mesplomb.

(8
) Citons de mémoire : La Rose Ecorchée de Claude Mulot, Morgane Et Ses Nymphes de Bruno Gatillon, L’Etrangleur de Paul Vecchiali, Le Moine de Ado Kyrou, L’Homme Au Cerveau Greffé de Jacques Doniol-Valcroze, Les Soleils De l’Ile De Pâques de Pierre Kast, Le Seuil Du Vide de Jean-François Davy, L’Araignée D’Eau de Jean-Daniel Verhaegue, L’Alliance de Christian de Chalonge et Au Rendez-Vous De La Mort Joyeuse de Juan Bunuel.

(9
) Période qui coïncide comme vous vous en doutez à l’explosion du phénomène fanzinat en France, et à la mise en place de deux évènements médiatiques ultra populaires, le festival international du film fantastique et de science-fiction de Paris et le festival international du film fantastique d’Avoriaz.

(10
) Fanzines, revues, festivals, marchés vidéos compris.

(11
) Il est utile de rappeler qu’aucune de ses productions n’a pu obtenir à ce jour la fameuse avance sur recette. Par ailleurs, il convient de signaler que n’importe quel auteur adepte du cinéma nombriliste trouve sans trop de difficulté les avances nécessaires, avances issues des tickets de cinéma massivement écoulées grâce… au cinéma de genre américain, leader sur notre territoire.

(12
) Vous conviendrez que les diverses tentatives d’inscrire dans des récits (ceux de Sheitan, A l’Intérieur ou Frontière(s)) des situations politiquement marquées ne sont pas très convaincantes et agissent essentiellement sous forme citationnelle sans avoir une quelconque incidence sur la narration.




   

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