The Mist

L'horreur est humaine

Affiche The Mist

Encore une adaptation de King ? Z’en n'ont pas marre de nous vendre de la soupe sur le nom prestigieux de ce romancier à succès (euphémisme !). A croire qu’avec les remakes, il n’y a que ça pour faire venir les gens dans les salles !

C’est sûr qu’après le très moyen Chambre 1408, voir arriver l’adaptation de la géniale nouvelle Brume laissait augurer du pire. Seulement c’est Frank Darabont qui réalise et malgré de sérieuses défaillances, The Mist s’avère au final être la meilleure adaptation de King au cinéma.


MISE AU POINT

Malgré les nombreuses adaptations foireuses du maître de Bangor, Stephen King reste une valeur refuge pour les studios en mal d’inspiration. Des costards-cravates qui n’ont jamais compris ce qui rend cet écrivain si populaire. Pour eux, seul importe le cocktail horreur-gore-suspense qui plaît tant aux ados et dont King est le chantre. Seulement voilà, King ce n’est pas que ça. On peut même dire que l’imagerie fantastique sert juste de décorum à ses histoires qui prennent le parti de décrire et analyser avant tout les comportements humains confrontés à une menace ontologique et/ou surnaturelle. Bien sûr, il adore les récits d’horreur (littéraires ou cinématographiques) et adore faire trembler les lecteurs. Mais pour lui, ce n’est pas une fin en soi. Car le fond de ses romans et nouvelles est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît, cherchant à divertir son lectorat pour mieux lui balancer dans la gueule des interrogations empreintes d’humanisme : le difficile passage à l’adolescence, le non moins difficile travail de deuil, la vieillesse, la condition de l’écrivain, le fanatisme religieux, la famille, etc. Autant de thèmes qu’il parvient à marier avec élégance à des visions dantesques, apocalyptiques ou de terreur absolue.

Et ce n’est pas un hasard si les meilleures adaptations de King sont l’œuvre de réalisateurs pour qui le cinéma de genre est un biais extraordinaire pour faire passer les idées les plus subversives ou transgressives. De Palma, Kubrick, Carpenter ont tout compris à la nécessité d’adapter ces écrits. Or les studios préfèrent généralement confier à des yes-men dociles (pléonasme !) le soin d’adapter littéralement le texte à l’écran, ceci afin de ne pas s’attirer les foudres des fans intégristes (qui ne seront jamais contents quoi qu’il arrive) si la moindre virgule n’est pas respectée et d’éviter de se couper d’une large audience. Cas d’école, le "master of horror" auto-proclamé Mick Garris, champion des transpositions serviles, sans âmes et sans saveurs (La Nuit Déchirée, Le Fléau, Shinning la mini-série...)
Autre idée reçue, on assimile un peu trop facilement l’auteur comme un simple conteur d’histoires horribles et macabres. Je ne citerai que les titres ayant donné lieu à d’autres merveilleux films, Stand By Me (Rob Reiner, 1986), Les Evadés et La Ligne Verte de Frank Darabont.


ASSAULT ON SUPERMARKET 13
Un Darabont - auteur des scripts de La Mouche II (Chris Wallas), Freddy 3 et Le Blob version 1989 (tous deux de Chuck Russel) quand même - qui a parfaitement assimilé lespréoccupations du romancier. Comme King, il est plus intéressé par les rapports humains, les tensions et les interactions qui en découlent. Et une fois encore, il démontre avec The Mist son incroyable capacité à dépeindre et encourager l’empathie pour ses personnages en quelques plans.

Suite à une violente tempête, la plupart des habitations d’un petit patelin du Maine sont endommagées. Afin de réparer les dégâts et se réapprovisionner, la plupart se rend à la supérette du coin. Très vite, une brume épaisse enveloppe la ville. Contraint de se réfugier à l’intérieur suite aux avertissements d’un homme ayant échappé à l’attaque de créatures se dissimulant à l’intérieur, les clients vont se retrouver assiégés par toutes sortes de bestioles particulièrement voraces mais aussi faire front aux différentes tensions naissantes. Pour David Drayton (Thomas Jane dans le rôle de sa carrière), un cover-artist de cinéma, l’enjeu sera de préserverl’unité de cette communauté constituée tout comme protéger son fils, Billy, des monstres. Que ceux-ci soient à l’extérieur ou à l’intérieur.

La première chose qui choque dans le film sont les effets-spéciaux particulièrement foireux. Des tentacules caoutchouteuses ou en CGI approximatifs, des araignées en plastoque et en toc… Seuls les monstres restant dissimulés dans la brume acquièrent une dimension fantasmatique et menaçante, leur silhouette à peine esquissée laissant toute latitude à l’imagination. Pour excuses, on pourra avancer que Darabont a voulu rendre hommage à tout un pan du cinéma des années 50 où les bestioles géantes et grotesques proliféraient. Un cinéma cher à King lui-même puisqu’il aura bercé ses vertes années.Mais si les diverses créatures rencontrées s’avèrent si peu crédibles, c’est que le réalisateur s’intéresse avant tout au devenir de ses personnages et comment ils vont gérer la menace de Ms Carmody, une catholique intégriste qui psalmodie autant qu’elle insulte les autres !
L’ombre d’un autre maître plane sur le film. Celle de Big John Carpenter. Bien sûr on pense immédiatement à The Fog lorsque la brume descend de la montagne pour envelopper toute la ville, voire à The Thing et Assaut, et leur capacité à créer un huis-clos au sein même d’un environnement pourtant étendu (la neige ou la ville environnante). Comme chez Carpenter, l’origine du mal rôdant à l’extérieur ne sera pas explicité (à peine avance-t’on une expérience des scientifiques employés par la base de l’armée ayant mal tourné), celui-ci favorisant l’émergence d’échanges houleux entre diverses factions.

The Mist
 

On reproche à Darabont sa manière de filmer trop télévisuelle. Sans doute dû au fait qu’il utilise le procédé d’une caméra portée comme dans The Shield (dont il réalisa un épisode en 2006) pour conférer une certaine vigueur à sa réalisation. Ou encore qu'il n'y ait pas ou peu de profondeur de champ, l'inexistence ou presque de plans larges, l'abondance de gros plan. Pourtant, si la tension opère et se propage aussi bien, c’est grâce à ce parti pris de resserrer la réalisation. En filmant ces visages marqués par la peur, l’anxiété ou la haine, en se focalisant sur un groupe l’un après l’autre, Darabont isole les protagonistes, rendant caduque toute forme d’action collective et solidaire. Avant même que des espèces de rapaces dégénérés brisent la vitre et pénètre dans le magasin, on devine que la riposte sera désordonnée et dramatique malgré les efforts entrepris pour coordonner leurs gestes. Là encore, le choix de filmer chaque personnage principal au prise avec la menace accentue son isolement et souligne le chaos de la situation. Chacun est focalisé sur son combat, oubliant les difficultés que les autres peuvent rencontrer. Et le résultat des dommages humains prendra une résonance encore plus tragique.


OPÉRATION PEUR
Un isolement favorisé par la réalisation qui enferme de plus en plus chaque protagoniste (disparition progressive du décor pour laisser place aux personnages filmés en plans moyens) mais également par la bigote Ms Carmody (Marcia Gay Harden) qui à force de déclamer les passages les plus marquants de l’Ancien Testament après chaque attaque, convertit de plus en plus d’adeptes. Et bien vite, on oubliera la menace externe lorsque pratiquement tous seront persuadés du bien-fondé d’un sacrifice humain pour apaiser le Jugement de Dieu. Une attaque en règle du fanatisme religieux qui prend encore plus de force ici, se transformant en véritable charge radicale par le biais d’images fortes. A ce titre, la métamorphose de Ms Carmody de grenouille de bénitier inoffensive en sorcière évangéliste est emblématique. Proprement terrifiante.
Et d’un récit horrifique old school, on se retrouve embarqué dans une histoire digne du maître de Providence où une communauté d’illuminés vénère une abomination innommable en lui jetant en pâture des suppliciés. Un Lovecraft dont King na jamais caché son admiration. Et cette vision sera superbement prolongée lorsque la fin du film nous plongera dans un monde où s’ébattent des créatures informes et gigantesques.

En outre, The Mist  s’avère également être un intéressant traité sur la peur. Pour une fois l’accroche figurant sur l’affiche a un sens, "La peur change tout" affirme t’-elle. Et effectivement, la peur change beaucoup de perspectives. Si certains se montrent incapables de la dépasser pour s’enfuir (Tom au début refuse de partir pour retrouver sa femme), Horton, l'avocat, et sa clique refusent d'y céder en réaffirmant sans cesse leur rationalité, quand d’autres préfèrent se réfugier dans l’aveuglement religieux pour y échapper.
The Mist
est à ce jour la meilleure adaptation d'une oeuvre de King (celles de De Palma et Kubrick étant hors concours). Sans être d’une fidélité absolue, on a pourtant l’impression de voir s’animer sous nos yeux les mots de l’écrivain tant l’esprit et les situations sont respectées et amplifiées. Et puis d’emblée, le réalisateur annonce la couleur, en jetant le dessin abîmé représentant Roland De Giléad (héros du cycle de la Tour Sombre), David exprime la note d’intention du réalisateur : ce sera avant tout un film de Frank Darabont.
Un Darabont qui se permet le luxe d’offrir une conclusion encore plus intense. Alors que la nouvelle nous laissait dans l’expectative et l'appréhension, le film va bien au-delà. Une fin hardcore comme on en a rarement vue. Même si des imperfections parsèment le métrage, sans être pour autant rédhibitoires, la fin balaye tout d’un revers de main. Si ce n’est pas un chef-d’œuvre, en l’état The Mist est un putain de film dont les cinq dernières minutes sans parole vous terrasseront. Du grand art que de parvenir à faire culminer l’émotion par de simples échanges de regards. Une conclusion en deux temps pour mieux vous anéantir.

Seulement quarante copies circulent. Alors, si vous avez l’opportunité de le voir sur un écran près de chez vous, n’hésitez pas. Sinon, vous savez ce qu’il vous reste à faire…

6/10
THE MIST

Réalisateur : Frank Darabont
Scénario : Frank Darabont d'après une nouvelle de Stephen King
Production : Frank Darabont, Anna Garduno, Bob et Harvey Weinstein...
Photo : Ronn Schmitt
Montage : Hunter M. Via
Bande originale :Mark Isham
Origine : USA
Durée : 2h07
Sortie française : 27 février 2008