Sully

Héros malgré lui

Affiche SullyPour éviter un crash mortel, le pilote Chesley Sullenberger réussit miraculeusement à poser son appareil sur la rivière Hudson au cœur de New York, sauvant ainsi tous les occupants. Pas de quoi tenir en haleine sur un film entier ? C'est bien mal connaître le grand Clint.


Deux cent huit secondes, c'est le temps qu'a duré, le 15 janvier 2009, cet incroyable amerrissage. Mais les emmerdements pour Chelsey "Sully" Sullenberger ont duré un brin plus longtemps puisque son action est remise en question par la compagnie d'assurance pour qui le pilote aurait pu atterrir sur un des aéroports à proximité. La trame rappelle le très bon Flight de Robert Zemeckis mais diffère largement dans son traitement. Il n'y a pas réellement d'ennemi dans Sully, les bureaucrates fomentant l'enquête ne font que leur travail. De fait, le véritable antagoniste pourrait être finalement Sully lui-même dans le sens où il se met en danger tout seul en développant un doute qui ne l'a jamais effleuré derrière son tableau de bord. De la même manière, Eastwood transcende un récit que l'on pourrait limiter à la confrontation du peuple, via son incarnation en Sully, face aux institutions et administrations éloignées des réalités. Au sein d'une histoire linéaire et anti-spectaculaire, la narration se révèle plus subtile, notamment par son discours sur la différence de perception d'un événement entre les médias et les travailleurs, que Sully rencontre au gré de ses pérégrinations citadines et footing nocturnes. Et ce n'est pas le seul point de vue politique qu'Eastwood met en exergue.

Sully

Depuis Gran Torino, à l'exception de Au-Delà, les derniers films d'Eastwood sont tous des biopics. Le cinéaste s'est déjà intéressé à ce genre au long de sa filmographie mais la récurrence de ces dernières années est frappante : Invictus, J. Edgar, Jersey Boys, American Sniper. Plus que le signe de l'essoufflement de son inspiration ou le besoin de raccorder à la réalité, ces choix reflètent un désir de mettre en perspective des figures iconiques pour mieux questionner l'individu et ce qui le rattache à la communauté en termes de transmission de valeurs et de construction sociétale. Cette relation traverse son œuvre mais prend une plus grande importance depuis Invictus, ce que confirme Sully : ce n'est pas tant le héros en lui-même qui fascine Eastwood que ce qu'il représente via son parcours.

Sully

American Sniper avait généré une controverse, certains voyant une ode à un tueur assermenté. Sully peut être envisagé comme un moyen de faire amende honorable : après avoir détaillé l'histoire de celui qui fut responsable de cent soixante morts officielles, voilà Eastwood qui dresse le portrait de ce pilote qui réussit à sauver les cent cinquante cinq passagers de son avion. Mais le film s'avère plus complexe que la seule opposition entre un tueur et un sauveur avec la notion d'héroïsme en toile de fond. Au lieu d'accentuer la divergence à tout crin entre les deux anti-héros, le cinéaste va au contraire s'intéresser à ce qui les rapproche et ce que leurs actions ont engendré sur la reformulation d'une identité collective. Ce qu'ils ont vécu derrière leur lunette de visée ou leur manche les a profondément marqués, à tel point que chacun le revit intensément assis devant l'écran noir d'une télévision et éprouve toutes les difficultés du monde à renouer contact avec leur épouse (face-à-face pour Kyle, conversations téléphonique pour Sully). Mais plus qu'une construction symétrique, les deux œuvres se montrent complémentaires. Sullenberger et Kyle ont du mal à assumer le statut quasi légendaire que leur renvoie le regard des autres. C'est plus prégnant pour le sniper surnommé "Légende" mais c'est tout aussi déroutant pour le commandant de bord, tous deux envisageant mal leurs coups d'éclats au-delà de l'accomplissement de leur devoir. Cependant, en acceptant ce point de vue porté sur sa personne, Sully parvient à balayer les doutes qui l'assaillent, entretenus par l'enquête administrative dont il fait l'objet, et à retrouver une certaine assise pour affronter la commission et faire entendre sa voix.

Sully

Les parcours de Kyle et Sully s'avèrent également intéressants dans leur formalisation. Tous deux ont des positions dominantes de part leur fonction, l'un est un tireur embusqué sur les toits, l'autre aux commandes d'un avion, et leurs retours sur la terre ferme les confrontera avec des contingences en marge de leur champ d'action habituel. Mais là où American Sniper accentuait l'isolement de Chris Kyle, qu'il soit en mission ou de retour au pays, Sully, en multipliant les points de vue, met l'accent sur les individus que la manœuvre improbable de Chesley a fédérés. Au moment de l'amerrissage, c'est toute une escouade de corps de métiers, d'hommes de la rue, qui va se mettre en branle, Eastwood insistant sur l'action collective et la solidarité entre ces gens du peuple pour secourir les inconnus en perdition sur les ailes d'un avion flottant sur l'Hudson. Les cauchemars de Sully où il se voit manquer sa manœuvre pour se crasher dans les immeubles new-yorkais et plusieurs plans explicites de l'Airbus en descente vers la ville renvoient évidemment au 11 septembre 2001. Le sauvetage in extremis réussi par Sully et les personnes intervenant (secouristes patentés ou non) devient ainsi une forme d'exorcisme de ce jour funeste. Un choix pas réellement pesant dans la mesure où il remet en perspective le final de American Sniper qui voyait la communauté se ressouder autour de l'image, du mythe mortifère, de Chris Kyle (ses funérailles engendrant un important rassemblement). Après l'enterrement des dernières illusions de l'Amérique, Clint Eastwood érige ici, en contrepoint, une constructive refondation.




SULLY
Réalisateur : Clint Eastwood
Scénario : Todd Koùarnicki d’après le livre de Chesley Sullenberger & Jeffrey Zaslow
Production : Bruce Berman, Franck Marshall, Clint Eastwood, Jessica Meier, ...
Photo : Tom Stern
Montage : Blu Murray
Musique : Christian Jacob & Tierney Sutton Band
Origine : Etats-unis
Durée : 1h36
Sortie française : 30 novembre 2016