Snowpiercer, Le Transperceneige

Welcome to the machine

Affiche Snowpiercer, Le Transperceneige Quatre ans après Mother, Bong Joon-ho se frotte à la science-fiction. Un premier essai international aussi concluant que ses précédentes incursions dans le polar et le film de monstres.


Le cinéma coréen ne peut plus composer sans Bong Joon-ho, le reste du monde devra faire de même. Celui qui avait étonné avec Memories Of Murder en 2005, puis confirmé son génie avec The Host, aborde un tournant particulier dans sa carrière de réalisateur avec cette adaptation du Transperceneige : un casting international (Chris Evans, John Hurt, Ed Harris, Tilda Swinton…), une production pour partie américaine, l’appui de Marco Beltrami pour la bande originale et la foisonnante bédé française de laquelle il s’inspire, apte à toucher un public bien plus large que celui de ses précédents films.
La bande dessinée de Jacques Lob et Jean-Marc Rochette (terminée par Benjamin Legrand suite au décès de Lob) a marqué le début des années 80, mais ne connut son dénouement qu’à la fin des années 90 par deux tomes venant clore l’aventure (1).  On y suivait les survivants d’une glaciation provoquée par l’arme nucléaire qui décima une grande partie de l’humanité et contraint les survivants à vivre dans un train qui avance sans s’arrêter, le Transperceneige du titre. Un refuge paradisiaque pour les plus aisés, qui trouvèrent place dans les premiers wagons. Un enfer pour les hommes, femmes et enfants de la queue du train, pauvres, opprimés et contraints de vivre pour le confort des premiers. Lorsque Proloff, passager de la queue du train parvient à remonter les wagons, il découvre peu à peu les ficelles, mensonges et recettes utilisés par les puissants pour faire perdurer "une société créée pour la survie de tous".

Snowpiercer le Transperceneige  

Ambitieux, le récit du Transperceneige a pour avantage d’être intemporel, concentrant dans un huis-clos en mouvement une micro-société inspirée des théories marxistes et malthusiennes afin d’exposer les systèmes de manipulation du pouvoir à l’égard du peuple. Il suit une ligne de progression qui pouvait faciliter son adaptation, pour peu que l’on ne s’éparpille pas dans des intrigues annexes. Bong Joon-ho choisit ce chemin le plus cinématographiquement viable, dans un chapitrage en trois parties : la vie à l’arrière du train, le parcours des opprimés pour arriver à l’avant et l’affrontement avec le grand dirigeant à l’issue de la progression. Un choix qui lui permet  de conserver l’esprit et l’allégorie de la BD tout en joignant le film d’action à un parcours initiatique. Partis de la queue du train, les révoltés procèdent à une ascension (sociale ?) dans la machine qui leur permettra de prendre connaissance à chaque wagon de nouveaux rouages de leur oppression. Parallèlement ils subissent la menace de la sécurité du train qui doit stopper leur progression, ainsi que l’imprévisibilité des obstacles extérieurs (chocs des glaciers, tunnels…). A Bong Joon-ho de jouer admirablement sur ces trois facteurs tout en nous faisant découvrir au cœur de l’action des personnages bien plus riches qu’on le soupçonnait.

snowpiercer le transperceneige


Le réalisateur coréen peut compter sur son brio pour gérer des figures dramatiquement crédibles malgré leurs caractéristiques over the top et les confronter à des personnages plus normaux. La réminiscence de la famille barrée de The Host se réduit à un homme et sa fille (le grand habitué Song Kang-ho et la jeune Go Ah-sung), deux paumés accrocs à une drogue du futur et peu solidaires au groupe qui devront pourtant jouer un rôle prééminent dans la progression des wagons. Seules concessions coréennes du casting, ils apportent la touche inimitable du réalisateur. Dans le rôle de Proloff, Chris Evans prouve encore une fois après The Iceman qu’il peut être convaincant dans n’importe quel registre, y compris dans face à des acteurs confirmés. Sa confrontation avec Wilford, le grand concepteur de la machine et du système qui la régit, est un vrai bonheur. Version politique du magicien d’Oz (il représente la fin du parcours sur la route pavée de la rébellion et est aussi le vecteur d’un twist amer pour le héros), Wilford offre à Ed Harris un rôle à sa stature. Un rôle peu éloigné sur le papier de celui de Christof, le producteur de The Truman Show. John Hurt et Tilda Swinton (en sous-chef aux allures "gilliamiennes") sont quant à eux, excellents chacun dans leur registre, mais la plus mémorable des figures de Snowpiercer est campée par Vlad Ivanov, impressionnant en chef de la sécurité stoïque et implacable.

Snowpiercer, Le Transperceneige


Bong Joon-ho et son équipe ont  su donner vie à l’univers de la BD, insufflant une personnalité au train et une vie à tous ces personnages. Snowpiercer, film froid, qui traite de conditions de vie extrêmes, ne cherche pas à édulcorer sa violence et révèle une machine politique aussi glacée que le fonctionnement de la machine qui transporte les derniers survivants de cette espèce humaine. Une machine qui pourrait prendre vie dans des conditions extrêmes. 
Bong Joon-ho parvient pourtant à divertir et transporter suffisamment de fantaisie et d’humanité pour embarquer le spectateur dans le point de vue des survivants. Il en résulte au final un soulagement, une impression d’échapper à une horreur qui a une origine bien humaine. Et le sentiment d’avoir assisté à un film original qui laissera son empreinte dans le cinéma de science-fiction des années à venir.

 

(1) L’intégrale est rééditée par Casterman depuis le 23 août.

 

8/10

SNOWPIERCER
Réalisation : Bong Joon-ho
Scénario :  Bong Joon-ho & Kelly Masterson
Production : Park Chan Wook, Lee Tae-Hun, Park Tae-Jun, Dooho Choi...
Photo : Hong Kyung-Pyo
Montage : Steve M. Choe
Bande originale : Marco Beltrami
Origine : Corée du Sud / USA / France
Durée : 2h06
Sortie française : 30 octobre 2013