Mea Culpa

Policier, adjectif

Affiche Mea Culpa

L'intention avec A Bout Portant était d'étirer le dernier tiers de Pour Elle sur toute la durée d'un film, celle de Mea Culpa est à l'évidence d'allier l'action du premier à l'émotion du second. Chez Fred Cavayé chaque film repose sur les acquis des précédents pour tenter de les dépasser, et c'est déjà excitant en soi. 


Abandonnant l'homme de la rue confronté à des forces plus grandes que lui, Fred Cavayé et Guillaume Lemans (son scénariste, que nous avions rencontré à l'occasion de la sortie de A Bout Portant) s'attachent cette fois à un ancien flic, Simon (Vincent Lindon, parfait évidemment), à la carrière et vie brisées suite à un tragique accident de voiture dont il est responsable. Alors qu'il tente au jour le jour de recoller les morceaux avec son fils Théo, ce dernier est témoin d'un règlement de compte entre truands. Epaulé par son ancien collègue Franck (Gilles Lellouche, au diapason), Simon va tout mettre en œuvre pour protéger sa femme et son fils.

Mea Culpa
Articulé autour du trauma du héros et le motif déchéance/rédemption cher à Olivier Marchal, à l'origine du projet, Mea Culpa confirme une fois pour toute la capacité des auteurs à faire vivre – et surtout évoluer – leurs personnages via leurs actions et interactions. En effet, tout ici respire le besoin du mouvement et des inévitables chocs (physiques comme psychologiques) y afférant, et l'envie de les transposer à l'écran via une écriture réellement cinématographique. Cette écriture qui trouve toute sa raison d'être dans l'action, le suspense et la tension, quand l'image, les sensations ou le flux de la fiction ciné sollicitent constamment la crédulité du spectateur, flirtant avec la corde raide de la vraisemblance (absurdement et régulièrement confondue avec le réalisme). La voilà l'excitation commune du cinéaste et du cinéphile : voir, savoir, prévoir quand ça fonctionne ou ne fonctionne plus, quand et comment le spectateur restera dans le film ou en sortira. L'action, comme un autre genre méprisé, la comédie, ne fait pas de cadeau : le résultat est immédiat, donc bien plus complexe à obtenir.
Ainsi on notera ce fascinant paradoxe familier des réceptions critiques depuis quelques temps maintenant : plus un film repose sur le mouvement, le rythme, le ressenti immédiat et les affects, plus son histoire se doit de sembler artificiellement complexe (ou cahoteuse, ou moins fluide, ou distanciée) pour plaire à une coterie qui n'a peut-être pas pris le temps de réviser quelques notions fondamentales depuis Pour Elle (n'apprenait-on pas récemment qu'il n'y avait pas d'histoire dans Gravity ? Sandra Bullock fait des pirouettes pendant 90 minutes, vous n'aviez pas vu ?). Ne les dérangeons pas plus pendant qu'ils s'ébahissent par convenance professionnelle devant des Tip Top, ces œuvres nécessaires qui jouissent de l'immense mérite de "chambouler les habitudes de spectateur" de quatre-vingt mille parisiens (Sandrine Kiberlain mange une pizza sans les mains !).

Mea Culpa
Bien que la lenteur et les digressions au cinéma restent synonymes d'intelligence (un autre paradoxe sur lequel il faudra revenir), Cavayé et Lemans, eux, appuient sur l'accélérateur, restant confiants envers les capacités des spectateurs à comprendre instinctivement une mise en scène de cinéma. Cette mise en scène qui permet de faire passer des informations essentielles à la cohérence d'une séquence par la précision d'un cadrage (lorsqu'un tueur n'entend pas le gosse à cause de son casque par exemple), de jouer avec les surcadres pour indiquer l'état mental ou physique des protagonistes (la séquence du train et ses plans jambes, troncs ou visages découpés par des éléments de décor) ou d'annoncer par des ombres chinoises le nœud dramatique du film, tout ça avec un mutisme revendicatif (quand n'importe quel autre thriller US ou français aurait conclu cette scène des ombres par une question du flic pour rassurer le public, et un bon mot du coéquipier pour évacuer ladite question, et donc la possible invraisemblance).
Un rythme aussi soutenu qu'au sein de Mea Culpa ne peut tenir la distance sans quelques nécessités scénaristiques, principalement le renouvellement régulier des enjeux, exercice auquel s'appliquent les auteurs depuis leur premier film. On retiendra par exemple que de chassés, Franck et Gilles deviennent rapidement chasseurs, pour mieux redevenir proies avec une meute bien plus importante au cul. Un bien pour un mal car c'est de ces nombreux pivots qu'émerge l'effet d'annonce le plus visible (déclenchant la scène dans la boîte de nuit), qui a surtout le défaut d'être une maille un peu plus épaisse que celles qui composent l'ensemble de l'ouvrage. Mais peut-être est-ce aussi de la part de Cavayé le signe d'une plus grande confiance en son cinéma, le cinéaste signant son film le plus abouti visuellement (la superbe photo métamorphose l'ocre nocturne de la ville en rouge sang), se permettant de poser le flashback servant d'amorce dramatique à l'histoire via un détournement du gimmick éculé de la caméra épaule dont le décadrage régulier du balancier sur-signifie le désarroi d'un personnage. Effet détonnant !

Avec Pour Elle, A Bout Portant et Mea Culpa, Fred Cavayé signe un triptyque à l'ambition revigorante, trois mouvements autour d'une idée de cinéma dont les variations ne cherchent qu'à tendre vers du grand cinéma. Et le grand cinéma, il faut un grand cœur pour le voir.




MEA CULPA
Réalisateur : Fred Cavayé
Scénario : Fred Cavayé & Guillaume Lemans
Production : Jean-Baptiste Dupont, Cyril Colbeau-Justin…
Photo : Danny Elsen
Montage : Benjamin Weill
Bande originale : Cliff Martinez
Origine : France
Durée : 1h30
Sortie française : 5 février 2014

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