Les Enfants Loups, Ame Et Yuki

Le territoire des loups

Affiche Les Enfants Loups, Ame Et Yuki

Après le foisonnement tant graphique que narratif de Summer Wars, l’épure des Enfants Loups, Ame Et Yuki semble illustrer le recours à une simplification des enjeux.


Une fausse impression car avec ce nouveau film, Mamoru Hosoda livre un récit d’une densité et complexité confondantes, non pas tant dans leur appréhension et compréhension que dans la force émotionnelle engendrée.

A l’image des productions Ghibli, les films de Miyazaki en tête (par ailleurs modèle concurrentiel d’Hosoda et son studio Chizu fraîchement formé à l’occasion de ce film), les oeuvres de Hosoda outrepassent toujours les données initiales et leur angélisme de façade. Comme à chaque fois, l’argument fantastique sert avant tout au cinéaste à rythmer le récit et révéler des préoccupations beaucoup plus intimistes dont la portée transcende les différences culturelles. La capacité de déplacement temporel de l’héroïne de La Traversée Du Temps lui faisait surtout affronter les affres de l’amour. Dans Summer Wars, la menace du monstre virtuel Love Machine sur le monde réel permettait de repenser l’opposition tradition / modernité, analogique / numérique par la mise à l’épreuve de liens familiaux distendus. Les Enfants Loups, Ame Et Yuki confirme ce parti pris tout en le poussant encore plus loin. De plus, le réalisateur fait preuve d'une maîtrise hors pair des ellipses puisque en deux petites heures, le film nous fait parcourir treize années de la vie d'Hana et ses petits.

Hana, justement, tombe amoureuse sur les bancs de l’université d’un jeune homme particulièrement singulier et ce à tous les points de vue. Le mystèrieux ne se distingue pas seulement par son attitude solitaire : c’est un homme-loup ayant choisi de vivre parmi les hommes en adoptant quasi exclusivement leur forme. Il révèlera sa nature une fois sa relation relation avec Hana durablement installée, au cours d’une scène particulièrement poétique et d’une touchante tendresse : sa transformation sous un ciel nocturne étoilé s’accompagne peu après de l’union charnelle des deux amans nus, elle sans ses vêtements et lui sans sa peau d’homme. Une séquence qui annonce un des thèmes qui sera travaillé tout au long du métrage, l’acceptation de la nature de l’autre et de sa propre animalité intrinsèque.
La mort brutale de son homme quelques temps après la naissance de leur deuxième enfant, Ame, introduira le deuil (comment le dépasser, comment apprivoiser sa douleur). L’exil à la campagne de Hana et ses enfants ayant hérité du transformisme de leur père permettra d’aborder les notions de vie en communauté, de sociabilisation, de retour à la nature. Au-delà du fond, ce qui fait de cette œuvre un petit bijou n’est pas seulement circoncis à ces éléments discursifs mais aussi dans la façon de les aborder naturellement à travers une histoire d’amour filial et leurs répercussions sur les personnages.

Les Enfants Loups, Ame Et Yuki
 

Une histoire plus linéaire, donc, que les précédents films d’Hosoda dont la progression va alors s’étoffer au fil de l’évolution des personnages. Car au final, le cœur du film repose entièrement sur les frêles épaules d’Hana et sa capacité à relever le défi de l’éducation de ses enfants. Elle leur laissera ainsi le loisir de s’émanciper, de se développer et finalement de décider s’ils préfèrent être un loup ou un homme.
Cette indécision à choisir est parfaitement symbolisée lorsque, pour soigner Yuki, Hana hésite entre un cabinet de médecin et une clinique vétérinaire situés en vis-à-vis sur la même place. Une scène qui représente aussi sa position intermédiaire, qu’elle occupera tout du long, tel un véritable médium entre le monde de l’enfance et le devenir adulte de ses enfants. Hana est celle qui va leur imposer sinon des règles du moins des limites pour faciliter leur intégration (avec les autres habitants de ce coin reculé, à l’école), pour vivre harmonieusement avec leur environnement. Et notamment par le contrôle de leurs métamorphoses.

Des transformations en loups comme allégorie des changements physiologiques naturels mais également une représentation métaphorique des personnalités doubles des personnages et inhérentes à l’être humain. Sous couvert d’une approche fantasmagorique voire mythologique, Les Enfants Loups, Ame Et Yuki ne parle finalement que de sentiments humains.
Double personnalité pour tous les protagonistes, même Hana la mère courage qui se force à sourire quand tout va mal, jusqu’au personnage eastwoodien en diable du vieux paysan qui ,sous ses allures de misanthrope directement emprunté du Walt Kowalski de Gran Torino, se révèle particulièrement bienveillant. Un énergumène dont l'allure altière et les cheveux blancs suggèrent un vieux loup qui aurait complètement abandonné sa forme animale.
Cependant, si Hana leur apprend à se maîtriser, ce n’est aucunement pour réfréner leurs instincts. C’est parfaitement éclatant au cours de la séquence où la mère et ses enfants batifolent dans la neige, assistant à une double libération : celle de la caméra d’abord puisque la mise en scène jusque là peu remuante va subitement retrouver mobilité et dynamisme en suivant la course à travers les bois enneigés de la petite famille. Evidemment, l’autre forme de libération concerne ces trois personnages qui en bout de course vont exulter, hurler leur joie de vivre.

Les Enfants Loups, Ame Et Yuki
 

Une séquence remarquable qui s’avère être charnière puisqu’elle marquera le début du profond changement d’Ame, le petit garçon, qui commence à prendre goût à son état animal alors qu’il était jusqu’à présent le plus réticent à suivre son instinct. Un début de prise de conscience dramatique puisqu’il manque d’y laisser la vie, tombant dans l’eau glacée après s’être pris les pattes dans son écharpe alors qu’il pourchassait un animal. Une écharpe comme puissant symbole de cette humanité qui l’entrave.
L’évolution concomitante et divergente de Yuki et Ame est à ce titre magnifiquement accomplie, l’humour et l’espièglerie laissant peu à peu la place à des préoccupations plus profondes quant à la voie à suivre, celle menant à accepter complètement la compagnie de hommes ou le recours à sa nature sauvage. Ainsi, chacun se retrouve à la croisée des chemins, et même de façon littérale comme Ame hésitant à prendre le chemin de gauche menant à l’école alors que son attention se porte sur celui de droite menant au cœur de la forêt vers le "maître", (motif récurrent chez Hosoda). Faisant la part belle aux émotions, la réalisation d’Hosoda suscite ainsi tour à tour le rire, l’attendrissement, l’étonnement, les larmes mais aussi cette peur qui étreint le cœur lorsque l’on a le sentiment de perdre complètement pied comme Hana face à la mort de son mari, ou, plus tard quand elle fera face à un ours. Mouvements d’appareil et mise en sourdine de l’environnement sonore pour ne conserver que sa respiration haletante faisant merveille pour nous faire partager son émoi.

Enfin, l’enchevêtrement de toutes ses émotions aboutira sur un final d’une ampleur cataclysmique puisque le film fraiera alors avec la fin du monde, les pluies diluviennes s’abatant sur la région causant d’irrémédiables dégâts et provoquant l’isolement de Yuki (restée à l’école désertée en compagnie du jeune garçon qu’elle avait un jour blessée), la fuite d’Ame tentant de préserver ce qui peut l’être dans la forêt, et l’inquiétude d’Hana prenant tous les risques pour rechercher son fils. On assiste alors à une sorte de Ragnarok intimiste, soit la fin d’un monde, celui de l’enfance, pour donner lieu à une renaissance. Un état qui enveloppera aussi bien Yuki et Ame mais également leur mère qui doit alors accepter de laisser partir son fils vers l’univers dont il est désormais le dépositaire.

8/10
Okami kodomo no ame to yuki
Réalisateur : Mamoru Hosoda
Scénario : Mamoru Hosoda & Satoko Okudera
Production : Takuya Ito, Yuichiro Sato, Takafumi Watanabe, Izumi Murakami…
Direction artistique : Iroshi Ohno
Montage : Shigeru Nishiyama
Bande originale : Takagi Masakatsu
Origine : Japon
Durée : 1h57
Sortie française : 29 août 2012