La Science Des Rêves

Cartonman et les filles

Affiche Science des Rêves

"Que vaut le nouveau Gondry ?". La question rongeait les lèvres des aficionados du père Michel, anxieux à l'idée d'un premier long-métrage sans l'apport du génialement perturbé Charlie Kaufman au scénario.


Gondry seul à l'écriture, nous avions de grandes chances de découvrir à la fois un trip égocentrique nostalgique et un medley de ses meilleurs délires audiovisuels.
Dans son court-métrage La Lettre, l'adolescent rêveur qui ne savait comment rouler des pelles à sa chérie s'appelait Stéphane. Peut-être le Stéphane que nous retrouvons dans cette Science Des Rêves, ayant lui aussi des soucis avec la gente féminine : il ne veut pas de la fille qu'il attire, non, il désire sa copine, celle qui habite en face de chez lui, la girl next door parfaite, qui fabrique des bateaux en carton et aime les instants de régression infantiles. Bref, celle qui n'est pas anodine au bout de 47 secondes en se contraignant à ses devoirs d'adulte monodimensionnelle. Et de plus comme elle ressemble à Charlotte Gainsbourg, on le comprend, le Stéphane, rêveur chronique somnambule pour qui la frontière entre l'imaginaire et le réel est ténue.

Afin de nous faire plonger dans son univers et mieux explorer sa psyché, Gondry déploie sa panoplie de génie de l'image, exploitant un style naturaliste simple afin de mieux intégrer ses multiples visions et matériaux testés et expérimentés dans ses travaux antérieurs : le studio en carton provient de son clip pour le groupe Stériogram, la perte des repères dans l'image était testée jadis avec la célèbre pub Smirnoff, l'univers d'adulte qui se transforme en jouet géant vient des clips de Heard Em Say et Knive Out, le trip sous-marin d'une pub Levi's, et enfin, sûrement la vidéo qui résume visuellement et thématiquement le mieux son auteur, le bijou insurpassable qu'est le clip de Let Forever Be pour les Chemical Brothers se retrouve dans des plans entiers de La Science Des Rêves, telle que la figure classique chez Gondry du survol du lit. Car dans le monde de Gondry, le lit, l'endroit où l'on rêve, est un véhicule pour un autre monde. Il se transforme même littéralement en voiture dans le clip Heard Em Say ou dans son court-métrage surréaliste Pecan Pie.

La Science Des Rêves
 

Certains sont étonnés de retrouver dans les films de Gondry une mise en scène légère et épurée, s'attendant à de l'épate de clippeur virtuose. C'est oublier que fondamentalement Gondry n'est l'égal de personne dans la simplicité qui confine au génie, comme l'illustrent les deux baffes clippesques et musicales des 90's : Bachelorette et Around The World. Il en va de même ici : pas de chichi poseur, pas de boursouflures, seule la grammaire basique du cinéma parvient chez Gondry à exploser la frontière entre la réalité et l'imaginaire, comme avec ce simple mais sublime champ / contre-champ sur Stéphanie puis sur Stéphane lorsque celui-ci sort de chez lui en rêvant être déguisé en ours. On est loin de la lourdeur pachydermique des cinéastes actuels (voir sur le même thème Narco). On approche même parfois de l'onirisme pure, de l'impalpable, ayant l'impression de toucher du doigt certains de nos rêves, notamment lors d'une séquence où les personnages parlent en charabbia, rappelant l'halluciné Black Moon de Louis Malle.

Mais tous ces tableaux ne seraient que du vent s'ils ne venaient pas illustrer le parcours d'un héros tragique transporté par des idéaux romantiques mais coincé dans une réalité concrète et violente (qui n'a jamais vécu la scène du bar ?). Un romantisme absolu qui le mènera à se fracasser le crâne sur la porte de celle qu'il aime et s'enfermer dans ses rêves plutôt que d'affronter une triste réalité.
La légèreté de l'ensemble n'en est donc que plus belle.

7/10
LA SCIENCE DES RÊVES
Réalisation : Michel Gondry
Scénario : Michel Gondry
Production : Georges Bermann et Frédéric Jungua
Photo : Jean-Louis Bompoint
Montage : Juliette Welfling
Bande originale : Jean-Michel Bernard
Origine : France / Italie
Durée : 1H45
Sortie française : 16 août 2006