Cloclo

Un refrain populaire

Affiche Cloclo

"Pourquoi Cloclo en 2012 ?" demande Jérôme Garcin. Qui ne demande pas "Pourquoi un troisième film de Charlotte de Turckheim en 2012 après deux coûteux navets ?", ni "Pourquoi les exploitants boudent Aux Yeux De Tous ?", ni même "Pourquoi Disney a tant tenu à communiquer le faux désastre financier de John Carter ?".


Non : pourquoi un biopic du chanteur le plus populaire de France en 2012. C'est vrai, à bien y réfléchir, depuis quand le cinéma est censé s'intéresser à des sujets populaires, d'autant plus s'ils sont tragiquement décédés il y a trente ans et toujours célébrés dans les mariages ? Peut-être depuis que le sujet d'une œuvre est amalgamé avec l'œuvre elle-même, décrétant qu'un sujet intéressant donnera forcément un film intéressant, qu'un sujet déclaré noble engendrera un film inattaquable (cc Rose Bosch). Inversement, un sujet jugé sans intérêt ne pourra que livrer un film sans intérêt. Réflexion bien rapide qui visiblement sert encore d'étayage argumentaire pour questionner la légitimité d'une culture plébéienne à s'exprimer sans être noyée dans un cynique bain de condescendance afin de la conformer à la vision réductrice que s'en font les consommateurs des goûts applaudis (cc Yann Moix).

Soit tout l'inverse des intentions de Florent-Emilio Siri, habitué à voir ses films blâmés pour oser faire du cinéma avec des sujets que la bienséance réclame de taire. Car le tour de force de ce Cloclo est précisément de "dékitscher" l'univers de Claude François à travers une mise en scène et une direction artistique modernes et sophistiquées. Le traitement des couleurs, la majesté des plan-séquences évoquent Martin Scorsese et Paul Thomas Anderson. Décors et costumes d'époque sont revus, repensés, "rehaussés" et se fondent dans l'objectif d'une caméra se gardant toujours de mettre les hochets nostalgiques en avant. Point d'effet carte postale (La Môme) ou de mise en contexte trop didactique (Coluche) : il est par exemple nullement nécessaire de rappeler les circonstances de la nationalisation du Canal de Suez pour saisir le trauma que cette exode  provoque dans la famille François. Et bien plus pertinent de clore le métrage sur un plongeon dans celui-ci, célébrant un retour au père et donc la paix retrouvée pour Cloclo.

Cloclo
 

Un père duquel Claude François désire une once de reconnaissance, puisant là sa source infinie de motivation. Logique que ce père, immobile et puissant, ce bloc de granit cadré comme un juge de tribunal, soit le pivot et le moteur dramatique du scénario de Siri et Rappeneau, rabroué ci et là sous prétexte qu'on "n'y apprend rien". Etonnamment c'est le genre de reproche qu'on aurait plus volontiers destiné à Gus Van Sant lorsqu'il filme Kurt Cobain renifler dans ses corn-flakes pendant deux heures. "Continue d'écrire des chefs-d'œuvre pour les fillettes en socquettes de Neuilly, je continuerai à écrire des conneries pour les pauvres" lance ironiquement Claude François à Etienne Roda-Gil pour le pousser à lui écrire des chansons. On pourrait y entendre Siri.
Car un film ne sert pas à apprendre, au mieux doit-il servir à comprendre. C'est en cela que le biopic se prête généralement très bien au cinéma : la véracité du sujet permet de mettre en scène des personnages si fantasques, puissants et contradictoires qu'ils paraîtraient difficilement crédibles dans une œuvre de fiction pure.
Ainsi, ce besoin si éculé de reconnaissance, loin d'être un fardeau, se révèle ici la contrainte autour de laquelle l'auteur de Une Minute De Silence va établir son projet de mise en scène : caler la vie de Claude François sur le rythme de ses chansons, et notamment My Way. C'est à partir de la reprise de celle-ci par Sinatra, ponctuée par une touchante séquence onirique d'adoubement paternel, que le film s'emballe en crescendo, se calquant sur le fameux standard. Libérés, Cloclo la star et Cloclo le film s'épanouissent dans un tourbillon sensoriel. Les mouvements d'appareil se font plus amples (alors que jusqu'ici les plans étaient plutôt statiques), les focales plus courtes, le montage plus resserré. Siri se permet même de gruger la réalité pour mieux coller à l'ivresse ressentie par Claude François (le concert au Royal Albert Hall ne s'est pas passé comme dans le film), prolongeant dans la diégèse le gimmick des chansons intervenant de manière non-chronologique afin d'illustrer les périodes qu'elles relatent en paroles.

Chronique sociale, film d'action, film historique, et maintenant biopic : avec Cloclo, Florent-Emilio Siri parfait sa panoplie de cinéaste entier et exigeant. Et avant tout, populaire.
Toutefois une question reste en suspens : pourquoi, bordel, un troisième film de
Charlotte de Turckheim ?

7/10
CLOCLO

Réalisateur : Florent-Emilio Siri
Scénario : Florent-Emilio Siri & Julien Rappeneau
Production : Cyril Colbeau-Justin, Jean-Baptiste Dupont, Joffrey Hutin…
Photo : Giovanni Fiore Coltellacci
Montage : Olivier Gajan
Bande originale : Alexandre Desplat
Origine : France
Durée : 2H25
Sortie française : 14 mars 2012