Alleluia

Noces funestes

Affiche Alleluia

L'ouvreuse démarre son rattrapage de Cannes en déplaçant le tapis rouge du côté de la Quinzaine des Réalisateurs, terreau comme chaque année de belles surprises. Le nouveau forfait de l'auteur de Calvaire compte parmi celles-ci.

Les circonstances auront permis d’exposer deux films de Fabrice Du Welz au festival de Cannes 2014. Le premier est un polar mettant en scène Gérard Lanvin, Simon Abkarian et Joey Starr : Colt 45 a atterri au Marché du film dans une version remontée après un début de carrière chaotique et une exploitation retardée par son producteur Thomas Langmann. Le film bénéficiera aux dernières nouvelles d’une sortie (en salles ?) en août prochain, mais aura coûté à son réalisateur.
Comparé à cette expérience, le tournage d’Alleluia, second film présenté, fait figure de récréation. Tourné en peu de temps pour un budget plus modeste, le dernier né du réalisateur belge est une variation intimiste et très libre sur la cavale de Martha Beck et Raymond Fernandez, plus connus sous le nom des "tueurs de la lune de miel".

Alleluia

Echaudée par un premier mariage qui a mal tourné, la très effacée Gloria (Lola Dueñas) élève seule sa fille et nettoie les morts pour vivre. Malgré ses doutes, une amie lui arrange un rendez-vous via un site de rencontres avec Michel (Laurent Lucas), qui se prétend représentant de commerce. Il n’est rien d’autre qu’un escroc qui séduit les riches héritières et leur soutire de l’argent. Sous le charme, Gloria part à sa recherche, découvre son secret et plaque tout pour le suivre. D’abord associée silencieuse dans son entreprise, Gloria est peu à peu submergée par l'amour qu'elle porte à son amant au point de ne plus supporter qu’il couche avec d’autres femmes. La petite entreprise de l’escroc va alors se transformer à son contact en équipée sanglante.

Construit en plusieurs chapitres dont chacun représente une cible, Alleluia bénéficie d'un scénario simple et carré de Du Welz et de son compère Vincent Tavier, aéré de moments de légèreté bienvenus dans un film émotionnellement usant. Avec ce partiel retour aux sources du genre après les expérimentations de Vinyan, Du Welz retrouve un condensé de l’hystérie, du décalage burlesque et du malaise ordinaire de Calvaire, exploitant ici l'expression débridée des sentiments de son héroïne. Le réalisateur n’hésite pas à systématiser les plans très rapprochés, y compris dans les champs/contrechamps, permettant de capter au mieux l’état d'euphorie constant d'une Gloria comme prise dans un trip dont elle ne peut pas redescendre. L’énergie de Lola Dueñas et son naturel apportent beaucoup à l'alchimie née entre elle et un Laurent Lucas inquiétant (le mot est faible) dès sa première apparition. Le décalage de leur jeu respectif apporte à Alleluia ses instants les plus drôles et barrés.

Alleluia

Le chef opérateur Benoît Debie tournant Lost River pour Ryan Gosling au moment de la production de Alleluia, Fabrice Du Welz s’est autorisé une infidélité en recrutant Manuel Dacosse (l'image de Amer et de L'Etrange Couleur Des Larmes De Ton Corps), un choix judicieux pour un visuel indéniablement marquant. Car comme à son habitude, Du Welz s’est accordé quelques expérimentations formelles, cette fois-ci très bien incorporées au film car accentuant notamment la chute vers la folie de son héroïne. Le parti pris d'un tournage en 16 mm colle ainsi à l’intention de proximité et d’enfermement mental de Gloria, tout comme le choix de marquer visuellement son incertitude par une image plus floue et granuleuse, et sa résolution par un grain plus nuancé.
Déstabilisant, 
Alleluia l'est, et va plus loin que ce que le réalisateur a pu proposer jusqu’ici, ce qui ne manquera pas de diviser. Mais marquera certainement ceux qui se laisseront prendre à ce trip éprouvant.

Alleluia sera projeté vendredi 6 juin au Forum des Images dans le cadre de la reprise de la Quinzaine des Réalisateurs.


alleluia
Réalisation : Fabrice Du Welz
Scénario :  Fabrice Du Welz & Vincent Tavier
Production : Anne-Laure Guégan, Thierry Baudrais 
Photo : Manu Dacosse
Montage : Anne-Laure Guégan
Bande originale : Vincent Cahay
Origine : France, Belgique
Durée : 1h35
Sortie française : 26 novembre 2014