Gérardmer 2013 : Berberian Sound Studio
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- Bobine minute par Nicolas Marceau le 3 février 2013
Voix sans issue
On oublie souvent à quel point le cinéma en général et le film d’horreur en particulier reposent sur la puissance des images mais aussi sur le travail de la bande son.
Un plan violent et spectaculaire voit toujours son impact décuplé par l’association du bon bruitage (ou au contraire sur l’angoisse d’un silence trop pesant). Alors que le cinéma joue depuis quelques années la carte de l’image relief pour ramener les spectateurs dans les salles, le son est depuis longtemps conçu en plusieurs dimensions. Avec son deuxième long-métrage (après Katalin Varga en 2009), le réalisateur Peter Strickland entend rendre hommage à la magie des bruitages sonores et choisit judicieusement de situer son récit dans les années 70, en Italie, pays concevant la totalité de sa bande son en post-production. Ce cadre lui permet de rendre hommage aux bandes horrifiques de l’époque tout en conférant un environnement palpable au parcours de son personnage principal.
Il est question dans Berberian Sound Studio d’un ingénieur du son soumis à la pression de producteurs spécialisés dans les métrages violents et misogynes, un homme réservé forcé de concevoir des bruits agressifs qui vont finir par contaminer son mental. Une des grandes forces de Peter Strickland consiste à ne jamais révéler les images du film que le héros doit bruiter, laissant au spectateur le soin de concevoir lui-même les atrocités se déroulant à l’écran.
Et pourtant, de cette absence naîtra un authentique malaise. A force de gros plans insistants sur des fruits décomposés, à force de cris silencieux captés derrière une vitre, à force d’associer certains sons contaminant le réel (la lecture d’une lettre sur un rythme d’horloge trop fort), le récit se resserre sur l’enfermement mental du personnage principal (excellent Toby Jones), frustré et isolé. Les bandes son finissent par créer une véritable toile d’araignée, un carré d’herbe qu’on foule peut devenir un authentique refuge lors d’une coupure de courant, l’acte de poignarder à répétition une pastèque peut servir de défouloir à des pulsions refoulées…
Regorgeant de séquences poétiques et terrifiantes, Berberian Sound Studio accompli l’exploit de mettre en image les sons (un peu comme Le Parfum parvenait à mettre en image les odeurs). La limite du projet est néanmoins atteinte lors d’une dernière partie tournant un peu à vide. Car à force d’aborder le cinéma de genre de biais, le réalisateur finit par se vautrer dans un trip autiste où la métaphore psychanalytique ne s’incarne plus que par des images mentales et non plus dans les actes concrets du héros. Le déchaînement de violence salvatrice attendue (et annoncé plusieurs fois) est troqué par un dénouement où réalité et fiction se mélangent, devenant impossible à dissocier. Cela est parfois troublant (le passage au documentaire bucolique ou la mise en abyme du métrage rappelleront INLAND EMPIRE) mais au final un peu vain. Quand un magicien effectue des tours de magie pendant 1h30, dommage d’achever le show en tournant le dos au public.