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L'enfer des armes

Affiche HeatHeat regorge de plans et séquences synthétisant son essence et son ambiance : McCauley scrutant l'horizon par sa baie vitrée, la rencontre au restaurant, l'adieu silencieux à distance entre Charlene et Chris, le duel final...

Et bien sûr ce climax intervenant alors qu'il reste une heure de métrage, impressionnante fusillade urbaine mettant aux prises le gang de Neil McCauley et les flics de Vincent Hanna. Si elle a autant marqué les esprits c'est par la capacité de Michael Mann à propulser le spectateur en son cœur, créant grâce à une mise en scène au cordeau un époustouflant espace sensitif. Et plus que sa maîtrise technique et scénographique, cette séquence bénéficie d'une importance narrative pour l'évolution du rapport de force entre Hanna et McCauley.

Sur la corde raide, McCauley et sa bande braquent une banque, dernier coup avant de prendre la tangente et démarrer une nouvelle vie. Mais c'est sans compter sur la pugnacité d'Hannah : alors que le gang s'affaire avec rigueur, les flics s'élancent pour tenter d'alpaguer l'insaisissable malfrat. Mann alterne les plans à l'intérieur et à l'extérieur de la banque, montrant chaque groupe s'activer et déterminant déjà leurs placements : les braqueurs sont prêts à sortir pour s'enfuir tandis que les policiers s'apprêtent à les prendre en tenaille. Mann définit les deux groupes, se dirigeant vers leur cible commune, par la direction de leur regards, procédant à une mise en place partielle préparant la déflagration. Tout va se précipiter lorsque Chris (Val Kilmer) arrive en dernier à la voiture devant permettre aux bandits de s'échapper. Afin de favoriser la compréhension des actions sur un rythme soutenu et la situation précise des protagonistes, Mann va user d'un découpage millimétré et de quelques repères visuels. 

Alors que deux flics se positionnent en face de la sortie de la banque, un premier repère est défini : il s'agit d'un bus aux couleurs d'une compagnie aérienne thaïlandaise. Un habillage renvoyant au désir d'escapade définitive de McCauley qui anticipe le final sur le tarmac de l'aéroport de L.A.

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Chris aperçoit les flics et tire. Mann opte pour son point de vue et forme un premier vecteur directionnel.

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Nous passons ensuite à un gros plan qui raccorde sur un plan plus large repositionnant Chris, et le spectateur, au cœur du canardage tout en faisant l'économie un travelling arrière pour mieux souligner la précipitation des événements. Dans l'enfer qui se déchaîne, plus le temps de s'attarder sur le superflu.

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Vient l'entrée d'Hanna, qui bénéficie de la même échelle de plan mais dans un angle opposé, comme l'établira le plan suivant.

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Toujours animé par un souci de spatialisation, Mann revient sur Chris reprenant le même plan d'ensemble pour visualiser son changement de cible et la nouvelle direction prise par ses tirs.

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Mann alterne encore avec cette fois un plan du collègue d'Hanna afin de faire ressentir l'encadrement de Chris.

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Que ce dernier va s'empresser de déjouer dès le plan suivant puisqu'en contrechamp s'opère un resserrement sur son visage, manière de montrer que son tir se fait plus précis puisque le co-équipier d'Hanna se fait descendre.

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Une mort qui suspend la fusillade et permet la fuite en voiture de McCauley et ses acolytes.

Intervient alors Hanna qui fait sa véritable entrée dans le champ (de bataille). Un plan quasi subjectif permet d'avoir une profondeur de champ dans laquelle est situé le véhicule des fuyards, l'arme du flic forme une ligne de fuite. Le bus aperçu auparavant est dans le prolongement du regard, toujours dans un souci de 
spatialisation optimale.

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Mann enchaîne sur un plan d'un autre flic, plus proche du bus. La voiture des gangsters apparaît dans espace entre son bras et le bus, le situant ainsi par rapport à Hanna et la bande (un véhicule que l'on remarque un peu plus grâce aux feux de signalement arrière allumés).

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Une course rapidement stoppée par les balles. Lorsque le gang doit quitter la voiture, on adopte le point de vue de Chris tirant devant lui, toujours dans une volonté d'immersion, et ici de donner corps aux impacts sur les carrosseries.

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La course stoppée, il faut pouvoir défendre sa position et déterminer où l'on se situe pour repartir. C'est également valable pour le film. Mann poursuit donc le repérage des belligérants : une échelle de plan plus large permet de situer Chris. Lorsqu'il se retourne, on voit en arrière plan sur la gauche le bus repère et au centre de la route une silhouette. Contrechamp sur Hanna qui passe devant la camionnette sur laquelle les tirs ont débuté. On comprend que le flic se précipite dans leur direction. Cette succession de plans permet d'évaluer la distance qui les sépare. Et donc l'urgence pour le trio de se dégager.

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McCauley et les siens sont des professionnels rompus à ce genre de situations et Mann l'illustre parfaitement avec un seul plan montrant leur alignement. Leur salut dépendra du maintient de cette ligne de front pour assurer leur couverture et avancer.

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Maintenant que les places de chacun sont visualisées et assimilées, Mann va pouvoir accélérer la cadence des plans de tout ce petit monde sans perdre le spectateur. Les cadrages seront plus rapprochés afin de retourner au plus près de l'action, de partager les points de vue et la science du déplacement. Et puisque l'on sait où chacun se situe, plus besoin pour Mann d'intercaler immédiatement un contrechamp pour montrer vers qui les tirs sont dirigés. Le réalisateur brise ainsi la monotonie d'une stricte succession et crée une dynamique, redonne une intensité à la séquence.

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Les efforts de McCauley, Chris et Michael (Tom Sizemore) pour conserver leurs positions seront vains car la riposte policière oblige à briser leur alignement. Michael se retrouve isolé entre deux feux et une ultime vue d'ensemble le montre à l'arrière plan en train de s'éloigner de leur ligne de front. Une séparation qui met à mal à la fois leur défense mais également la famille qu'était devenue leur association de criminels.

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C'est d'ailleurs peu après que Michael ait disparu dans l'horizon que Chris est blessé à l'épaule. L'effet de la dissolution de leur groupe est quasi instantané. McCauley est là pour le soutenir en dernier recours et l'extraire du champ de bataille mais la mort symbolique de leur famille est consommée avant qu'elle ne devienne une réalité dans la dernière partie du film. Neil et Chris parviennent peut-être à s'échapper mais Hanna est enfin revenu à leur hauteur.

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Il reprendra même la main en abattant Michael qui vient de prendre une gamine en otage. Et pour bien signifier ce renversement, Mann utilise pour montrer Hannah mettre en joue Michael la même échelle de plan que lorsque Chris défouraillait sur les flics. La séquence se termine avec Hannah portant la petite fille rescapée dans ses bras, scène qui trouvera plus tard un écho lorsqu'il portera aux urgences la fille de sa compagne qui s'est ouvert les veines dans sa baignoire.

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Voilà l'art de Michael Mann pour mettre en forme une séquence de fusillade d'anthologie tout en préparant les événements narratifs ultérieurs. Ici s'exhalent à la fois le ressenti viscéral des belligérants dans cette furia urbaine et le sentiment que vient de se jouer une étape cruciale pour le destin de Neil McCauley et Vincent Hanna.




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Réalisateur : Michael Mann
Scénario : Michael Mann
Production : Arnon Milchan, Michael Mann, Art Linson, Kathleen M. Shea …
Photo : Dante Spinotti
Montage : Pasquale Buba, William Goldenberg, Dov Hoening, Tom Rolf
Bande originale : Elliot Goldenthal
Origine : Etats-Unis
Durée : 2h50
Sortie française : 21 février 1996