Sex Addict
- Détails
- Rétroprojection par Nicolas Zugasti le 17 janvier 2011
L'extase des monstres
Franck Henenlotter est un fou furieux, un réal composant des films complètement barrés qui, même partiellement ratés, provoquent de réjouissants éclats graphiques ou de rires. Sa longue absence prit fin avec le détonnant Sex Addict dont le titre ne donne qu’une très vague idée du délire.
Sex Addict, c’est du vrai cinoche d’exploitation qui ne lésine pas sur le sang, le sexe, les idées sorties d’on ne sait quel esprit dérangé, une absence totale de tabou, une affection indéfectible pour les êtres à part (à cause de difformités physiques ou dysfonctionnement psychologiques, souvent l’un allant avec l’Autre)… Et ce sont sans doute l’addition de fatigue et les vapeurs de vin chaud qui ont provoqué le cruel manque de discernement de L’ouvreuse team lors de l’édition 2009 du festival de Gérardmer puisqu’elle préféra endurer le Repo! The Genetic Opera de Darren Lynn Bousman plutôt que le Bad Biology de Henenlotter, projeté deux heures plus tôt. Notre vie trépidante de contempteurs (fossoyeurs pour certains) du cinéma aidant, impossible de rattraper l’affront lors de la sortie DVD du film entretemps retitré Sex Addict. Comme on dit, il n’est jamais trop tard pour bien faire. Et franchement, cela aurait été dommage de passer à côté de ce film que l’on ne peut réduire à une simple addiction au sexe.
Pourvu de sept clitoris, la photographe professionnelle Jennifer voue son existence à assouvir ses besoins physiologiques de jouissance, exacerbés par sa mutation biologique. Une vie passée à contrôler le moindre de ses mouvements dont le plus petit frottement créé génère une excitation presqu’immédiate, une vie passée à chercher sinon l’âme sœur, du moins la personne capable de la combler entièrement, absolument. Elle multiplie ainsi les expériences, chaque occasion étant bonne à prendre pour se faire prendre. Malheureusement, lorsqu’elle se trouve au comble du plaisir, elle perd tout contrôle et l’intensité des ébats se transforme en violence se retournant contre certains de ses amants qu’elle moleste à mort. Elle immortalise sur photo leur visage inerte déformé par un dérangeant rictus où se mêlent sentiments de peur et d’extase, Eros et Thanatos imprimés sur pellicule. Outre de singulières particularités physiques, la belle Jennifer est dotée d’un métabolisme surpuissant qui lui permet de boucler, après chaque coït, en deux heures chrono, procréation, gestation et expulsion de bébés qu’elle laisse crever à l’endroit où elle a accouché (voiture, baignoire, etc). De cette existence sexuelle insatisfaisante car inassouvie, elle en conclut qu’elle est destinée à être prise par Dieu lui-même. Jennifer pense avoir trouvé une de ses émanations, une de ses figurations, en la personne de Batz. Ou plutôt de son sexe démesuré. Cela en deviendra une fixation extrême dès lors qu’elle aura vu les proportions hors normes de son membre et surtout observé les effets orgasmiques dévastateurs qu’il provoque (une prostituée en mourant presque de plaisir, ses gémissements ininterrompus se poursuivant pendant des plombes). Le film va ainsi raconter leur cheminement personnel afin d’aboutir à leur inévitable et jouissive (dans tous les sens du terme ! ) rencontre.
Quel plaisir de retrouver un Henenlotter au meilleur de sa forme ! Comme quoi les quinze ans de hiatus artistique entre le dispensable Basket Case 3 et ce Sex Addict n’auront pas tari sa verve. Mieux, il semble qu’en se consacrant pendant cette période à l’exhumation de bandes déjantée inconnues pour le compte de la société Something Weird Video, il se soit ressourcé. Comme si le fait d’être plongé au cœur de l’exploitation undergroundlui avait permis de renouer avec ses racines. On s’étonnera cependant de la présence de rappeurs devant la caméra comme dans la musique du film, leurs univers respectifs étant parfaitement antinomiques. Une association des extrêmes dont est coutumier Henenlotter dans ses films et qui ici s’est imposée dans une réalité économique et sur le plan affectif, le rappeur R.A Thorburn, grand fan d’horreur et du bonhomme, avait proposé à Henenlotter, au milieu des années 90, alors qu’il était au creux de la vague, de réaliser ses clips. Il était donc tout naturel que l’envie de Thorburn de produire un film se concrétise avec son ami. Et puis, le rap et le cinéma de Henenlotter ont en commun de représenter, chacun dans leur genre, une certaine forme de contestation, de remise en cause de normes (sociales, physiques) établies.
Un film foncièrement réjouissant où Henenlotter se permet tout, des plans les plus fous (vues subjectives de l’intérieur du vagin de Jennifer ou de la verge de Batz), aux propos les plus acides sur l’hermétisme du monde artistique, en passant par les séquences les plus barjes et hilarantes (masturbation machinique, tentative de réanimation en tête à queue, exploration libidineuse des appartements de girondes résidentes…), surpassant la folie de Pervert! de Jonathan Yudis et Beyond Reanimator de Brian Yuzna.
En retrouvant la 42ème rue, après les escapades champêtres des deux séquelles de Basket Case, en délaissant leurs créatures farfelues pour renouer avec une difformité biologique presque ontologique, Sex Addict donne l’impression que Henenlotter retrouve son âme. Ce film entre d’ailleurs en résonnance avec Elmer, Le Remue-Méninges et le premier Basket Case, puisque l’on éprouve une véritable sensation de continuité dans les thèmes abordés, dans la monstration mais également en matière de dépendance (chimique, mutuelle) et d’expérimentation formelle. L’énorme bite à laquelle Batz s’adresse régulièrement rappelle ainsi fortement l’espèce d’étron doué de parole d’Elmer, que se soit dans leur aspect craspec ou leur lien avec la drogue. Alors qu’Elmer inoculait, avec son dard, à son hôte Brian une drogue l’apaisant, ici c’est Batz qui injecte des stéroïdes à son dard pour le maintenir en forme.
Toute la filmographie de Henenlotter n’est au fond constituée que d’histoires d’amour fusionnelles dont Sex Addict peut être considérée comme l’ultime étape. C’est en tous cas ce que le final dantesque atteste en suggérant une sorte de fusion anatomique définitive et encore plus intime que celle reliant Bélial à Duane ou Elmer à Brian.
BAD BIOLOGY
Réalisateur : Franck Henenlotter
Scénario : Franck Henenlotter & R.A Thorburn
Production : R.A Thorburn, Gabriel Bartalos, Nick Deeg, Vinnie Paz...
Photo : Nick Deeg
Montage : Albert Cadabra, Franck Henenlotter, Scooter McRae
Bande originale : Josh Glazer & Prince Paul
Origine : USA
Durée : 1H24
Sortie française : en DVD le 18 août 2009