La Résidence

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Affiche La Résidence

Avant de s’interroger sur la potentielle capacité de tuer un enfant, Narciso Ibanez Serrador s’exerçait sur les jeunes filles résidentes d’un pensionnat prodiguant une éducation pour le moins trouble et moite.


Plus que quiconque, Narciso Ibanez Serrador est celui qui aura donné l’envie et le goût du cinéma à la nouvelle génération de réalisateurs espagnols. Maître de cérémonie cathodique présentant à des générations émerveillées des classiques du genre, il est surtout un véritable maître à filmer aussi génial que peu actif. A peine deux films mais quels films ! Œuvre méconnue, La Résidence est ainsi un petit bijou de perversité, une pépite du cinéma fantastique dont la découverte ne peut supporter l’attente d’une hypothétique édition DVD aussi soignée que celle de 2008 pour Les Révoltés De l’An 2000.

Depuis quelques années désormais, la vitalité et le succès du cinéma de genre espagnol ne cesse d’interpeller les cinéphiles français gavés de comédies grossières, de bessoneries ou de pensum interminables. S’il se montre à l’heure actuelle le plus abouti en Europe, il ne saurait occulter les précurseurs s’étant débattu au sein d’un régime inique, le franquisme.
La fin de ce totalitarisme en 1975 fut une libération tant d’un point de vue sociétal qu’idéologique et cinématographique. Une liberté d’expression retrouvée qui permit l’émergence des Almodovar, Bigas Lunas et consort. Une première vague qui prépara le terrain à une génération beaucoup plus transgressive, celle des Alex De La Iglesia, Alejandro Amenabar ou encore Jaume Balaguero. Action Mutante, Ouvre Les Yeux, [Rec], autant de perles ne faisant qu’entériner la tendance à l’œuvre depuis quelques années, une créativité retrouvée de l’autre côté des pyrénées.

N’ayant pourtant pas vécus cette traumatisante époque, ils sont néanmoins les réceptacles et les vecteurs d’une société trop longtemps tenue de taire ses blessures. Et le meilleur moyen pour laisser affleurer le refoulé reste le cinéma de genre. La force esthétique et thématique de leurs films en est le plus vibrant et récent témoignage. Mais bien avant ces nouveaux récipiendaires du fantastique espagnol oeuvra celui qu’ils considèrent comme leur source d’inspiration, Narciso Ibanez Serrador.
De cette période troublée, on célèbre plus volontiers Luis Buñuel et son compère Dali, voire Jésus Franco et Paul Naschy pour les plus bis d’entre-vous, que cet uruguayen d’origine. D’ailleurs "Chicho", se montre plutôt très actif mais pour la petite lucarne avec notamment l’anthologie fantastique Historia Para No Dormir (1965 - 1982), produisant, scénarisant et réalisant quelques épisodes. Une série qui aura durablement marqué Balaguero, De La Iglesio, Matéo Gil, eux qui participeront à une sorte de revival en 2006 avec les Pelliculas Para No Dormir dont Serrador signa d’ailleurs un épisode, La Faute.
Outre le monstrueux chef-d’œuvre Les Révoltés De L’An 2000 (Quién Puede Matar A Un Niño ?), dont le titre anglais, Who Can Kill A Child?, est un sacré programme à lui seul, Serrador signe en 1969 le non moins impressionnant La Résidence, une œuvre emblématique et matricielle à plus d’un titre.

La Résidence
 

L’action se situe au début des années 1900, dans un pensionnat pour jeunes filles en difficulté sis en Provence, où arrive la jeune Thérèse. Un lieu régit par les règles strictes édictées par la directrice Mme Fourneau (fascinante Lilli Palmer), et théâtre du déploiement de pulsions sexuelles et mortifères refoulées. Un établissement hanté par une présence d’abord invisible épiant ces demoiselles et qui s’avère être Luis, seul mâle et fils littéralement caché de la directrice, qui vit reclus dans la chaufferie ou le grenier. Mais rapidement, les choses s’enveniment lorsque sont tuées les jeunes filles tentant de s’évader. Contrairement  à ce que laisse supposer son résumé, La Résidence n’a rien d’un whodunit classique. Serrador usant des codes du giallo comme  du film érotique pour une étude de caractères troublante et envoûtante.
Au confluent de diverses influences, La Résidence reprend l’ambiance gothique propre aux bandes d’horreur de la Hammer, donnant à son pensionnat des allures de château des carpates. On reconnaîtra également des emprunts aux Innocents de Jack Clayton, La Maison Du Diable de Robert Wise ou au giallo façon Mario Bava. L’on pense également au chef d’œuvre de Don Siegel, Les Proies, où la virilité d’Eastwood perturbant un Ordre dogmatique (le couvent de bonnes sœurs) trouve ici un intéressant reflet dans le personnage du jeune garçon à la virilité émasculée par une mère à l’amour exclusif.
Référence du genre pour nombre de réalisateurs espagnols, L’Echine Du Diable de Del Toro et L’Orphelinat de Juan Antonio Bayona en sont de magnifiques exemples, La Résidence aura également su inspirer des cinéastes d’autres horizons. Comme l’ex-maître de l’horreur transalpine, Dario Argento, dont Suspiriaen est un hommage appuyé et baroque ou de Lucky McKee et son envoûtant et mésestimé The Woods.


DÉTOURNEMENT DE PELLICULE
A l’instar de Romero il y a quarante ans au moment du succès de La Nuit Des Morts-Vivants, "Chicho" refuse toute lecture politique de son film. Pourtant, même en l’absence d’une volonté consciente, ces œuvres n’en sont pas moins l’émanation d’un contexte social et politique prégnant.
Malgré tout, le doute est permis puisque l’intérêt principal des deux films de l’espagnol  réside dans la manière de figurer les traitements coercitifs infligés aux enfants par la dictature du Caudillo et, bien avant le franquisme, par l’Eglise.
Ce pensionnat, destiné à parfaire l’éducation de jeunes filles, a tout du couvent. Lieu isolé, vie en vase-clos, journées rythmées par de nombreux rituels… Un espace dont Serrador fait le réceptacle des perversions envers la jeunesse du pays.
Soignant ses cadres et appuyant sa mise en scène de longs travellings arpentant les couloirs de cette résidence, Serrador instille ainsi par touches successives une ambiance oppressante. Soulignons également le remarquable choix de fermer les moindres ouvertures (portes qui claquent, fenêtres condamnées) à mesure que les pensionnaires s’éveillent à un désir émancipateur. Une mise en scène incroyable de maîtrise et entièrement vouée à la narration et à la déstabilisation de l’auditoire, ce que souligne une séquence des plus anodines, transformant le regard du spectateur jusque là observateur extérieur en voyeur planqué derrière les barreaux d’un lit.

La Résidence
 

L’intérêt manifeste pour la peinture de ce microcosme font des quelques meurtres parsemant le film moins l’illustration de codes purement "giallesques" que la matérialisation graphique, poétique et violente des obsessions sexuelles ici à l’œuvre. Châtiments corporels (à la limite du bondage !), voyeurisme, jouissance collective par procuration (la scène de broderie collective), autant de manières de représenter les pulsions durement réfrénées de ces jeunes filles. Plus marquantes encore, les séquences où une pensionnaire dicte sa propre loi et de douche collective (petit bijou de tension érotique), nous plongent carrément dans le film d’exploitation dit du women in prison (ou W.I.P). Ou plutôt du "women in pensionnat" pour le cas qui nous intéresse. Multiples références cinématographiques, réappropriation des codes du cinéma bis, Serrador un Tarantino avant l’heure ?

La Résidence
 

Mais avant tout, La Résidence est un superbe récit de maison hantée, Serrador s’amusant également avec ses codes. Si l’on considère le personnage de Thérèse comme  le référent logique du spectateur découvrant par ses yeux cette demeure, la véritable "héroïne" s’avère être Mme Fourneau. Et comme la plupart des films reposant sur ce genre d’intrigue, une lecture psychanalytique ne sera pas le moindre intérêt. Les différents personnages gravitant autour d’elle pouvant être considérés comme divers aspects de sa psyché. Une interprétation renforcée par la relation quasi fusionnelle de Mme Fourneau et son fils, Luis.
Transgressif, subversif, vénéneux, La Résidence est un joyau en Technicolor doté de plusieurs niveaux d’appréhension et qui résonne au final comme une version pubère de Norman Bates. Le caractère incestueux autant que castrateur de l’éducation prodiguée par la directrice à son fils aura des conséquences aussi désastreuses physiquement que moralement. Ultime métaphore d’un pays alors en lambeaux.


LA RESIDENCIA
Réalisateur : Narciso Ibanez Serrador
Scénario : Narciso Ibanez Serrador & Juan Tebar
Production : Anabel Films
Photo : Manuel Berenguer & Godofredo Pacheco
Montage : Mercedes Alonso & Reginald Mills
Bande originale : Waldo De Los Rios
Origine : Espagne
Durée : 1h39
Sortie française : 9 août 1972




   

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