C'était Demain
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- Rétroprojection par Guénaël Eveno le 22 décembre 2009
D'un enfer à l'autre
Londres, 1893. Quartier de Whitechapel. Le décor est posé avec un homme mystérieux hors champ qui offre une pièce d’or à une prostituée. On sait déjà que son sort sera réglé à la fin de la scène car la légende de Jack l’Eventreur hante encore notre siècle.
Après avoir perpétré son méfait, Jack disparaît dans le brouillard en long manteau et haut de forme, de la manière qu’on l’a si souvent représenté. Non loin de là , Herbert George Wells, une sommité de la littérature, discute à une table avec une poignée de notables lorsque le Docteur Stevenson s’invite à la fête. Ce soir là , Wells a décidé de faire la démonstration de sa machine à explorer le temps. Poursuivi par la police, Stevenson, qui n’est autre que Jack l’Éventreur, utilise la machine pour s’enfuir en 1979 à San Francisco. Dépité par le fait d’avoir lâché la bête dans le siècle suivant, Wells décide de l’y rejoindre pour l’arrêter.
Voilà un postulat bien excitant que d’assister à l’affrontement de deux illustres personnages de l’Angleterre victorienne, l’un réel et visionnaire, l’autre insaisissable et objet de tous les fantasmes. Le résultat est d’autant plus palpitant qu’il va là où on ne l’attend pas. C’était Demain prend d’abord ouvertement des libertés avec l’Histoire pour mieux rapprocher les deux personnages (les meurtres de Whitechapel ont été commis en 1888 / Wells a écrit La Machine A Explorer Le Temps en 1895, s’inspirant de nouvelles plus anciennes de sa propre invention). Elles seront pardonnées par la justesse de la description des personnalités des deux hommes. Ensuite, il n’exploite pas l’idée du voyage dans le temps comme inspirateur des visions de Wells dans ses futurs succès littéraires, bien qu’il suggère nettement cette idée de par la nature du voyage et sa rencontre avec la jeune Amy, prénom de la deuxième femme du vraie H. G. Wells. Il évite enfin de manière plus logique tout jeu de piste ludique à base de paradoxes temporels (la mode n’a explosé que dans les années 80). Utilisant le voyage dans le temps comme un moyen plutôt qu’une fin, le scénariste / réalisateur Nicholas Meyer préfère s’attacher au point de vue extérieur qu’ont à offrir deux précurseurs opposés en tout points sur l’époque qu’ils ont plus ou moins engendrée.
DE GRANDES ESPÉRANCES
Le premier affrontement entre Wells et Stevenson en 1893 présente les points de vue des deux hommes comme un pari caché sur l’avenir. Wells a construit sa machine car il pense que le monde futur verra une société sans guerre dans laquelle régnera une parfaite égalité entre les hommes. Précurseur de nombreux mouvements et fervent socialiste, Wells a l’impression d’être un homme en avance sur son temps, ce qui lui permet de tout espérer du futur. Stevenson lui rétorque avec un réalisme cynique qu’on peut déduire du passé que l’homme n’évoluera pas. Lorsqu’il s’apercevra que Stevenson a utilisé sa machine, Wells se rendra dans le futur pour réparer son erreur : "J’ai envoyé ce démon criminel au cœur du monde de demain !", au cœur même de cette utopie qu’il tient comme un remède à son mal être. Le voyage dans le temps qui nous est proposé est fidèle au roman La Machine A Explorer Le Temps, une façon de rendre hommage au personnage inspirateur mais aussi de présager la suite des événements (qui nous est d’ailleurs parfaitement connue, à nous autres anciens résidents du 20ème siècle). Ainsi lorsqu’il voyage dans sa machine, en lieu et place de sensations et de lieux mouvants, Wells assiste à des morceaux d’histoire diffusés sous forme radiophonique avec tous les assassinats, drames historiques, guerres et attentats du 20ème siècle. En guise de passage du temps, il découvre ainsi tout ce qui a fait l’Histoire en ces cent ans, se trouvant déjà contredit dans son utopie : le monde du futur pourrait être facilement réduit à des exactions et de la brutalité.
L’arrivée dans le nouveau siècle le place dans des situations difficiles où il peut constater de lui-même qu’il y a eu une deuxième guerre mondiale (et même plus !), que la parole d’un gentilhomme ne compte plus, que la politesse n’existe plus vraiment ou que même les églises n’offrent plus l’hospitalité aux sans domicile. Wells finit par retrouver Jack grâce à l’aide d’Amy, une charmante agent de change à l’ambassade d’Angleterre. Dans la chambre d’hôtel de Stevenson a lieu leur deuxième confrontation. Stevenson y démontre à Wells que le visionnaire c’était lui et non le scientifique utopiste en montrant un échantillon des chaînes de TV : "Vous n’êtes pas allé vers le futur Herbert, mais vers la préhistoire… Il y a quatre-vingt dix ans j’étais un monstre, aujourd’hui je suis un amateur". Cette adaptation se constate autant dans l’image par un Jack qui a adopté le look vestimentaire (encore plus has been maintenant, soit dit en passant) et l’arrogance (excellent choix de David Warner) de rigueur alors que Wells s’accroche à ses idées et à son look de gentilhomme de l’époque victorienne. Jack l’Eventreur apparaît ainsi comme un monstre de son temps qui serait né quelques années trop tôt ("Je suis celui par lequel le 20ème siècle est arrivé", ces mots attribués à l’Eventreur ont été mieux explicités par la suite dans l’excellent From Hell d’Alan Moore). Dès ce moment, le docteur Stevenson est persuadé de pouvoir évoluer à sa guise en 1979 et seul Wells, détenteur de la clé de la machine, pourra lui faire obstacle.
C’était Demain est bien un film de son temps qui démarre l’autopsie d’un siècle au sein duquel l’espoir d’une évolution positive de l’homme s’est effondrée, ce même siècle qui s’est conclu par la chute des idéologies et que certains ont décrété comme celui de la fin de l’Histoire. Le vernis du début des années 60 explosé par une décennie de dénonciations, de soulèvement populaires et cinématographiques a conduit en cette veille des 80’s à un état de fait pessimiste et qui tend de plus en plus vers un cynisme teinté d’acceptation, comme s'il n'y avait plus de lendemain possible (le titre français du film est en ce sens bien trouvé). Ce cynisme dosé, Nicholas Meyer le rejette en bloc en se plaçant majoritairement du point de vue faussement naïf de H. G. Wells. Ce point de vue aide à faire d’un film au thème relativement pessimiste une fable divertissante, tantôt touchante et tantôt délirante et au scénario diablement inventif
HORS DU TEMPS
L’arrivée de Wells à la fin du 20ème siècle se déroule dans un musée dans lequel une exposition lui est dédiée. Cette scène burlesque souligne à la fois l’incrédulité des gens venus voir une célébrité qu’ils ne reconnaissent même pas et son statut de relique dont la place n’est pas dans le monde extérieur. Il annonce le choc des cultures. La variation inévitable à tout récit de voyage dans le temps sur l’homme du passé en dehors de ces baskets évite habilement tous les écueils grossiers. Herbert George Wells a une longueur de retard, mais il est loin d’être un idiot, il dispose d’assez de connaissances pour pouvoir envisager de manière abstraite le fonctionnement des machines de l’époque. Lui qui fut en son temps un scientifique, un pionnier du féminisme et de l’amour libre connaît également les germes des grandes évolutions qui étaient à venir. Ainsi il essaie toujours d’après ses certitudes de s’adapter plus ou moins maladroitement, de contrôler la situation, ce qui le place dans une situation de gentil décalage par rapport aux connaissances du spectateur. Il se fait passer pour Sherlock Holmes vis-à -vis des flics, ne se doutant pas de la célébrité du détective de Conan Doyle, il pense que MacDonald est un restaurant écossais, il prend peur dans une salle de cinéma... Mais à aucun moment il n'est tourné en ridicule.
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L’histoire ayant temporairement réglé le compte de Stevenson, elle peut maintenant se pencher sur le couple d’Herbert et d’Amy (Mary Steenburgen, qui rdeviendra la fiancée temporelle dans Retour Vers Le Futur 3). La rencontre avec une femme entreprenante et active, met en évidence les progressions féministes acquises depuis l’époque de Wells, surlignant au passage l’évolution la plus identifiable des années 70, époque de la sortie du film. Lorsque l'écrivain demandera à Amy de le suivre et de laisser tomber son métier, elle lui rétorquera "Mon métier c’est ma vie, comme n’importe quel homme". Elle révèle aussi le coté gauche d’un Wells qui peut se vanter de son progressisme sur des choses qui passent alors pour dépassées. Le génial Malcolm MacDowell rend au personnage une dimension comique attachante sans jamais le plonger dans le ridicule, affichant constamment un "air de petit garçon perdu", jouant parfaitement le type étonné par la verve d’Amy. Il représente parfaitement l’homme sincère par opposition au calcul très contemporain de Stevenson, ce qui lui confère le charme suffisant pour séduire la jeune femme, peu revêche à faire le premier pas mais lassée des hommes par un mariage raté. La deuxième partie axée sur la comédie romantique est délicieuse et remplie de moments caustiques. Elle joue parfaitement sur l’opposition de l’homme et de la femme, sachant que cette dernière ne sait absolument rien de l’histoire de Wells (en plus elle lit peu) qu’elle considère comme un doux-dingue. Parallèllement à leur histoire, la menace du retour de Jack L’Eventreur plane sur San Francisco et distille les indices qui vont mener à la troisième partie du film. L’occasion est belle pour nous plonger dans la quête de Jack l’Eventreur dans les quartiers les plus glauques de la ville en montage alterné avec la concrétisation bonne enfant de la relation Wells / Amy. Une seule ville, deux genres radicalement opposés : le thriller noir et la comédie romantique. L'univers de Jack reprend du terrain sur celui de Wells.
ELÉMENTAIRE MON CHER HERBERT
Jack l’Eventreur est devenu la nouvelle terreur de San Francisco, reproduisant à sa guise ses mauvaises habitudes de 1893 avec les mêmes rituels annonciateurs des massacres. Il finit par comprendre qu’Amy est proche de son compère. Herbert se voit alors contraint de dire la vérité à Amy. Celle-ci est incrédule, comme le serait la plupart de ses contemporains (ce qui n’est pas l’attitude des notables de 1893, déjà moins rationnels). Il l’emmène quelques jours en avant dans le futur. Elle a la surprise de voir qu’Herbert lui a dit la vérité mais qu’elle va mourir dans quelques jours, tuée par Jack l’Eventreur. Le film se transforme alors en une course contre la montre, laissant à Wells et Amy une longueur d’avance sur le tueur afin de pouvoir le coincer avant qu’il ne commette d’autres exactions. Nicholas Meyer construit un suspens sur cette échéance pour mieux la déjouer au final par un élément de scénario habile et bien amené (il rappelle une confusion qu’aurait également faite Jack l’Eventreur concernant Mary Kelly). Le détective improvisé (agissant encore et toujours sous le nom de Sherlock Holmes) et le tueur sont encore une fois opposés, comme Herbert se pose en défenseur de la non-violence, "Le premier qui lève le poing démontre son manque d’imagination", affirmation non gratuite puisque relayée par le moyen… élémentaire qu’il trouvera in fine pour éliminer sa némésis sur ses lieux de prédilection : la machine et le musée.
Traversé d’idées brillantes qui rendent parfaitement justice à son postulat de départ, C’était Demain réussit par un scénario très bien huilé à éviter les deus ex machina, le maillon de la résolution de l’intrigue étant connu du spectateur, puis discrètement rappelé au cours du récit. Il immerge également le spectateur, évacuant très tôt par une belle explication scientifique toute réticence et incrédulité face à l’élément fantastique du récit. Comme ses héros, C'était Demain a un coté hors du temps et prophétique qui confère à ce grand prix d'Avoriaz de 1980 une aura quasiment intacte encore trente ans après sa sortie. Il propose un état des lieux du 20ème siècle bien avant la date, un constat vérifié en cette veille de 2010, en quelque sorte la fin d'un espoir en une meilleure humanité, la victoire du réalisme sur l'idéalisme. "Tous les siècles se ressemblent, il n'ya que l'amour qui puisse les rendre supportable".
TIME AFTER TIME
Réalisateur : Nicholas Meyer
Scénario : Nicholas Meyer, Karl Alexander, Steve Hayes
Production : Herbe Jaffe, Steven Charles Jaffe
Photo : Paul Lohmann
Montage : Donn Cambern
Bande originale : Miklòs Ròsza
Durée : 1h43
Sortie Française : 23 janvier 1980