Mars 2009

Who critics the critics ?

Smiley

"Vous avez quand même pas un peu peur que de nombreux journalistes vous tombent dessus, à force de critique ?" nous demande Weta dans notre remise des Esquimaux Euhouards 2008. Bien au contraire, on trouverait cela merveilleux ! Ce serait la preuve qu'ils vivent encore.


Ce serait la preuve que derrière les discours convenus élaborés selon les niches sociales visées se cachent des rédacteurs passionnés et concernés par le cinéma et ses écrits.

Encéphalogramme plat
Las. Chacun reste dans son coin, dans son petit feuillet confortable, et se borne très consciencieusement à ignorer les débats, les questions qui fâchent ou les prises de risque intellectuelles. De toutes façons le critique n'est plus critique, il est "chroniqueur", tout comme le débat n'est plus débat mais "polémique". La critique négative indigne de facto, si bien que l'on en vient à se demander ce qu'il peut se passer dans le crâne des spectateurs pour qu'un avis contrariant leur expérience d'un film puisse les troubler au point qu'ils oublient qu'eux aussi, il leur arrive de ne pas en apprécier, et même d'être en désaccord total avec des amis, de la famille ? 

Conséquence de cette logique de niches et de labels : la voix discordante ne se fait qu'à l'aune du "moi je", de l'égo, substituant ainsi l'objectivité par le remix intime des faits. Exemple avec cet article édifiant de Jean-Baptiste Morain des Inrocks à propos du Gran Torino de Clint Eastwood. Par pure haine et aigreur (ou par affection de la justesse culturelle et de l'équité des débats, allez savoir quelle névrose est la pire de nos jours), j'y ai pointé du doigt quelques unes des contre-vérités qui maculent ce papier : selon l'auteur, Eastwood aime très peu la jeunesse et l'idée qu'on lui survive. Tellement peu qu'il a réalisé... La Relève ; son personnage possède des armes, mais jamais rien ne montre qu'il les aime, sauf pour Morain (Ha ! La nuance, quelle cochonerie !) ; les personnages Hmong fades, c'est du racisme selon lui, donc le curé roux fade, c'est le racisme envers les roux de Clint qui s'exprime - sa famille fade, c'est son racisme envers les blancs ; l'héroïne de Million Dollar Baby, que Morain voit détruite par Clint et par sadisme, insiste pendant une heure pour apprendre la boxe auprès de l'entraîneur récalcitrant, et c'est elle-même à la fin qui demande qu'on l'achève...
Que m'a-t-on répondu suite à ces rapides corrections d'un argumentaire bien faible : "Pinaillage que tout cela !!".

Comprends, lecteur, qu'il est bien plus constructif de débattre sur du vent, sur du "moi je dis que", et tu seras prié de laisser de côté ces pauvres faits qui ne font rien qu'à contrarier les visions vertigineuses des cinéphiles de presse. L'Art, c'est subjectif. La liberté d'expression, c'est sacré. Les faits, cette composante rhétorique extérieure à l'individu, ce n'est que du "pinaillage". 

Moi je dis que la Terre est plate

Les seuls faits qui comptent dans nos rédactions font bling et font blang, se doivent de tinter doux à l'oreille du comptable et du banquier.
L'affaire est très visible sur les 147 048 sites Web consacrés (ou l'inverse) au cinéma, gorgés à 90 % de news lamentables ("La quatrième bande-annonce russe sous-titrée moldave de Dragonball Evolution est en ligne !!") (qu'elle attende, j'ai un appel) et de previews infomerciales sur des films lointains aux qualités douteuses, car comprends-tu lecteur, il faut générer du clic, il faut alimenter l'aggrégateur RSS, il faut beaucoup de vide pour remplir le vide. Il est tellement plus aisé de cumuler les visites en copiant/collant les communiqués des distributeurs plutôt qu'en s'engageant sur les voies dangereuses du débat.
Par un naïf réflexe mimétique, les sites amateurs ne volent pas vraiment plus haut : ça news, ça news, ça news et ça preview quand un rip de qualité tombe dans les Torrent. On reste coincé dans sa niche, on lustre le lecteur avant de lustrer les idées. Même libérés de toutes contraintes financières, les webzines cinéphiles restent prisonniers d'une mécanique de pensée inculquée par les grands frères de la presse papier : ainsi on ne répond plus à un article qui vous cite et vous contredit, on l'ignore. Car y répondre c'est le linker, le linker c'est amener à "l'ennemi" de nouveaux lecteurs, de nouveaux lecteurs qui risquent d'être conquis. Et lorsqu’on ose la folie d'y répondre, c’est avant tout pour insulter, pour pointer du doigt la bassesse de "l'attaque" de ces "frustrés" de l'autre côté de la rue, forcément jaloux et ivres de haine (sinon quelle autre motivation pourrait bien pousser des rédacteurs à expliciter leur désaccord avec autrui ?).

Des milliers de sites se disent consacrés à la culture et au cinéma, mais combien pour dénoncer le projet de loi Création et Internet ? Combien pour fustiger les propos idiots d'un Luc Besson déconnecté au point de ne pas faire le rapprochement entre le piratage de son Taken et le succès de celui-ci au box-office US ? (il faut que ce soit un blogueur avocat qui le remette en place) Combien pour s'élever contre des hommes politiques si confiants envers les médias qu'ils ne se gênent plus pour distribuer les mauvais points aux méchants cinéastes qui ne font pas sagement là où il faut ? Combien pour relayer la seule bonne idée du cinéma hexagonal de ces dernières années ? Combien pour faire la corrélation entre les budgets toujours plus importants des piètres films de Jean-Paul Salomé peinant à rembourser leur mise de départ et son engagement sur le site d'endoctrinement du ministère de la culture ? Combien pour demander aux si inspirés critiques de Libération et de Technikart où est passé le réalisateur propagandiste nazillard bushien de 300 quand Zach Snyder adapte Watchmen, le comic ayant démystifié l'iconicité moderne des USA ? A contrario, combien pour informer qu'en fait, malgré tout le bien qu'en pense le public des festivals occidentaux et les rédactions propres sur elles, il se peut, mais rien n'est sûr, que le cinéma de Zhang Yimou soit lui dépendant de son gouvernement ?

Me, myself, aïe
Si les années 80 avaient vu l'éclosion du fanzinat et de l'entraide entre passionnés (mais non dénué de débats riches et mouvementés), le Net et son incommensurable potentiel a surtout permis de submerger ce noyau dur sous un fatras d'internautes sommés de se lancer dans une quête identitaire nourrissant le communautarisme culturel, de fans gâtés hurlant leurs desiderata à des Majors trop heureuses d'avoir accès à des études de marchés gratuites et illimitées (on appelle ça un "forum" de nos jours).

Pendant qu'on s'agite sur son blog influent pour tester du Nokia, du produit de beauté, de la chaussure de mode, espérant avoir ses entrées dans des soirées animées par des présentateurs du câble sans qu'à aucun moment on ne stigmatise le manque pathologique d'estime de soi qu'illustre cette attitude, pendant qu'une grande chaîne hertzienne nous répète que le jeu vidéo est l'équivalent de la drogue et de l'alcool, pendant qu'une Ministre affirme que l'augmentation des plages publicitaires permettra à TF1 de diffuser du Fellini, il y aura des aigris, des frustrés, des paranos, des névrosés jaloux, des réalisateurs râtés, des artistes incompris, des gus dans des garages, bref la lie de la société telle qu'on nous ordonne de la concevoir, qui tentent et tenteront encore avec la folie les caractérisant de faire naître dans le débat des points de vue divergeants.
Pourquoi ? Ho, comme ça, pour assouvir leurs pulsions malsaines, pour extérioriser cette démence qui les ronge. Ou plus incompréhensible, pour espérer voir les idées consensuelles émulant des cultures conservatrices être discutées sans attendre cinq décennies, pour titiller les discours officiels en colportant de simples faits à une masse engourdie toujours ronchonne au réveil.

Pour le sain plaisir de critiquer.




   

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