Avril 2010
- Détails par Nicolas Bonci le 30 mars 2010
Brain material
De ce premier trimestre 2010, nous avons appris que Pocahontas repoussa les Anglais avec l'aide de John Smith, que Bruno Dumont devrait donner des conseils de communication à Eric Zemmour, qu'un film peut être suspecté de révisionnisme par l'ignorance d'un philosophe, que Gus Van Sant est le meilleur réalisateur de la décennie, qu'il faut dire ce qu'on pense d'un film selon son sujet, que Richard Berry a la légitimité pour se comparer à Scorsese, que le voyage merveilleux d'Alice lui permit de devenir un entrepreneur de génie en avance sur la mondialisation.
Le programme fut chargé.
C'est qu'on finit par ne plus savoir où donner de la tête face à cet éternel flux continu de brouillage culturel, dont l'ampleur et la fureur semblent valider le choix du chroniqueur / cinéphile / rédacteur décidé à ne parler pour ne rien dire. Tellement moins usant.
Il est donc nécessaire que je vous présente Madame Dame, blogueuse (im)pertinente dont la première et grande qualité est d'avoir un propos mis au service d'une réelle volonté de débat cinéphile.
A titre d'exemple, Madame fût l'une des rares à parler longuement de religion pour un film au titre assez obscur sur ses intentions : Un Prophète. Un peu excentrique comme idée, non ? Fort heureusement l'armée des penseurs imprimés avait su nous préserver de l'hérésie avec l'usinage de la-dure-vie-des-prisons-françaises-que-c-est-pas-facile-dites-donc-halala.
Plus récemment, c'est en évoquant Lebanon de Samuel Maoz que Madame osa défier les épitaphes critiques gravées dans le marbre du consentement contraint :
"Sur Lebanon, je lisais ici une critique fort intéressante. D'abord en ce qu'elle est très personnelle, se distinguant à ce titre du résumé descriptif qu'en ont fait la plupart des gens payés pour pondre des textes sur les films. Intéressante aussi en ce qu'elle établit un parallèle entre "l'abjection" du travelling de Kapo et celle d'une scène de Lebanon. A ce propos, un petit flash-back s'impose : en 61, Rivette publie dans Les Cahiers "De l'abjection", un article sur Kapo, film de Pontecorvo qui serait gentiment tombé dans l'oubli si le critique n'en avait épinglé un malheureux travelling, qu'il s'empressa d'immortaliser en l'érigeant en paradigme cinématographique de l'immoralité (pour ne pas dire de la putasserie la plus méprisable). Faire un travelling sur le cadavre d'une jeune déportée serait abject. Faire pleurer le spectateur sur la Shoah, sujet irréductible à toute larmoyance, serait abject. Un simple travelling, concluait Jacquo, est affaire de morale : il est abject de montrer complaisamment la mort d'un déporté.
N'est pas abject en revanche le jugement métonymique d'un critique qui prend un plan du film comme en exprimant le tout. Non non non non non pas du tout. Comment l'exprimer sans me rouler par terre avec la bave aux lèvres ? Aaaahhh, sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille....
Alors voilà : Rivette fait des films ultra-chiants. Rivette fait des films ultra-chiants sur de tout petits sujets minuscules. Rivette fait des films ultra-chiants sur de tout petits sujets minuscules qui parlent à certains jeunes gens de la rive gauche mais sinon à personne. Que Rivette délivre alors des leçons universelles de morale cinématographique nous paraît pour le moins déplacé. Voire risible. Qu'on continue à lui emboîter le pas 50 ans après nous laisse en outre rêveurs. Oui nous aimons le nous majestatif."
Vous pouvez objecter comme Macfly que cela revient à décrédibiliser le discours critique d'un auteur sous prétexte que ses films ne vous plaisent pas, ou au contraire adhérer à l'idée qu'il faut être bien acrimonieux pour décréter ce qui est immoral et abjecte avec si peu d'éléments. Vous pouvez dire bien d'autres choses encore tant le thème est riche.
Pour cette raison, louons les articles de Madame Dame, qui ont le mérite de proposer une alternative aux obsessions sur la couleur de peau des ethnies lointaines que nous offre depuis des mois la crème des insoumis du cinéma.