L'Étrange Festival 2011

Strasbourg et paillettes

Affiche L'Étrange Festival 2011

Du 6 au 10 avril 2011 s’est tenue la 17ème édition de l'Étrange Festival de Strasbourg. Capuché, accredité, fast-foodé, redbullé : votre serviteur a bravé l’appel particulièrement aguicheur de la météo et des mini-jupes pour vous livrer un compte rendu de cette manifestation à l’avant-garde du cinéma (comme tout festival qui se respecte).



MERCREDI 6 AVRIL

 Alors que les spectateurs s’amassent dans le hall du cinéma Star Saint-Exupéry, je me fraye un passage dans une foule qui promet une ouverture couronnée de succès. On me dirige vers la file des “accrédités presse”, acculée contre les distributeurs de boissons. Alors que la peur de se faire tricard de la séance monte, le sémillant Philippe Lux (président du festival) vient nous tirer de ce mauvais pas et nous adresse vers l’homme qui tombe à pic : Marc Troonen.  Muni du précieux sésame, les hostilités peuvent commencer.

Philippe Lux ouvre le bal et explique que cette édition avancée en avril au lieu de novembre (le FEFFS ayant lieu en septembre) a été possible grâce au soutien de Stéphane Libs et des cinémas Star, qui connaissent malheureusement la crise et des problèmes de loyer. La fermeture de deux des trois dernières salles indépendantes de la ville seraient un coup dur pour la montée en puissance de la capitale européenne dans le panorama des festivals de cinéma de genre. 

L’ambiance festive revient très vite avec le court métrage Il Était Une Fois L’Huile de Winshluss (qui est à Vincent Paronnaud ce que Moebius est à Jean Giraud). Le co-auteur du dessin animé Persepolis avec Marjane Satrapi est actuellement plongé dans l’adaptation “en technicolor et en cinémascope” de l’autre grand album autobiographique de l’iranienne : Poulet Aux Prunes. Ici, l’auteur de l’inénarrable Villemolle 81, se moque des grandes industries avec un humour réjouissant mais pas toujours finaud. 

Il Était Une Fois L'Huile
Il Était Une Fois L'Huile


On continue la soirée avec le plat de résistance : Détective Dee Et Le Mystère De La Flamme Fantôme de Tsui Hark. Suivi de longue date par l'Étrange, le génie de Hong Kong revient en force après une décennie à osciller entre la perle inachevée (Seven Swords), l’exercice anecdotique (le cadavre exquis Triangle) et le carrément honteux (Black Mask 2, Missing je n’ai pas osé) aidé par le célèbre Sammo Hung.
Inspiré du légendaire Di Ranjie, le juge Dee enquête sur les morts mystérieuses de plusieurs notables à quelques jours de l’intronisation de la future impératrice de Chine Wu Zetian.Mêlant habilement le contexte historique avec l’ambiance politique actuelle, la virtuosité du chinois hypomaniaque anime trois personnages aux pouvoirs surnaturels, incarnation des principes qu’ils défendent, et qui finiront à l’écart de la société chinoise. Une conclusion mélancolique et désabusée habilement masquée derrière le dénouement qu’on imagine facilement imposée par le régime de censure chinois. Pour en savoir plus, je vous recommande la critique sur Gizmo Inc.  

Détective Dee Et Le Mystère De La Flamme Fantôme
Détective Dee Et Le Mystère De La Flamme Fantôme


La soirée se termine avec Dream Home de Pang Ho-Cheung, qui œuvre pour la première fois dans un genre qu’il adore : le film d’horreur. Ce Catégorie 3 met en parallèle la violence du marché immobilier hong-kongais à une tuerie impitoyable, le film se voulant inspiré d’un fait divers réel. La mise en scène (liant par exemple les immeubles et les individus dans des contres-plongées extrêmes) se démarque surtout par ses massacres filmés de façon brutal et graphique. On regrette cependant les séquences artificiellement complexifiées par des flashbacks incessants et inutiles, le manque de réalisme contreproductif des mises à mort, et surtout le déséquilibre entre le second degré gore et la lourdeur des scènes dramatiques.  

Dream Home
Dream Home



JEUDI 7 AVRIL

Squeezant Symbol et Ne Nous Jugez Pas de tristes réputations, je n’assiste qu’à la séance Mondo avec la projection de Mondo Trasho, un épisode de la série L’Oeil Du Cyclone (Canal +), suivi du séminal Mondo Cane du trio Jacopetti, Prosperi et Cavara, sous les informations avisées de Sébastien Gayraud, co-auteur du bouquin Mondo Movies : Reflets Dans Un Oeil Mort

Mondo Trasho est un montage de présentation de plusieurs extraits de mondos, dont Mondo Cane.
Ce film fondateur du genre est né de la rencontre entre le documentariste Jacopetti et l’anthropologue Prosperi ("Les cinéastes les plus irresponsables de tous les temps" selon Pauline Kael). Il n’en fallait pas plus pour dresser avec un regard ironique un parallèle inacceptable entre divers comportements plus ou moins acceptés socialement, glanés aux quatre coins de la planète. La voix off, extrêmement manipulatrice et témoin du savoir faire de Jacopetti, accentue le propos jusqu’au mensonge. L’accueil critique de la vague des mondos movies qui suivit (en grande partie alimentée par les deux compères) se révèle également un excellent marqueur de l’évolution des pratiques cinématographiques. Jadis jugé inacceptable à Cannes, Mondo Cane est aujourd’hui tout public. 

Mondo Cane
 


VENDREDI 8 AVRIL

La journée commence avec une rareté, le premier film de John Byrum : Gros Plans. Grand espoir du cinéma américain et protégé de Jim Henson, John Byrum n’aura jamais été à la hauteur de l’attente qu’il suscitait. Pourtant, Gros Plans ne manque pas de qualités. Ce huis clos classé X à sa sortie raconte l’histoire d’un petit génie d’Hollywood dans les années 30, Boy Wonder (Richard Dreyfuss) tombé en disgrâce pour ne pas avoir su (ou voulu) prendre le virage de l’apparition du sonore. Sous la direction d’un producteur / maquereau / dealer qui répond au nom calorique de Big Mac (Bob Hoskins), il tourne des pornos bas de gamme dans son appartement quand il ne noie pas son chagrin dans l’alcool. Sa rencontre avec Cathy Cake (Jessica Harper en full frontal nude) relancera sa quête de la perfection.
Drame, thriller, réflexion cinéphile, érotique et sentimentale, cette satire hollywoodienne vaut surtout par son scénario brillant. Peut être que John Byrum n’était pas à même de tirer le maximum de son script (un Paul Verhoeven aurait sûrement fait du film un classique) mais il s’en tire avec les honneurs. 

Gros Plans
Gros Plans


La suite est un des grands événements (en tout cas pour ma part) du festival : la projection de Balada Triste De Trompeta, le dernier Alex de la Iglesia. 

Tout d’abord, nous assistons, en présence de son producteur JPP (pas le footballeux ex-entraîneur du RCS : le fondateur de Mad Movies), à la projection de Mandragore, un court-métrage de Fabrice Blin. La copie diffusée étant une copie de travail inachevée sur divers plans (VFX, mixage, étalonnage), difficile de se faire une idée sur cette histoire de sorcière anecdotique mais disposant des jolis effets de David Scherer, l’enfant du pays.  

C’est une toute autre dynamique avec l’excellente introduction de l’excellent Balada Triste De Trompeta. Cette épopée de deux clowns complètement tarés dans l’Espagne de Franco à la conquête d’une belle perverse est un énorme coup de poing dans son fond et dans sa forme. L’ensemble du métrage baigne dans la folie : le grotesque des situations, le psychopathe Sergio, la déchéance de Javier... Ce mélange improbable des genres permet à de la Iglesia de s’emparer des années les plus tragiques de l’Espagne moderne pour en extraire l’absurdité de leurs luttes fratricides à travers une imagerie iconique époustouflante. La scène de reconstitution de l’attentat sur Luis Carrero Blanco en est un cas d’école. Je ne m’étendrai pas plus pour vous laisser la surprise de ce classique en puissance.  

Balada Triste De Trompeta
Balada Triste De Trompeta


Pour digérer ce choc filmique, l’équipe du festival a concocté un programme tout en sensualité : la double séance Eros.
D’un côté le pastiche érotique Flesh Gordon, de l’autre le fameux Derrière La Porte Verte signant  les débuts de la mythique Marylin Chambers (Rage de Croneberg). Va-et-viens constant de spectateurs, échangeant une salle pour une autre ou s'arrêtant goûter le nectar offert par les bénévoles du Mad Cine Club (de la sangria en fait).
Si l’atmosphère est particulièrement moite dans la salle du kitschouille et très lourd Flesh Gordon, la moyenne d’âge plus élevée dans l’autre salle garantit une ambiance plus tranquille et plus sage, les intentions arty - expérimentale du film n’aidant pas. Les poils non plus parait-il. 

Derrière La Porte Verte
Derrière La Porte Verte


La séance était précédée d’une bobine gentiment misogyne de Ton Mari Cet Inconnu de Werner-M. Lenz, un film éducatif proposé par la RFA à destination de la jeunesse (qu’on sait pudique) des années 70, où l’impuissance est probablement causée par le manque d'attrait de la femme présente. Sachant que le film détient des records de fréquentations dans toute l’Alsace (devant Titanic !), on peut se demander comment nos aînés ont été élevés. En fait je préfère ne pas y penser. 

Cette séance est l’occasion de se questionner sur le fonctionnement de la censure par le X, qui aura contribué à censurer un grand nombre de classiques dérangeants (Mad Max, Massacre A La Tronçonneuse...). Ou comment la diffusion de films pornographiques dans un cadre intellectuel (un festival) est jugé plus acceptable plutôt qu’une exploitation plus populaire.Un quizz de fin permet de gagner de nombreux lots, mais ceci restera du domaine du privé (Rurik Sallé a dû passer une nuit fort agréable). 


SAMEDI 9 AVRIL
Après une entrevue avec Philippe Lux, c’est l’heure de découvrir le premier film des inséparables Julien Carbon et Laurent Courtiaud, Les Nuits Rouges Du Bourreau De Jade, en présence des deux réalisateurs.
Cette petite coproduction franco-hong-kongaise fétichiste est pensée comme un hommage à l’actrice Carrie Ng, mêlant plusieurs influences comme le giallo, le film de gangster français ou le film érotique japonais. Malheureusement, la beauté plastique des Nuits Rouges souffre d’une écriture ne développant pas assez ses personnages (à part celui de Carrie Ng), rendant le tout trop désincarné.
Ayant raté les projections presse, Marc Troonen me propose une interview au pied levé des deux ex-journalistes à la place du tétanisant I Saw The Devil de Kim Jee-woon. Je me retrouve donc sur la terrasse d’un restaurant pittoresque au pied de la cathédrale, où l’équipe du Mad Ciné Club se restaure en compagnie de JPP. Entretien à lire ici

La fin de la journée se termine avec l’australien The Loved Ones, précédé de deux courts-métrages : Bloody Christmas 2, La Révolte Des Sapins de Michel Leray, une bande horrifique potache pas très drôle et To My Mother And Father de Can Evrenol, une histoire qui commence comme le Halloween de Carpenter pour dériver on ne sait pas trop comment (et surtout pourquoi) sur une césarienne moyenâgeuse et une dégustation gastronomique de foetus. 

Heureusement, The Loved Ones de Sean Byrne maintient la salle éveillée de 1h00 à 3h00 du matin (signe d’un film réussi) avec son histoire d’adolescente psychopathe qui contraint par la torture un jeune beau gosse à être son prince d’un soir. Le point fort du film réside dans les liens que le réalisateur tisse entre les personnages, les extirpant des caricatures qu’ils incarnent au départ pour en faire des êtres à la fragilité émouvante (de la relation incestueuse des bourreaux à celle du couple de l’intrigue secondaire pas franchement utile à la narration). 

The Loved Ones
The Loved Ones



DIMANCHE 10 AVRIL
C’est le dernier jour du festival et pas le moindre.  
Les montagnes russes émotionnelles commencent avec nostalgie par la séance du Secret De La Pyramide de Barry Levinson. Une production Amblin exemplaire qui n’a pas manqué d’attirer les geeks (souvent accompagnés de leurs enfants). La déférence à Sir Conan Doyle des instigateurs du projet (son metteur en scène, Chris Columbus, Steven Spielberg, Frank Marshall, Kathleen Kennedy...) force le respect pour cette adaptation très librement inspirée du célèbre détective Sherlock Holmes et de son associé le Dr Watson, l’histoire étant complètement originale (lourdement rappelée par les panneaux de début et de fin de film). Un travail qui pose les bases des personnages connus de tous, et qui devrait en remontrer à tous les tacherons de la transposition cinématographique (à commencer par Guy Ritchie). On ne peut pas ne pas aimer le cinéma en ayant vu ce film tout gosse. 

Le Secret De La Pyramide
Le Secret De La Pyramide


On poursuit avec une des rarissimes projections salle en France du maudit The Fall de Tarsem Singh, dans une copie sublime. Malheureusement, la splendeur des images glanées ici et là au cours de tournages parfois sauvages (à l’occasion de contrats publicitaires), les noms prestigieux de David Fincher et Spike Jonze (collègues de Singh à Propaganda films) et la performance hallucinante de la très jeune Catinca Untaru n’ont pas permis au film d'accéder à une distribution en salle. Pourtant, c’est le support le plus approprié à cette déclaration d’amour au cinéma, matrice d’un échange entre le réel et la fiction.        

On change totalement d’ambiance avec Bedevilled (aka Blood Island pour sa sortie injuste en DTV) de Jang Cheol-soo, qui confirme que les artistes coréens ont la rage comme personne. La jolie Hae-won (Sung-won Ji Seo), citadine à la lâcheté ordinaire se retrouve confrontée à ses choix lorsqu’elle retourne en vacances dans son île natale. Elle y retrouve son amie d’enfance Bok-nam (Young-hee Seo) et assiste totalement passive à la torture sournoise que le mari de cette dernière et les matriarches font subir à la jeune paysanne. La chronique sociale malsaine trouvera son exutoire dans une autre forme de barbarie, bien plus graphique. Et viscérale.   

Bedevilled
Bedevilled


C’est maintenant l’heure de la clôture officielle avec citations de partenaires et surtout une jolie surprise : la très belle bande-annonce de Legend de Ridley Scott.On termine donc ce festival sur Source Code de Duncan “Bowie Jr” Jones, l’auteur de Moon. Jake Gyllenhaal se retrouve enfermé dans une boucle temporelle matinée de Philip K. Dick afin de déjouer un attentat terroriste. Si le pourquoi du comment plutôt prévisible occupe la plus grande partie du film, Jones l’évacue de manière précipitée sitôt le fin mot de l’histoire découvert pour s’étendre sur une réflexion un peu plus pesante, à l’instar de son premier film. Pas dépaysant pour un sou mais plutôt agréable. A noter une apparition vocale de Scott Bakula immortalisé dans la série Code Quantum

La clôture se poursuit pour quelques personnes avec Heartless de Philip Ridley, que l’équipe du Mad Ciné Club n’a pas voulu projeter il y a deux ans à cause de la déception (compréhensible) de la part de l’auteur de L’Enfant Miroir. Malgré tout, les défauts du film n’enlèvent rien à l'intéressant mélange des genres (un leitmotiv de cette édition) de Heartless. L’ayant déjà vu à Gérardmer, je rentre mettre un point final à l’Etrange de Strasbourg 2011 avec une séance de rattrapage de I Saw The Devil. Et du lexomil.

Source Code
Source Code



   

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