Djangoxploitation
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- Dossier par Nicolas Zugasti le 16 janvier 2013
Django à la chaîne
Avant Tarantino, pléthore de réalisateurs ont donné leur propre version de Django. Et quelques unes des séquelles au chef-d’œuvre de Corbucci ne sont pas piquées des hannetons ! Retour sur Django et six de ses avatars sur la quarantaine de "suites" produites (à compléter selon vos envies dans les commentaires !).
L’association Sergio Leone / Clint Eastwood à l’occasion de Une Poignée De Dollars fit rapidement sensation, notamment parce qu’elle permit la formation d’une icône immédiate, l’Homme sans nom. Deux ans après, en 1966, Sergio Corbucci et son égérie Franco Nero donnèrent un nom à ce justicier retors et taciturne, Django. Une autre figure de l’Ouest italien, peut-être encore plus emblématique que le personnage d’Eastwood si l’on tient compte de la flopée de westerns spaghetti qui a suivi avec "Django" dans le titre. Le dernier rejeton en date étant bien sûr Django Unchained de Tarantino. Une sortie évènement, comme à chaque opus du réalisateur mais plus encore cette fois-ci puisqu’il s’attaque frontalement au genre de son cinéaste fétiche, Sergio Leone, agrémenté de morceaux du cinoche de Corbucci dont Django et Le Grand Silence sont les références les plus évidentes (pour approfondir la question, il faudra attendre de le voir).
L’occasion est donc belle pour un rapide retour sur le mirifique Django et sa connexion leoniene, ainsi que sur quelques perles de séquelles, six, soit de quoi remplir un plein barillet !
Quatrième incursion dans le genre pour Corbucci, Django entretient de nombreux points communs avec Pour Une Poignée De Dollars même si la mise en scène des deux réalisateurs diffère, Corbucci exprimant une plus grande appétence pour une violence graphique dans un style plus rugueux que son compatriote. Si Leone s’était inspiré du Yojimbo d’Akira Kurosawa, Corbucci emprunte lui à la structure narrative du film de Leone : un étranger débarque en ville et se mêle de la rivalité entre deux bandes rivales, ici les mexicains du général Rodriguez et les américains racistes du major Jackson (sorte de Ku Klux Klan local), attisant leur inimité pour en fait servir son propre but, la vengeance et dans l’opération libérer de leur joug les habitants de cette bourgade à la frontière américano-méxicaine.
En outre, les personnages de Django et de l’Homme sans nom partagent des traits communs, ils sont tous deux aussi charismatiques, avares de mots, prompt à dégainer et possèdent un regard perçant. Deux antihéros désabusés qui divergent cependant dans leur accoutrement et l’allégorie qui les définit. Django n’a pas de pancho mais est revêtu d’un uniforme de l’armée nordiste et si le perso d’Eastwood chez Leone personnifiait, du moins était une figuration de l’Archange Gabriel apparu pour punir sévèrement les pêcheurs, Django est quant à lui une véritable incarnation de la Mort elle-même.
Lorsqu’il apparaît pour la première fois à l’écran, on ne distingue pas clairement son visage, on le voit principalement de dos traînant un cercueil. Et alors que l’on se demande ce qu’il peut bien contenir, le titre du film en lettres rouge sang barre ce macabre objet. La mort rôde et le mystérieux personnage (on en apprendra finalement assez peu sur lui) la propage, de par son action directe (les quatre planches contiennent en fait une mitrailleuse qui lui servira notamment pour une séquence anthologique de massacre pur et simple) ou non, sa présence seule semble accélérer l’issue mortelle de ses assaillants (alors qu’il observe les mexicains fouetter une jeune femme, ils sont stoppés non pas par Django mais par des hommes du major). De plus, alors que l’environnement dans lequel il évolue est marqué par la boue recouvrant le sol et qui en recouvrant partiellement les bottes de Django lui confère une allure de Golem, le récit se conclue dans un cimetière avec un Django, les mains brisées et en sang, s’appuyant sur une croix pour tenter de tenir son arme, accentuant la chape de plomb et de damnation pesant méchamment depuis le début. Un film qui constitue une remarquable introduction à la noirceur du Grand Silence et qui semble développer ce que Corbucci a ici esquissé.
Fort de ce succès, les petits rejetons n’allaient pas tarder…
Django est le héros d’un seul film mais son patronyme a été un formidable prête-nom pour tout un tas de héros de westerns italiens plus ou moins frelatés dont le nom changeait selon les versions d’exploitation et la traduction du titre. Ce ne sont donc pas forcément de nouvelles aventures du personnage (à ce titre, signalons l’exemple, euh, exemplaire, de Keoma d’Enzo G. Castellari baptisé in english Django Rides Again parce que Franco Nero y interprétait le rôle titre et que des références au hit de Corbucci parsèment le film de Castellari…). De toute manière, même lorsqu’il s’agit effectivement de Django, si la silhouette et l’accoutrement sont peu ou proue respectés (bon, parfois de très loin avec un soleil de plomb en pleine face), le personnage n’a plus grand-chose à voir avec l’aura de mystère et le charisme conférés par Corbucci et Franco Nero.
Django Tire Le Premier (Django Spara Per Primo) réalisé par Alberto De Martino en 1966 (avec comme assistant-réalisateur, un dénommé Enzo Girolami, plus connu sous le nom d’Enzo G. Castellari). Dans ce film, Django s’appelle en fait Glenn Garvin, mais le nom popularisé par Corbucci et Franco Nero est beaucoup plus sexy. En tous cas, on aura vite deviné que le personnage présent n’avait plus grand-chose à voir avec l’original tant il fait preuve d’une volubilité à toute épreuve et d’un sourire souvent éclatant. Néanmoins le film se suit avec un certain plaisir grâce à une intrigue joliment rocambolesque.
Après avoir descendu le chasseur de primes qui venait de dessouder son paternel dont la tête était mise à prix (5000 dollars quand même), il juge plus opportun de livrer lui-même le cadavre de son père et empocher la récompense plutôt que de l’enterrer au milieu de nulle part. Double coup de chance (oui, parce que le premier était la rencontre fortuite avec le chasseur de primes), il s’avère que son père était propriétaire pour moitié de la ville de Silver Creek, fondée en son temps avec Kluster, représentant de la bourgeoisie locale et de sa mainmise. Ce dernier ne voit pas d’un très bon œil l’arrivée du fiston et compte bien s’en débarrasser. Entre temps, notre simili Django a lié amitié avec le poivrot du coin qui le rencarde sur tout le bazar et sa rencontre avec la mignonette patronne du bar va changer sa vie.
Coups fourrés, trahisons, fusillades, personnage mystère en retrait qui finira par épauler le héros, on ne s’ennuie pas dans la quête de Django de saisir l’opportunité de changer de vie. De plus, le final réserve une double surprise. Si le premier coup de théâtre est attendu (alors qu’il s’apprête à quitter la ville, les sacoches remplies de fric, il va être contraint d’y retourner et d’épouser la tenancière du bar), le deuxième l’est beaucoup moins et chute humoristique en guise de conclusion. A noter, que dans cette séquence apparaît George Eastman, l’Anthropophagus lui-même.Â
Tire Encore Si Tu Peux (Se Sei Vivo Spara / Django, Kill... If You Live, Shoot!) réalisé par Giulio Questi en 1967. S’il n’a, là encore, fait qu’emprunter le nom de Django, le héros intréprété par Tomas Milian étant un métis surnommé "l’étranger", l’ambiance et le caractère mortifère du personnage en font un plus digne héritier du Corbucci. Ceci étant, sans même accorder d’importance à cette filiation factice ou avérée, le film de Questi est excellent et mérite de figurer dans la liste des indispensables du genre.
Revenu littéralement d’entre les morts après avoir été trahi, lui et sa bande par leurs alliés américains, il part assouvir sa vengeance grâce notamment aux balles en or confectionnées à son attention par les deux indiens tendance mystique l’ayant secouru et l’accompagnant désormais. Arrivé dans une ville qui semble peuplée uniquement de spectres, le personnage de Milian balancera entre les deux camps dirigés par des amis devenus rivaux par appât de l’or.
Questi signe un western a l’ambiance étrange, constamment à la lisière du fantastique, orchestrant des visions d’horreurs avec maestria pour mieux déstabiliser le spectateur.
Avec Django, La Mort Est Là (Vengeance / Joko Invoca Dio… e Muori) réalisé Par Antonio Margheriti en 1968 avec Richard Harrison dans le rôle titre de Django / Rocco / Joko selon les versions.
Ici, c’est une pure histoire de vengeance. Django / Joko et deux acolytes ont perpétré un cambriolage mais une trahison les prive de la jouissance de leur acte. Dans la panique, un des deux compagnons de Django y laisse la vie (on apprendra tout ça par voie d’un flash-back plus tard dans le film), tandis que le premier se fait écarteler dès la séquence pré-générique. Django n’aura donc de cesse de retrouver les responsables et de leur faire payer. Et s’il peut récupérer le flouze au passage…
Ce film vaut surtout pour son spectacle roboratif mais la réalisation est pour le moins passable et les interprètes au diapason. Les allusions de liens homosexuels entre les trois frères d’armes sont pour le moins tendancieuses quant elles ne sont pas explicites (Mendoza, le cerveau de la bande, regardant avec gourmandise le jeune Ricky), ce qui donne à l’ensemble un caractère inhabituel. Les salauds sont irrécupérables, le héros impitoyable et la belle joue de la guitare (mais n’arrivera pas à charmer le héros). Le final situé dans une grotte est agrémenté d’éclairages de couleurs conférant à l’ensemble un certain charme baroque mais ce n’est tout de même pas la panacée.
Pour plus d'infos, reportez-vous à cet article de Courte Focale. Â
Django Défie Sartana (Django Sfida Sartana) réalisé par Pasquale Squitieri (ou sous son pseudo plus vendeur à l’international, Willima Redford) en 1969 ou 1970 ou 1971 (cela dépend des sources) avec Tony Kendall dans le rôle de Django et George Ardisson dans celui de Sartana.
Un crossover improbable entre le personnage créé par Corbucci et celui par Gianfranco Parolini, Sartana donc. Et surtout un nanar pur jus !
Les interprètes de ces antagonistes qui finiront par s'allier n'ont que peu de rapport avec les personnages originaux si ce n'est une allure vaguement ressemblante. Mais là n'est pas l'essentiel, le plus important étant la mise en scène assez particulière des péripéties.
Rapidement pour l'histoire, Django cherche à faire la lumière sur l'implication de son frère Steve, banquier de la ville dans laquelle il est venu goûter un repos bien mérité après s'être débarassé d'une pourriture de despérado, lynché pour avoir dévaliser l'établissement en compagnie de Sartana. Cela va entraîner notre pistolero favori sur la trace de l'homme en noir Sartana et ils en viendront rapidement aux mains. Leur confrontation est d'ailleurs anthologique, les bourre-pifs qu'ils s'échangent étant filmés au plus près (préfigurant le style Jason Bourne ?), dans un style particulier (on est à la limite du point de vue subjectif), une lutte qui dure assez longtemps (préfigurant le combat dans une ruelle de Invasion Los Angeles ? En fait, ce film est une pépite !?) et se termine hyper abruptement par une coupe brutale sans aucune autre raison qu'il fallait bien terminer ce combat (en pleine baston, le plan suivant montre les deux protagonistes devisant calmement).
Le méchant est en carton-pâte et ne sert que de prétexte à un climax pétaradant voyant Django et Sartana flinguant côte à côte les bandits. Une conclusion également assez hallucinante qui débute par la torture d'un Django pendu par les bras à une corde et sur lequel le méchant tire pour lui occasionner de légères blessures (si légères même qu'on ne les voie pas), les impacts le faisant tourner lentement d'un côté de l'autre au rythme de ses cris.
Les cadres sont construits à l'emporte-pièce mais nous avons droit à une scène mémorable d'infiltration : un garde passe de la gauche à la droite de l'écran et croise la course d'un tonneau roulant lentement sur le côté. Une situation inhabituelle pais anodine et il n'y prête pas plus attention que ça. Sauf qu'à l'intérieur de ce tonneau se trouve le mexicain muet accompagnant Django qui s'en extirpe et s'approche subrepticement de l'homme de main. Il lui tape sur la jambe afin qu'il se retourne (c'est un gentil, agresser quelqu'un, même par derrière, ça ne se fait tout simplement pas), ce qu'il fait mais en levant inexplicablement les yeux au ciel. C'est à ce moment là que le valet en profite pour planter sa machete dans le ventre du demeuré. Et tout le reste est à l'avenant. Un nanar d'anthologie on vous dit !
Le Grand Retour De Django (Il Grande Ritorno / Django Strikes Again) réalisé par Nello Rossati en 1987, seule véritable suite officielle au film de Corbucci (d’ailleurs le film est parfois également titré Django 2) où Franco Nero reprend d’ailleurs son rôle.
Django, le fameux pistolero, s'est rangé et est devenu un moine respectable. Mais quand sa fille est capturée par des soldats hongrois qui utilisent des esclaves dans leurs mines d'argent, Django décide de reprendre sa mitrailleuse et de faire connaître ses opinions anti-esclavagismes...
Plus de vingt ans après, il revient et il n’est pas très content. Violent, sans concession, Django va chèrement faire payer ces colonialistes (quasiment bons aryens), à coup de bâton de dynamite dans la bouche ou déflagrations de mitrailleuse dans le buffet. Django n’a pas récupéré son cercueil mais officie désormais dans un corbillard du plus bel effet pour des mises à mort expéditives et énergiques.
Très rythmé et premier degré parfois jouissif (Nero a un petit côté Saumon Agile mâture et pas encore empâté), Le Grand Retour De Django vaut essentiellement pour ses mises à mort et ses confrontations. Et pour une séquence hallucinogène voyant des prêtres chasser les papillons, ceci dans le but d’aider leur Frère Django à fomenter un stratagème imparable : le méchant en titre collectionne les papillons et il va donc, avec l’aide des moines, en maquiller un pour le faire passer pour une espèce rare et glisser dans la boîte un insecte (tout ceci prenant forme dans une séquence type "We need a montage" du plus bel effet). Malheureusement, cette brillante idée (c’est pas moi qui le dit mais le bad guy !) sera prestement éventée (s’il avait pu aussi expliquer en quoi elle consistait…). Pas grave puisque Django après s’être évadé va aller tout faire péter dans le camp des méchants. Et quand j’écris tout faire péter, c’est tout faire péter. C’est bien simple, on croirait que la propension de Michael Bay à tout faire exploser provient de ce film !
A la vision du climax, on ne peut s’empêcher de penser à Rambo 2 ou Commando, Django défouraillant à tout va devant des nuées d’adversaires arrivant vers lui.
Un petit côté Rambo 2 jusque dans l’affiche alternative du film :
Un petit bonus trouvé sur le site Horreur.net
"Une scène pré-générique de presque 6 mn, fut tournée puis coupée au montage.
Django est absent de cette scène. Celle-ci présente deux pistoléros rivaux, qui après un dernier duel sans conséquence, vont se remémorer les meilleurs pistoléros ayant vécus. Ils vont chercher à se rappeler du nom du meilleur d'entre eux, sans y parvenir. En faisant équipe face à "La Mariposa Negra", ils sont abattus. Django sera le dernier mot prononcé par l'un d'entre eux avant de mourir.
Cette scène est disponible en DVD zone 1."
Last but not least, terminons ce mini tour d’horizon avec le plus barré des japonais, Takashi Miike et son Sukiyaki Western Django réalisé en 2007.
L'action est située au Japon, constituant ainsi une espèce de retour aux sources puisqu'après tout c'est Kurosawa qui inspira Leone et indirectement ceux qui ont suivis, et nous voyons débarquer un homme mystérieux et solitaire qui va prendre part malgré lui à la guerre de clans opposant les rouges contre les blancs à la recherche d'un trésor caché en ces lieux et qui au passage s'entichera d'une jeune et jolie donzelle.
Le film bénéficie d'une extravagance de tous les instants entre les acteurs japonais s'exprimant dans un anglais peu maîtrisé, l'introduction par Tarantino himself en despérado de cérémonie, le chef du clan Heike se prend pour un personnage shakespearien, le shérif schizo, un surjeu presque constant de la plupart des acteurs, la chronologie des évènements est parfois pour Miike une notion toute relative voire optionnelle (etc.), le titre lui-même annonce la couleur, renvoyant au terme de western spaghetti avec ici en contrepoint un plat japonais (le sukiyaki, donc).
Ambiance pulp, réalisation plutôt soignée même si foutraque (c'est Miike en même temps), le plat n'est pas pour autant indigeste et si la narration prend son temps, l'exposition est assez longuette et l'on perd parfois un peu de vue les motivations de chacun, le tout culminera dans une homérique confrontation finale entre tous les protagonistes. Le lien avec Django se dévoile in fine et fait considérer a posteriori ce que nous venons de voir comme une sorte de préquelle au film de Corbucci (ce film est barré, on vous dit !).
Oui, décidément, la boucle est bouclée.