Parlez-Moi De La Pluie

Les Bronzés à l'opéra

Affiche Parlez moi de la Pluie

Des deux derniers films d'Agnès Jaoui, on gardait en mémoire des grosses leçons de morale lourdingues assénées au marteau-piqueur. Dans Le Goût Des Autres et dans Comme Une Image, la trame servait uniquement à appuyer, mettre en relief, surligner, entourer et grossir dix fois la thématique principale.


Et ce pour que M. Michu, lecteur assidu de Télérama, soit sûr de ne pas passer à côté, et puisse causer de la "profondeur" du film dans les dîners en ville. Même si cette fois, Parlez-Moi De La Pluie se digère mieux que ses deux prédécesseurs, cela reste un film de Bacri-Jaoui :

De retour dans le sud, Agathe Villanova, femme politique et féministe notoire, doit affronter les préjugés sur son statut de femme de pouvoir. Pendant ce temps là, Mimouna, femme de ménage, doit affronter les préjugés et l'humiliation ordinaire dus à son statut d'immigrée. Dans le même temps, Michel Ronsard (humilié de ne voir son fils que quelques heures par semaine) et Karim (qui doit affronter les idées préconçues provoquées par sa couleur de peau), réalisent un documentaire sur Agathe, qui doit affronter... Non ça je l'ai déjà dit.

Si on devait tenter de comprendre pourquoi les films d'Agnès Jaoui semblent si donneurs de leçons, on devrait s'en référer à cette déclaration de Jean-Pierre Bacri dans Télérama (sic), qui dit tout :
"On part d’un thème - souvent les jeux de pouvoir entre les êtres -, on cherche des personnages qui l’illustrent."

...Et la comparer à celle de Stephen King dans Écriture, Mémoires d'un Métier :
"Se lancer dans l'écriture en partant de grandes questions et de problèmes thématiques est la meilleure recette pour faire de la mauvaise fiction. La bonne fiction part toujours d'une histoire et progresse vers son thème ; elle ne part presque jamais du thème pour aboutir à l'histoire. "

Et oui Jean-Pierre, je me doute que tu ne considères pas Stephen King comme un écrivain digne d'être écouté, mais tu dois te rendre à l'évidence : partir du thème, c'est irrémédiablement sombrer dans une histoire dont la seule justification est l'idéologie ou la vision prédigérée de ses auteurs. Si concevoir une histoire avant de réfléchir à ce qu'elle signifie peux transcender l'idée de départ et lui faire prendre de la hauteur, partir du thème pour construire une histoire revient à faire exactement l'inverse. C'est-à-dire tailler personnages et dramaturgie à la serpe pour les faire entrer de force dans une idée toute prête, un moule prédéfini. Point donc d'évolution de la thématique, de résonance, et encore moins de transcendance, chez les Bacri-Jaoui, nous assisterons hébétés à des leçons de vie qui tiennent en trois mots, qui ne seront jamais remises en question et qui seront posées là devant nous sans bouger tout au long du film.

Et pour illustrer un thème prédéfini, quoi de plus pratique que le film choral ? Ce n'est pas pour rien que tous les scénarios du couple sont conçus ainsi. Avec le film choral, pas besoin de s'emmerder à trouver une histoire qui épouse le propos, il suffit juste d'écrire le scénario comme un épisode de Plus Belle La Vie, avec des personnages qui affrontent leurs problèmes en parallèle, mais qui n'interagissent que rarement entre eux. Pour faire oublier l'inanité du scénario, on se débrouille pour que les problèmes aient tous un rapport avec le thème choisi. On colle un titre en référence à Brassens pour faire populo et une citation de Kierkegaard pour que M. Michu ait un sujet de conversation tout prêt lors de son prochain dîner. Et emballé c'est pesé, on a le public et la critique dans la poche !

Parlez-moi de la Pluie
"Tu vois maman, juger les gens sur leur religion, c’est mal. Sur leur couleur de peau, sur leurs origines sociales ou sur leur nationalité, c’est mal."


Ainsi, on pourrait tout aussi bien se contenter de lire les interviews des auteurs du film pour apprendre que Parlez-Moi De La Pluie cause de "l'humiliation ordinaire" et de "l'angoisse qui est le possible de la liberté", et rester chez soi se remater un énième fois le DivX des Fils De L'Homme. D'autant plus qu'après les infects Le Goût Des Autres et Comme Une Image, on s'attendait à un autre épisode de "Agnès Jaoui t'explique la vie, petit". Mais surprise ! Il s'avère que le dernier opus du couple n'est pas aussi mauvais que les précédents. Ici, la leçon de morale a la bonne idée de rester en arrière-plan. Soyons clairs, on se tape comme rarement des allusions à Kierkegaard, au racisme, à la pluie ou au beau temps. Ce qui laisse plus de place aux relations entre les personnages, domaine dans lequel Agnès Jaoui est tout de même bien plus douée. Tout comme pour leur premier film en tant que scénaristes et acteurs, l'excellent Cuisine Et Dépendances, une part plus grande accordée à la comédie joue aussi en faveur du film, surtout après le déprimant (à tous point de vue) Comme Une Image. On s'étonnera même de retrouver la fameuse scène chez les bouseux des Bronzés Font Du Ski, mais en plus classe quand même ("Attention, on fait pas du cinoche de beaufs, nous y'a de l'opéra et un commentaire sur la société !"). Mais le vrai point fort du film, c'est Jean-Pierre Bacri, comme d'habitude excellent dans le registre comique, portant ici un personnage sensiblement différent du misanthrope cynique qu'il campe habituellement. On n'en dira pas tant de la performance de Jamel, toujours aussi limite avec son regard qui semble hurler : "Regardez, je suis un acteur mature !". Et par respect pour elle, on se taira poliment sur le jeu de la réalisatrice.

Reste la panoplie jaouiesque de tics plus ou moins énervants, comme la sempiternelle tension sexuelle entre le personnage de Bacri et celui de Jaoui qui n'aboutit jamais, la lumière marron / grise qui donne au spectateur l'impression de vieillir de trente ans (c'est limite si on ne sort pas du film avec des cheveux blancs), et surtout LA signature d'Agnès Jaoui : James Cameron a sa lumière bleutée, John Woo a ses colombes, Steven Spielberg a ses travellings-avant... Quant à notre moraliste nationale, sa marque de fabrique est le bégaiement dans toutes les répliques :

"Non mais t... t... tu te rend compte ?"
"I... i.. i.. ils ne te laissent même pas un mot rien du tout."
"I.. i.. i.. il passe votre portable ? I.. i.. i.. il passe pas le mien."

Ok on a compris que c'était pour faire plus crédible, mais bon là c'est lourd.

5/10
PARLEZ-MOI DE LA PLUIE
Réalisateur : Agnès Jaoui
Scénario : Agnès Jaoui & Jean-Pierre Bacri
Production : Jean-Philippe Andraca & Christian Bérard
Photo : David Quesemand (le chef-op' des 11 Commandements, ça ne s'invente pas)
Montage : François Gédigier
Superviseur musical : Christian Chevalier
Origine : France
Durée : 1h38
Sortie française : 17 Septembre 2008




   

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