Panda, Petit Panda
- Détails
- Critique par Nicolas Zugasti le 26 novembre 2009
Mes voisins les pandas
Une bonne grosse boule de poil joviale amie et protectrice des enfants tisse des liens puissants avec une fillette de dix ans autonome et dégourdie : ça vous rappelle quelque chose ?
Elaborés il y a 37 ans, les deux moyens-métrages de Takahata et Miyazaki ont déboulés en octobre dernier sur les écrans. Outre l’intérêt historique que constitue la découverte d’un des premiers travaux des génies du studio Ghibli et d’évaluer à l’aune de leurs filmographie leurs apports respectifs, le film est un étonnant récit enfantin mêlant fantastique et préoccupations sociales ancré dans un contexte politique clairement marqué. Et oui, même à l’époque, ces deux-là agrémentaient leurs œuvres destinées à un jeune public de problématiques adultes.
Mimiko est une jeune orpheline vivant seule avec sa grand-mère dans une maison isolée à proximité d’une forêt de bambous. Le jour où son aïeule doit s’absenter est l’occasion pour Mimiko de prouver sa valeur en s’assumant seule, suscitant l’admiration des autres villageois. Elle va rapidement se lier avec un panda géant et son fils échappés d’un zoo et attirés par les appétissants bambous avoisinants et la perspective de former avec la fillette une famille un peu spéciale. Mimiko sera à la fois la mère de substitution de Pandi et la fille adoptive de papa Panda, ce qui fera d’elle également la sœur de Pandi ! Et plutôt que de jouer sur cet imbroglio familial, cette recomposition est naturellement acceptée par les protagonistes et le spectateur car obéissant à la logique propre au conte fantastique. Et tout en utilisant le folklore local, on voit déjà à l’œuvre l’influence majeure du patrimoine artistique européen (La Petite Sirène de Andersen pour Ponyo Sur La Falaise, de Grimault et Prévert pour Le Château Dans Le Ciel, l’œuvre de Beethoven pour Goshu Le Violoncelliste, Takahata adaptant également Heidi…) puisqu’ici les deux japonais s’inspireront du conte de Boucle d’Or Et Les Trois Ours et du travail préparatoire à la réalisation commune des Aventures De Fifi Brindacier, projet tombé à l’eau. Le look de Mimiko se rapproche d'ailleurs clairement de l'héroïne d’origine suédoise. Rien ne se perd.
Plutôt que de nous imposer un anthropomorphisme disneyen (le référent de l’époque en matière d’animation), il va s’agir d’une adaptation progressive. Bien que doués de parole et se tenant debout, les pandas adopteront des attitudes humaines à mesure de l’enseignement en la matière de Mimiko. Ils s’attableront pour manger, prendront des bains, la fillette ira jusqu’à inculquer au papa Panda un comportement conforme à l’image du patriarche traditionnel partant travailler chaque jour. Mais face à ces exigences inconnues et incongrues pour ces créatures fantastiques, la jeune fille établira sagement ces jours-ci fériés. Le propos n’est donc pas d’humaniser coûte que coûte les pandas mais bien de renforcer les liens familiaux à l’aide de repères immuables du fait de l’absence de modèle parental. En tenant le double rôle de mère et de fille, Mimiko constitue ainsi le lien entre deux conceptions, deux mondes se rejoignant dans la maisonnée.
D’allure placide et enjoué, papa Panda rappelle indéniablement la plus tichoux des divinités sylvestres de même que la façon de Pandi de s’agripper au ventre de son père ou son insistance à suivre Mimiko à l’école renvoie au sublime Mon Voisin Totoro. On pensera également à Ponyo Sur La Falaise lors du déluge engloutissant le village et ses environs immédiats. Impossible d’occulter l’influence de Miyazaki qui, au-delà d’éléments repris ultérieurement, se retrouve dans la cohabitation de la magie et du quotidien. Certes ici moins accentuée car contrebalancée par la sensibilité de Takahata plus attaché à dépeindre les actions les plus triviales et anodines, soit exposer la magie du quotidien. Un équilibre remarquable qui renforce l’intérêt de ces aventures qui dans d’autres circonstances pourraient paraître un peu trop naïves et simplistes. Pour Miyazaki et Takahata, c’est donc l’occasion de discourir sur la notion de famille et les liens unissant ses membres qui peuvent tout aussi bien être de sang que de cœur.
Une thématique commune qui parcourt et infuse leurs filmographies respectives avec en point d’orgue l’absence de figure maternelle qui oblige, comme ici, la jeune héroïne à endosser ce rôle (Kié La Petite Peste, Mon Voisin Totoro, Le Château Ambulant) ou à mûrir rapidement (Le Tombeau Des Lucioles, Kiki La Petite Sorcière, Le Voyage De Chihiro). N’oublions pas que depuis les années 60, le Japon est à la limite du chaos technique face à l’insurrection de plus en plus violente d’une jeunesse organisée, armée et déterminée commettant des actes désagrégeant autant l’unité politique que sociale ou familiale et culminant en 1972 avec l’incident d’Asama Sanso causant le démantèlement de l’Armée Rouge Unifiée. Avec leurs moyens métrages, les deux artistes tentent de convoquer un apaisement difficile à concrétiser dans la réalité. Le Japon qu’ils dépeignent est idéalisé et bienveillant (pas de véritables méchants, comme toujours avec eux) où les menaces de toutes sortes sont exclues (à l’évocation du risque de voleurs, Mimiko se réjouit puisque jusqu’à présent elle n’en a jamais rencontré !).
L’aspect rudimentaire et cartoon de l’animation et des dessins traduisent cette volonté bien que cette simplicité se soit imposée pour des raisons plus pragmatiques à cause d'un délai de production réduit à deux mois et demi. Cependant, on constate toujours cette volonté de fluidité, d’unité des graphismes, qui se traduit par des mouvements incroyablement réalistes malgré la simplicité des traits. Destinés en priorité aux plus jeunes, ces deux œuvres pâtissent quelque peu du manque de complexité de ses personnages et de situations au premier degré parfois trop accentué mais le talent des deux bonhommes transparaît suffisamment pour réjouir tous les publics.
Une légèreté qui parcourt l’ensemble mais qui n’exclut pas pour autant une certaine gravité politique assénée d’entrée. En effet, la grand-mère de Mimiko doit s’absenter pour honorer la mémoire de son mari en assistant à une cérémonie commémorative à Nagasaki. Une simple ligne de dialogue convoquant immédiatement les heures les plus traumatisantes de la nation.
De même les plantigrades ne relèvent pas seulement de l’aléatoire mais ont une résonance diplomatique. Le panda, animal inconnu sur l’archipel, est offert en cadeau par la Chine à des gouvernements avec qui les relations diplomatiques sont rétablies. C’est ainsi que deux représentants débarquent dans un zoo japonais en fin d’année 1972 pour signifier la fin des tensions liées à la gouvernance de Taïwan. Un évènement qui permet à Miyazaki et Takahata de réactiver un projet laissé en plan par des financiers peu convaincus du potentiel commercial de pandas, aussi mignons soient-ils.
Sans chercher à vous persuader que Panda, Petit Panda est un fleuron du genre, il vaut toutefois mieux que le qualificatif de brouillon qu’il serait facile de lui accoler. Indépendamment de son intérêt rétrospectif, cette fable édifiante sur les apparences suscite un enthousiasme aussi pétillant que Mimiko faisant le poirier pour montrer sa joie et envisage avec candeur et délicatesse la nécessité de reconsidérer la notion de famille et la figure maternelle.
PANDA KOPANDA AMEFURI SÂKASU NO MAKI
Réalisateur : Isao Takahata
Scénario : Hayao Miyazaki
Animation : Hayao Miyazaki, Shichirô Kobayashi, Yasuo Otsuka, Yoïchi Kotabe...
Photo : Tatsumasa Shimizu
Montage : Kazuo Inoue
Bande originale : Masahiko Sâto
Origine : Japon
Durée : 1h21
Sortie française : 14 octobre 2009