Mr Nobody
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- Critique par Castor destroy le 10 février 2010
Son nom est personne
C’est un film qui peut laisser perplexe. Mr Exaltant ou Mr. Déjà -vu. Tant qu’on n’a pas choisi, tout reste possible. En prenant pour point de départ son court-métrage E Pericoloso Sporgersi, Jaco Van Dormael s’interroge sur la notion de choix comme la base d’une ramification infinie, "une arborescence", dira-t-il.
De ce choix tour à tour multiplié, ignoré, menacé, rêvé, assumé ou regretté va naître Mr. Nobody. De son prénom Nemo, comme une malédiction (omeN) que l’on aurait renversée. Preuve sans doute d’un déterminisme que refuse (partiellement) Van Dormael tant le protagoniste est conditionné par ses actes dont il n’a d’ailleurs aucune certitude, si même ils existent.
Pourtant toutes les vies méritent d’être vécues. A 120 ans et toutes ses dents, Nemo Nobody revient sur ces vies. Ses vies. Sa vie. Flash-back des années passées avec son père en Angleterre ou peut-être sa mère aux Etats-Unis puis ses amours avec Elise ou Anna, à moins que ce ne soit avec Jeanne...
Et pour Nemo, l’enfant de neuf ans, confronté à l’impossible dilemme de la séparation de ses parents, toutes ces hypothèses sont réelles, éparpillées entre les métropoles nord-américaines et une station spatiale en orbite autour de Mars.
30 MILLIONS TO MARS
Ou plutôt 33. 33 millions d’euros pour le réalisateur de Toto Le Héros et Le Huitième Jour finalement hasardés dans cet ovni cinématographique. Et même si le hasard n’a pas sa place ici, nous conviendrons que le pari est risqué, ambitieux.
Certes, le film est tourné en langue anglaise, casting planétaire à l’appui. Mais l’œuvre elle-même a du mal à se positionner tant les trajectoires empruntées sont multiples. Alternant entre le film d’anticipation et la fable métaphysique, Van Dormael fait graviter autour du héros les thèmes qui lui sont chers - l’enfance, l’innocence, le souvenir - dans une intrigue pour le moins complexe. A première vue. Comme la première séquence du film distillant les facettes d’un Nemo Nobody adulte (excellent Jared Leto) qui alterne de réalité, comme on change de chemise.
Car Mr. Nobody, c’est un peu une vie en accéléré. Mais avec seulement les moments marquants, ce que l’auteur prend soin de justifier par les paroles d’un vieillard lucide : "La plupart du temps il ne se passe rien... comme dans un film français".
Mr. Nobody n’est pas un film français, c’est vrai. C’est en relatant les temps forts de son existence que le protagoniste s’imagine un avenir probable, possible. Victime (et pourtant partie prenante) de cet effet papillon : la scène de l’usine de fabrication de chaussures comme illustration parfaite de la théorie. Et finalement assez paradoxale : Nemo ne choisit jamais de rester avec son père, il rate le train à cause d’un lacet, c’est tout.
Et pour rester en contact avec maman quand on a pas Facebook, eh bien on galère.
Cet enchevêtrement de circonstances est l’un des moteurs du film et pourrait s’apparenter à L’Effet Papillon, le métrage de 2003, si le fait d’exploiter le phénomène de sensibilité aux conditions initiales est un élément de comparaison pertinent. Mais Van Dormael ne s’en satisfait pas. Pour lui, l’essentiel est dans l’imaginaire fantasque et fantastique de l’enfant qui s’interroge sur ses choix. Des passages totalement surréalistes amènent le spectateur à ne pas perdre cette vision totalement candide. Des blocs d’eauretirés de la mer au jeux d’enfants qui se mêlent à la "réalité", autant d’images que l’on sait tout droit sorties de la tête de l’enfant l’auteur.
Film-somme qui évoque les dilemmes existentiels par une esthétique appuyée et une narration peu académique mais pourtant loin de lorgner sur Lynch ou bien Gondry et son Eternal Sunshine Of The Spotless Mind. Ici on est en Zugzwang sur des rails de chemin de fer, on tient la main de Diane Kruger lorsque l’on pense (très fort) à Juno Temple, on plonge dans l’eau claire d’une piscine pour finir noyé dans un lac.
Tout ça pour nous amener à l’inévitable conclusion : cela aurait pu être tout autre chose et pourtant être tout aussi réel. La théorie prend des allures de chaos.
CANTIQUE DES QUANTIQUES
La mécanique est pourtant bien rodée. Mais tellement bien que les rouages se font parfois trop visibles.
Lorsque les images esthétisantes sont enrobées de reprises de "Mr Sandman" à n’en plus pouvoir, lorsque la naïveté un peu sirupeuse du début se liquéfie au fur et à mesure du film (l’effet de la pub sur l’organisme de Van Dormael a goût d’eau minérale et de café nommé désir), lorsque les excentricités deviennent pesantes autant qu’anecdotiques et nous mettent face à un futur ultra-kitsch (fallait-il des cochons pour nous parler d’immortalité ?), on se dit que le désordre euphorisant des scènes de l’enfance rencontre ses limites en vieillissant. Vieillir n’est bon pour personne. Et Nemo n’échappe pas à la règle. Mr. Nobody n’y échappera sans doute pas non plus.
Un trop-plein visuel qui pourrait presque faire oublier les effets spéciaux impressionnants et la très belle photographie de Christophe Beaucarne. Presque.
Souvent la beauté plastique du film parvient à transcender la narration. Au-delà du parti pris de donner à chaque vie une identité visuelle, il y se crée aussi une intimité particulière illustrée par l’obsession du réalisateur pour les (très) gros plans, quelques transitions inspirées et une poésie lancinante accompagnée par le thème principal du film, lui-même calqué sur les notes des Gymnopédies d’Erik Satie.
A mon sens, c’est là que se situe la réussite du film, cette légèreté emprunte de poésie qui traite avec une certaine ingénuité du questionnement universel de ce que seront nos actes ; des hasards qui les guident, aux regrets qui les suivent. Nous sommes Nemo à neuf ans sur le quai de la gare. Tout est possible.
L’EMBARRAS DU CHOIX
Dans cette multitude d’événements, le réalisateur belge nous fait part d’un certain pessimisme. L’option de partir avec sa mère n’offrant guère à Nemo plus de réconfort (amour perdu, noyade) que la vie vécue auprès de son père (dépression, séparation, accident, deuil…). Un pessimisme - évoqué au début du film - qui reprend l’expérience du pigeon pensant que les graines qui lui sont données arbitrairement sont la résultante de son battement d’aile. L’action comme le sentiment d’exister et d’avoir prise sur les événements. En vain.
Malgré tout, le métrage se conclut avec un certain espoir. A l’image de ce Big Crunch salvateur qui nous ramène à l’heure du choix. Toutes les vies méritent d’être vécues. A l’image finalement du tout premier plan du film. Une colombe qui, par sa propre intelligence, peut atteindre la récompense.
Personne n’est quelqu’un tant qu’il n’a pas fait de choix. Mais tout le monde a forcément déjà choisi. C’est peut-être au fond ce qui définit le mieux Mr Nobody : être tout le monde comme personne.
Vous vous dites : "J’irai voir Mr. Nobody". Ou pas.
Tant qu’on n’a pas choisi, tout reste possible.
MR. NOBODY
Réalisateur : Jaco Van Dormael
Scénario : Jaco Van Dormael
Production : Philippe Godeau
Photo : Christophe Beaucarne
Montage : Matyas Veress & Susan Shipton
Bande originale : Pierre Van Dormael
Origine : France, Grande-Bretagne, Belgique, Canada
Durée : 2h17
Sortie française : 13 janvier 2010