Mensonges D'Etat
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- Critique par Nicolas Zugasti le 25 novembre 2008
Buddy count
Si on peut compter le nombre de fois qu’Hoffman (Crowe) répète "mon pote" à Ferris (Di Caprio), ce dernier ne peut compter sur son boss pour le sortir de la panade. Mais on ne peut pas plus compter sur Ridley Scott pour avoir un vrai point de vue sur la guerre contre le terrorisme.
Adaptant un roman de David Ignatius (Une Vie De Mensonges), Mensonges D’Etat voit un agent de terrain, Ferris, basé en Jordanie, tenter de retrouver la trace d’un dangereux terroriste perpétrant des attentats en occident, plus spécifiquement en Europe. Il est "aidé" par son chef hiérarchique direct supervisant les opérations depuis Langley et le chef des services secrets jordanien dont il doit gagner la confiance. Le nouveau film de Ridley Scott s’attaque donc à un sujet brûlant, la guerre contre le terrorisme. Une guerre menée grand train par George W. Bush et dont le film épouse le point de vue, à savoir une vision binaire. Attention, je ne dis pas que le film cautionne la gestion américaine du terrorisme, seulement que Mensonges D’Etat ne va pas plus loin qu’une simple illustration du mode d’action envisagé par les faucons républicains. Ainsi, au bureaucrate déconnecté de toute réalité (il suit les évènements par écrans interposés) s’oppose un agent sans cesse malmené et au prise avec la violence du terrain, au planqué de Washington détestant le Proche-Orient s’oppose un agent arabophone et parfaitement acclimaté. Des agents qui, dans ce nouvel écheveau géopolitique, sont la nouvelle chair à canon des têtes pensantes de la C.I.A. Une réalité désormais bien connue et archi rebattue. Ridley Scott ne nous propose rien de nouveau et étire ce que Jeux De Guerre de Philip Noyce résumait froidement dans la séquence où Jack Ryan (Harrison Ford) regardait sur un écran de contrôle des points représentant des soldats disparaître à chaque perte humaine.
Pire, le film simplifie ses enjeux à l’extrême, retrouver la trace d’un des chef d’Al-Quaida en l’obligeant à utiliser son téléphone cellulaire, et dont toute vision politique est évacuée. Une intrigue classique de manipulations, de mensonges et d’infiltration déclinable dans n’importe quel autre contexte. Scott fait preuve ici d’un manque d’envergure et d’ampleur étonnant qui dessert des scènes d’actions par ailleurs plutôt bien troussées mais qu’on regarde d’un œil distrait. On peut bien railler Le Royaume de Peter Berg mais au moins celui-ci a su déjouer les clichés, proposer une implication et une tension maximum et surtout envisager avec courage et discernement une posture post-11 septembre plus belliciste envers un contexte où règne la confusion.
Ridley Scott et son scénariste William Monahan n'ont plus rien à rajouter sur ces croisades nouvelle génération que leur déroutant et épique Kingdom Of Heaven et se satisfont ici d’une simple lutte entre officines secrètes se disputant le contrôle de la marionnette Ferris. Ce dernier pris entre Hoffman l’actionnant depuis la cuvette de ses toilettes à l’aide de son oreillette greffée à l’oreille et Hani, le responsable des services secrets jordaniens qui veut instaurer une relation de confiance. Mark Strong, l’interprète de Hani, formidable d’élégance et de suavité au service d’une poigne de fer, bouffant l’écran et volant la vedette à un Russel Crowe apathique et peu impliqué (comme souvent) et un Di Caprio s’essoufflant à s’agiter en tout sens.
Hani, le seul personnage ambivalent et donc intéressant du métrage quand bien même la manipulation opérée par Ferris (créer de toute pièce une organisation terroriste concurente en impliquant un architecte) sera mue par de bonnes intentions et un réel désir de préserver la vie d’innocents.
La poupée Ferris qui aura la meilleure réplique, aussi déconcertante que tétanisante, et qu’il crie au visage de Hoffman : "Je suis obligé de faire confiance à tout le monde !". Autrement dit, dans sa délicate position, il sait qu’il sera manipulé mais il est obligé de faire avec.
Ce que le film perd en souffle contestataire et idéologique, il tente de le compenser en mettant en avant des relations humaines plus denses qu'à l'accoutumée. Las, nous avons droit à une amourette entre l'agent et une infirmière iranienne prénommée Aïcha peu fouillée, déconnectée de tout enjeu et n'abordant qu'en surface les problèmes engendrés par un tel fossé culturel, religieux et politique. Soit l'amour plus fort que tout et envisagé comme ultime et seul horizon. C'est tout de même un peu léger.
Pourtant Mensonges D'Etat demeure par instant fascinant dans la tentative de Ridley de se mesurer à son frère Tony sur le terrain du thriller politique et d'espionnage. Mais il se contente d'en emprunter certains motifs visuels de Ennemi d'Etat (les plans en vue subjective depuis un satellite, le personnage cloîtré et isolé dans une demeure branchée en permanence sur tous les réseaux du monde rappelle celui interprété par Gene Hackman) ou construction narrative de Spy Game (le duo Di Caprio/Crowe étant un fade décalque du duo Redford/Pitt) et oublie l'essentiel, soit une tension et une dimension paranoïaque, critique et affective qui structuraient à merveille les films de Tony Scott, désormais seul membre de la fratrie sur qui compter pour signer un film digne d'intérêt.
BODY OF LIES
Réalisateur : Ridley Scott
Scénario : David Ignatius (roman) & William Monahan
Production : Zakaria Alaoui, Ridley Scott, Daniel De Line, Michael Costigan …
Photo : Alexander Witt
Montage : Pietro Scalia
Bande originale : Marc Streitenfeld
Origine : Etats-Unis
Durée : 2h08
Sortie française : 5 novembre 2008