L'Attaque Du Métro 123 + Midnight Meat Train
- Détails
- Critique par Nicolas Zugasti le 31 juillet 2009
Blow out
Que se passerait-il si le héros de Blow Up d’Antonioni parvenait à pénétrer dans la photo qu’il a prise et qu’il analyse ? Un questionnement auquel les films de Tony Scott et Ryuhei Kitamura tentent d’apporter des éléments de réponse.
Non, ce n’est pas un délire dû à une exposition prolongée au soleil ou la consommation abusive de substances enivrantes. Chacun dans leur style, Kitamura et Scott apporte un éclairage intéressant, détonnant et excessif sur ce classique.
Et concernant Tony Scott, on peut même dire qu’il travaille la question depuis Ennemi D’Etat, faisant du frère de Ridley un auteur à part entière. Un statut que critiques et grand public sont toujours prompts à lui contester voire à verser dans le déni pur et simple. Faut dire que c’est tellement facile de lui opposer les effets ostentatoires de sa réalisation que certains considèrent comme clinquante mais qui s’avère, à bien des égards, formellement jouissive, expérimentale et efficace. Si le cadet de la fratrie Scott mérite d’être apprécié à sa juste valeur, c’est en premier lieu pour sa capacité à livrer des œuvres d’abord vouées au plaisir immédiat des spectateurs. En effet, impossible de bouder son plaisir devant ses films. Une carrière trop vite réduite à ses talents de pyrotechnicien quand bien même sa filmo est à mi-chemin entre Antonioni donc, et McTiernan.
MCTIERNAN DANS LE RÉTRO
L’Attaque Du Métro 123, tout en étant un agréable actioner, prolonge la réflexion sur l’image entamée depuis Ennemi D’Etat et confirme sa proximité avec McT. Il est temps de l’affirmer intelligiblement, Tony Scott a définitivement pris le dessus sur l’auteur de Blade Runner qui peine désormais à nous intéresser.
Inconsciemment associé au high concept edicté par Don Simpson et Jerry Bruckheimer dans les années 80 puisqu’il en fut un chantre diablement rentable (Top Gun, Jours de Tonnerre, Le Flic De Beverly Hills 2, aussi jouissifs que risibles auront explosé au box-office), Tony Scott peinera à se défaire de l’emprise du diabolique duo. Une citation de Simpson tirée du livre de Charles Fleming (Box-Office) sur le producteur le plus déjanté d’Hollywood est clairement symptomatique de l’intérêt porté à la vision du réalisateur : "Je ne crois pas à la théorie de l’auteur. L’auteur, c’est le film. Il nous dit ce qu’il a besoin d’être. […] Et personne, réalisateur ou scénariste n’est au-dessus de l’exigence du résultat final." Son émancipation débutera en 1990 avec le sous-estimé et intense Revenge, exposant la face sombre et torturée de ses protagonistes. Le réalisateur en a fini avec la bogosse attitude et s’oriente désormais vers des héros abîmés, voir le détective privé sur la corde raide Joe Hallenbeck dans Le Dernier Samaritain, polar pervertissant les codes du film noir, tendu, violent et ponctué des bons mots du scénariste Shane Black, où Bruce Willis interprète une version alternative de John McClane extrêmement convaincante. L’influence du génial auteur des Die Hard I, III ou Predator ne sera pourtant jamais pesante, Scott reprenant certains de ses motifs plutôt que de se contenter de remakes non avoués. Et oui, U.S.S Alabama vaut mieux que sa réputation de pâle copie de A La Poursuite d’Octobre Rouge. L’ombre de McTiernan plane également sur L’Attaque Du Métro 123, notamment lors des échanges radiophoniques entre Garber (Denzel Washington) et Ryder (Travolta) que Scott s’évertue à rendre aussi énergiques et rythmés que possible en adoptant un montage et une composition de plans rappelant Piège De Cristal. Certes, il cèdera à la tentation de les dynamiser encore plus en utilisant des travelling circulaires (les scènes à l’intérieur du poste de contrôle où évolue principalement Garber) qui semblent inutiles mais qui, replacés dans le contexte de la prise d’otages et de sa résolution, peuvent être interprétés comme une illustration de la réflexion permanente opérée par l’aiguilleur, constamment obligé d’appréhender de nouvelles infos tout en cherchant des solutions. D’ailleurs, la caméra se fixe dès que ce dernier a trouvé un moyen de gagner du temps ou est parvenu à décoder un renseignement sur son interlocuteur. Une explication à la limite du capillotractage certes, mais au moins ces mouvements sont nettement plus supportables que les plans obtenus depuis un hélico tournoyant autour des personnages dans le porno-soft de Michael Bay.
Avec ce film, Scott confirme son attrait pour les héros malgré eux qu’affectionne également McTiernan, chacun des réalisateurs mettant en lumière le comportement héroïque de personnages embarqués contre leur gré dans des situations explosives. Et à l’instar de Die Hard With A Vengeance, Scott redonne toute son importance à l’homme de la rue (pour ne pas dire le prolétariat) ici à la fois victime des circonstances (les passagers du métro) et capable de prendre les choses en mains (Garber dont Scott accentue la fragilité au détour d’une conversation banale avec sa femme) au contraire des représentants de l’ordre (le maire intéressé par l’image qu’il laissera de lui, le négociateur incapable d’anticiper ou contrôler les actions de Ryder, les flics chargés d’amener la rançon et qui se plantent).
L’Attaque Du Métro 123 cultive même l’analogie mctiernienne (ou diehardienne, si je puis dire) jusque dans le fait que Ryder et ses hommes soient pris pour des terroristes alors qu’ils sont de simples voleurs ! Réminiscence du trauma post 11 septembre, peut être. Mais plus sûrement un hommage ironique au film d’action ultime. Ce malicieux Tony Scott, en plus de remaker Les Pirates Du Métro de Joseph Sargent afin d’en donner une version plus énergique où le sentiment de danger (Travolta, génial, est déterminé et impitoyable) remplace l’ironie constante et le sexisme imprégnant l’original, voilà qu’il caviarde son film d’une relecture personnelle du diptyque Die Hard.
Sans être un chef-d’œuvre du genre, ce film mérite aussi le détour pour ses personnages éminemment contrastés et notamment Garber qui apparaît sous un jour nouveau dès lors qu’il avoue au micro le méfait dont il est accusé. De sorte que sa détermination à arrêter Ryder en devient ambiguë. Est-ce parce qu’il a l’étoffe des héros ou est-ce par souci de rédemption, pour expier sa faute ? Peut être même les deux.
IMAGES TRITURÉES
Pour en revenir à l’interrogation en introduction, L’Attaque Du Métro 123 s’inscrit donc dans l’expérimentation effectuée sur l’image que Scott s’ingénie à triturer dans tous les sens depuis cinq films.
Etiquetté par certains spécialiste de la longue focale, il convient de préciser qu’il aura su transcender un artifice formel en principe narratif. Le téléobjectif s’avérant idéal pour jouer sur les échelles de plan d’un cadre pensé en 2D, il permet d’illustrer des récits dont l’enjeu repose sur la paranoïa engendrée par une localisation spatiale permanente (Ennemi D’Etat) ou reposant sur des stratégies géopolitiques (Spy Games). Dans le procesus mis en place par Scott, l’image permet de réactiver des références cinéphilliques définissant l’intrigue (Conversation Secrète de Coppola pour le premier, les films liés à la guerre froide pour l’autre), elle traduit les émotions et les questionnements des personnages (voir le maltraitement de l’image dans Man On Fire et surtout Domino) pour, au final, devenir elle-même l’enjeu principal.
Tandis que David Hemmings dans Blow Up scrute et dissèque jusqu’à l’aveuglement une seule et même photo, Tony Scott étend le procédé au film dans son ensemble et devant les limites d’une analyse et d’une réorganisation de fragments d’image propose, avec l’excellent Déjà -Vu, d’explorer la profondeur de champ. Au début, le personnage de Denzel Washington se contente, grâce aux changements d’axe de la caméra, d’une étude de la surface (plane) de l’image (l’écran permettant de voir quelques heures dans le passé). Il contournera l’impasse en se propulsant à l’intérieur de ce cadre. Cette recherche de la vérité dans la profondeur de champ était rédhibitoire dans Blow Up (également dans Les Frissons De L’Angoisse de Argento), elle s’avère ici décisive et opportune. Sous ses dehors de film d’action explosif tel que les affectionne Bruckheimer, il propose un prolongement logique et technologique au film d’Antonioni. Un même principe régit L’Attaque Du Métro 123. Ainsi, Garber est maintenu derrière son pupitre par Ryder (émanation filmique du réalisateur), l’obligeant à se contenter d’une analyse, insatisfaisante car incomplète, des plans du métro projetés sur écrans géants. Tout se résoudra lorsque Ryder / Scott obligera Garber à débarquer dans le contre-champ, le réel diégétique.
Tony Scott nous offre certes un film mineur en termes d’action mais bigrement intéressant dans le cadre de sa réflexion sur l’image. Un film qui marque en outre la différence de plus en plus ténue entre les antagonistes mis en scène par Scott puisque ici Garber et Ryder personnifient les deux facettes du héros tonyscottien travaillé par sa place dans la société (le cadre).
Hasard de la distribution, Midnight Meat Train et le film de Tony Scott sortent le même jour et ont pour point commun de se dérouler dans le métro new-yorkais (une prise d’otages pour l’un et un massacre sanglant pour l’autre ! Y a pas à dire, il fait bon de prendre les transports en commun…). Après un instant critique fustigeant sa non sortie en juin 2008, les correspondances du film de Kitamura avec celui de Scott sont une bonne occasion de revenir sur ce sympathique petit film d’horreur récompensé au dernier festival de Gérardmer par le prix du public.
Midnight Meat Train adapte donc une nouvelle terrifiante de l’écrivain Clive Barker qui confie la réalisation, à la surprise générale, à Ryuhei Kitamura (Versus, Godzilla Wars…) dont les délires formels sont plutôt éloignés de l’univers du Britannique. Cependant, les deux artistes partagent le même goût pour l’iconisation, voir la série de figurines Tortured Souls de Barker ou les personnages de Kitamura toujours prêts à prendre la pose. Dans ce registre là , il faut bien admettre que la mise en valeur du boucher interprété par le monolithique et impressionnant Vinnie Jones est très réussie. Boucher n’est d’ailleurs pas une figure de style dûe à la manière dont notre homme dépèce et suspend les cadavres de ses victimes, c’est la profession qu’il exerce hors de son temps passé à attendre le dernier métro. On sera gré à Kitamura de ne pas nous avoir infligé un slasher-like même si on peut regretter les effusions de sang synthétisées qui ont tendance à déconnecter d’un récit à la tension certaine tout comme le désamorçage des séquences de massacre par des effets de style parfois humoristique (n’est pas Sam Raimi qui veut). Un réalisateur qui parvient à rendre la ville toute entière menaçante, baignée par une lumière et une photo froides et ternes, engendrant une atmosphère de plus en plus oppressante, presque palpable, transformant les artères de la ville (souterraines ou non) en terrain de chasse de plus en plus affirmé de ce prédateur impavide. Mohagany travaille dans un abattoir et la ville nous est présenté, à mesure que Léon (Bradley Cooper) s’enfonce dans son obsession, comme une gigantesque extension de chambre froide. Une ambiance mortifère parfaitement rendue par Kitamura dont Barker a su calmer les ardeurs (à une exception près, la caméra traversant les parois de la rame et tournoyant autour de Léon et Mohagany en train de se battre).
Comme on l’a vu pour le petit dernier de Tony Scott, le film de Kitamura se déploie dans les replis de Blow Up et propose de suivre le vertige obsessionnel de son photographe de héros. A l’instar de David Hemmings, Léon va déceler dans une photo qu’il a prise un détail clé dans la résolution d’un drame (ici la main de Mohagany empêchant les portes de la rame de se refermer devant sa prochaine victime). Il va ainsi multiplier les clichés de ce bloc de muscles en costard, pensant parvenir à en révéler la monstruosité. Une analyse partielle et fragmentaire qui va s’avérer inopérante. Il va donc s’aventurer la profondeur de l’antre du tueur (l’abattoir d’abord, le dernier métro ensuite, la dernière station en enfin l'enfer) avant de cotoyer l’horreur abyssale de sa condition de monstre manipulé.
En cherchant à capter l’envers du décor des rues new-yorkaises pour une galerie d’art, Léon en révèlera l’horrible duplicité, le film jouant assez habilement (bien que parfois de manière trop elliptique) du retournement identitaire (le même est un autre), peut être la terreur la plus glaçante.
THE TAKING OF PELHAM 123
Réalisateur : Tony Scott
Scénario : Brian Helgeland & John Godey
Production : Todd Black, Steve Tisch, Tony Scott, Michael Costigan…
Photo : Tobias Schliesser
Montage : Chris Lebenzon
Bande originale : Harry Gregson-Williams
Origine : Etats-Unis/Angleterre
Durée : 2h01
Sortie française : 29 juillet 2009
THE MIDNIGHT MEAT TRAIN
Réalisateur : Ryuhei Kitamura
Scénario : Jeff Bulher & Clive Barker
Production : Clive Barker, Peter Block, Joseph Daley…
Photo : Jonathan Sela
Montage : Toby Yates
Bande originale : Johannes Kobilke & Robb Williamson
Origine : Etats-Unis
Durée : 1h25
Sortie française : 29 juillet 2009