La Ronde De Nuit
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- Critique par Nicolas Bonci le 5 mars 2008
Peindre et faire l'obscur
Amsterdam, 1639. La milice bourgeoise commande au grand Rembrandt une toile les mettant à l'honneur. Futur père, le peintre accepte cette proposition fort bien rémunérée. Mais tandis qu'il s'atèle à sa préparation, un des mousquetaires commanditaires décèdent suite à un accident de tir.
De ce postulat historique, Peter Greenaway (dont on attend depuis cinq longues années la distribution en France de son projet dingue The Tulse Luper Suitcases) tisse une enquête danbrownesque, imaginant en lieu et place de l'accident un complot, un assassinat en règle afin de préserver le secret sur les activités troubles des miliciens. Un complot dont Rembrandt aurait eu vent et décida de le faire savoir par le biais d'indices disséminés au sein de la toile qu'il leur destine, la célèbre Ronde De Nuit.
La mise en scène outrancièrement théâtrale, au-delà de recréer l'univers baroque du peintre, précise d'emblée l'intention toute ludique du propos, loin du pseudo-réalisme arnaqueur d'un Dan Brown par exemple, se prenant plus au sérieux à mesure que ses écrits crypto-neuneu virent dans des approximations tenues comme faits. Car le but de Greenaway n'est pas de poser son hypothèse comme cours d'histoire sur le maître Hollandais, mais d'inviter le spectateur au décodage, à la compréhension de l'image et l'interprétation de ses composantes, reprenant ainsi le sport favori des amateurs d'art : déduire ce qui a pu amener un artiste à son œuvre, ce qu'il a voulu dire et comment (le gros lot du genre étant le décodage d'indices sur le trésor des Templiers dans les toiles de Nicolas Poussin). Mais c'est de Cocq qu'il s'agit ici, Frans Banning Cocq pour être précis, capitaine de la milice, personnage central du tableau, et donc vil fomenteur de crime selon Rembrandt, qui se chargera de le dénoncer à travers sa toile, La Ronde de Nuit empruntant ainsi le chemin inverse du fameux Meurtre Dans Un Jardin Anglais dans lequel Greenaway plaçait le crime non pas comme origine mais en tant qu'aboutissement du processus.
Films plus ou moins jumeaux dans le ton, l'époque et le sujet, La Ronde et Meurtre partagent également la même mise en scène, toute en longs et larges cadres fixes extrêmement précis dans leur composition, articulés autour de lents travellings latéraux, le tout en longue focale et avec un point fait quasiment tout le temps au premier plan, donnant ainsi une sensation d'univers plat. La diégèse reproduit donc l'art de Rembrandt, et non sa vie ; il est d'ailleurs toujours éclairé comme il peint ses tableaux (à la manière de La Jeune Fille A La Perle imaginant un Vermeer vivant dans ses peintures, en moins beau et plus gadget qu'ici), l'incroyable photo de Reinier van Brummelen proposant de magnifiques clairs-obscurs dignes du Caravage, bien aidé par la caméra numérique Viper de Thomson utilisée entre autres par Michael Mann sur Collateral.
L'absence quasi-totale de contrechamps renforce cette impression de monde sans relief, mais permet surtout de décupler l'impact de la révélation de l'œuvre finale, le premier contrechamp du métrage étant les sujets du fameux tableau se contemplant et manifestant leur mécontentement, comme si les personnages de cette scène de théâtre prenaient vie, étaient passés de l'autre côté de l'image. Le cinéaste tente par ce biais de faire ressentir au spectateur la composition dynamique de Rembrandt sur cette toile, innovante pour l'époque.
Mais c'est à partir de ce moment du récit que l'on peut déplorer une sur-explication des tenants et aboutissants de La Ronde De Nuit, contrastant avec deux premiers tiers peu clairs au niveau des enjeux. Un déséquilibre scénaristique qui gâche la démonstration de Greenaway, et surtout sa volonté d'attiser la curiosité du public en l'encourageant à aller plus loin que le propos premier des images, à comprendre comment elles naissent.
Après avoir travaillé les signes sur l'image, l'auteur de The Pillow Book mène sa réflexion sur les signes dans l'image, toujours en hybridant plusieurs supports avec talents, et même si le scripte réserve son lot de passages pesants, La Ronde De Nuit méritait tout de même mieux que 31 copies sur le territoire (mais au moins il est sorti, lui).
NIGHTWATCHINGÂ
Réalisateur : Peter Greenaway
Scénario : Peter Greenaway
Production : Kees Kasander, Larry Sugar, Linda James…
Photo : Reinier van Brummelen
Montage : Karen Porter
Bande originale : Wlodzimierz Pawlik
Origine : Canada, GB, Allemagne…
Durée : 2h14
Sortie française : 27 février 2008