L'Attaque Du Requin A Deux Têtes

Les deux de la mer

Affiche L'Attaque Du Requin A Deux Têtes

Pourquoi les requins à deux-têtes enfilent-ils toujours une petite laine anglaise avant un carnage? Parce que le tweed aide chaque attaque.

Maybe there's a shark in the water, chantait la britannique V.V Brown à la fin de l'année 2009.

Mais avec le film de Christopher Ray L'Attaque Du Requin A Deux Têtes, soit Two Headed Shark Attack, stupidement rebaptisé Sharks pour sa prochaine exploitation vidéo dans notre beau pays en octobre, on sait d'avance qu'il y'en a un, à deux têtes, ou deux...à un corps. Christopher Ray ? me direz-vous ! Oui, Ray comme Olen-Ray, Fred de son prénom et papa du metteur en action de cette tragique histoire de requin bicéphale, affamé et colérique. Fred Olen-Ray, l’un des papes de la série B depuis trente ans aux côtés de Jim Wynorski. Fred Olen-Ray, lui-même responsable d’un récent et sympathique Sharktopus, remake inavoué du mirifique Apocalypse Dans L’Océan Rouge, film de monstre italien signé Lamberto Bava au début des années quatre-vingt. Mais l’on doit également à Fred Olen-Ray des titres subtils et émouvants tels que Bad Girl From Mars, Réponse Armée ou L’Invasion Des Cocons, un cinéaste ayant œuvré pour Roger Corman et autres moguls du petit budget californien.

L’hérédité n’étant plus à prouver, il apparaît clair que le fiston a hérité du syndrome paternel  puisqu’à trente-cinq ans, il est déjà l’auteur de Mega Shark Vs. Crocosaurus, Almighty Thor et tout dernièrement Shark Week, y aurait-il une passion pour le squale cachée derrière cette filmographie ?  Non, il s’agit surtout d’une collaboration avec les studios The Asylum, dirigés par David Michael Latt et qui portent définitivement bien leur nom.
Fêtant cette année son quinzième anniversaire, The Asylum est une maison de production spécialisée dans les mockbusters, ces films à tout petit budget surfant sur la vague des squatteurs de multiplexes boursouflés de dollars. On leur doit donc de nouvelles versions de Thor, Blanche-Neige, Battleship, World Invasion : Battle Los Angeles, Transformers et tant d’autres que les énumérer ici serait bien fastidieux.

L'Attaque Du Requin A Deux Têtes
 

Le film d’attaque de requin étant revenu à la mode depuis une grosse dizaine d’années et le Peur Bleue de Renny Harlin, production Warner Bros bancale mais sympathique, même si l'hilarant Cruel Jaws de Bruno Mattéi l'avait précédé en 1994, il n’aura pas fallu longtemps pour que les mentors de Asylum ne décident d’envahir le marché, bien que précédés par d’autres avec la série des Shark Attack et une bonne trentaine de titres sur le sujet qui ont pour caractéristique commune ce grain de folie supplémentaire qui rend les films de The Asylum totalement siphonnés. Ainsi le désormais célèbre Mega Shark Contre La Pieuvre Géante ouvrit les hostilités en 2008, connaissant une suite dans laquelle le poisson géant affronte un saurien de taille monstrueuse. Une deuxième est d’ors et déjà en chantier (Mega Shark Contre Mecha Shark, les amateurs en frétillent d’impatience).

Latt et ses complices prirent la décision de confier à Olen-Ray Jr. la réalisation de leur dernier rejeton aquatique, sur un scénario original de Ed Deruyter, également comédien régulier chez Asylum, et Perry Horton, qui signe aussi le prochain Shark Week du même réalisateur. Pour la petit histoire, il était question à l’origine que le requin mutant à deux têtes ait ces dernières superposées et non juxtaposées sur le corps mais les différents essais d’effets spéciaux se montrèrent peu concluants et l’on décida de mettre les caboches dentées l’une à côté de l’autre.
Affectueusement baptisé Gemi (pour Gemini, jumeaux en latin), le monstre de 2-Headed Shark Attack traîne dans les eaux profondes de l’océan pacifique à la recherche de proies en tout genre. Qui est-il ? D’où vient-il ? La question reste entière car nous n’en saurons absolument rien. C’est un requin, c’est aussi un mutant et il n’est visiblement pas content lorsqu’on s’attarde sur la façon bestiale dont il élimine les imprudents venus se baigner dans son secteur. Son histoire ne nous sera pas contée. Aussi peut-on s’imaginer qu’à cause de sa différence, la bestiole fut rejetée dés l’enfance par ses congénères et fut contrainte d’errer de mers en mers, de vagues en vagues, de récifs coralliens en récifs coralliens jusqu’à comprendre qu’il ne pouvait désormais plus compter que sur elles-mêmes (ces fameuses deux têtes, donc) et affronter l’adversité avec beaucoup de dignité. Notre animal ayant grandi et écumé la planète à la manière d’un David Banner (mais sans piller les cordes à linges, lui), il se pose non loin d’un atoll du pacifique (ce qui est tout de même plus rock'n roll qu’un Pacific sans alcool) tandis qu’un groupe de jeunes et leurs professeurs traînent dans les parages dans le cadre d’études.

L'Attaque Du Requin A Deux Têtes
 

Le jeune, cette étrange espèce que l’on redécouvre chaque jour avec autant de fascination dans le cinéma d’horreur bon marché. Ici, nous avons des étudiants venus étudier (jusqu’ici, tout va bien) la mer et ses secrets à bord du Sea King, un bateau affrété pour l’occasion. Leurs professeurs sont un couple, Anne et Franklin Babish (de Auxerre) qui essayent tant bien que mal de faire cour à une bande de dépravés en tout genre qui ne pensent qu’à s’amuser.  C’est alors qu’une avarie provoquée par le cadavre impromptu d’un requin (probablement une miette du dernier repas de Gemi) venu démolir la coque et les hélices du Sea King contraint le petit groupe, à l’exception des membres d’équipage occupés à réparer les dégâts, à séjourner quelques temps sur un atoll situé non loin du bateau en mauvaise posture.  Ils y découvrent les vestiges d’une civilisation disparue il n’y a sans doute pas si longtemps avant de se rendre compte que l’atoll est sur le point de sombrer dans l’océan par manque de stabilité des coraux qui le maintiennent hors de l’eau. C’est en voulant regagner le Sea King qu’ils découvrent l’existence du requin à deux têtes qui se retrouve devant un somptueux buffet de stéroïdes et de silicone qui ne peut décemment pas le laisser indifférent. Notre poisson va donc entreprendre de se restaurer et d’éliminer par la même occasion ces étudiants fornicateurs et pour la quasi-totalité affaiblis du bulbe.
Car ils sont bêtes, nos jeunes vus par DeRuiter et Horton ! Très bêtes. Les filles sont des bimbos qui ne pensent qu’à leur bronzage, les garçons des sportifs qui ne pensent qu’au bronzage des filles et, hélas, ils sont mal entourés par deux professeurs à la ramasse, un Franklin Babish tatasse (il glisse et se tord la cheville) et son épouse aussi concernée que les étudiantes par son bronzage et qui, tandis que l’équipage du Sea King s’affaire à remettre le bateau en état de marche, va se pavaner en bikini sur le pont du navire pour prendre le soleil. Heureusement, parmi cette faune presque unilatéralement attardée et inconsciente du danger, se trouvent trois jeunes plus futés qui vont tenter de prendre les choses en main au moment du drame. A leur tête, Kate, une blonde tenace qui a une peur panique de l’eau et des requins suite à un drame de son enfance, mais qui va surmonter ses phobies pour venir à bout de la bête gargantuesque et survivre à la submersion de l’atoll. Mais ce ne sera pas du gâteau !

L'Attaque Du Requin A Deux Têtes
 

Tout ceci pourrait paraître bien banal. Certes. Mais c’est sans compter sur l’esprit potache des scénaristes et le je-m’en-foutisme assumé de The Asylum , bien décidé à transgresser les barrières du nanar contemporain en proposant un spectacle vraiment hallucinant, sorte de mètre-étalon de la série Z qui ne triche pas avec son public. 
Car la notion de mockbuster explicite une idée de délire perpétuel. Si les critiques chagrins trouveront le spectacle navrant, les amateurs avertis auront compris que L’Attaque Du Requin A Deux Têtes est une comédie déguisée en film d’épouvante aquatique qui ne prend pas l'eau. Et quelle comédie ! Il y a tant de choses prêtant à sourire et à s’esclaffer franchement dans ce film qu’il serait indécent de toutes les révéler car il faut le voir pour le croire. Mais il est difficile de résister à l’envie d’en dévoiler quelques-unes. Il faut savoir que Gémi possède (peut-être malgré lui) la capacité inouïe de grandir et de rapetisser au gré des fonds marins. Gigantesque comme un megalodon lors des premières minutes où il ingurgite deux surfeuses d’une simple bouchée, il lui arrive de s’adapter à son environnement et ne pas être repéré dans un mètre d’eau ! Et comme deux têtes valent mieux qu’une, Gemi est suffisamment intelligent pour s’attaquer aux piliers de coraux soutenant l’atoll afin que ce dernier s’enfonce plus rapidement dans la mer, lui permettant ainsi de s’emparer des jeunes sans trop avoir à se forcer. Il peut aussi jouer avec ses victimes, comme en témoigne ce passage où un étudiant tombé à l’eau se fait projeté quelques mètres au dessus de l’eau d’un simple coup de queue avant que le squale ne surgisse des vagues pour l’attraper en plein vol ! Enfin, il peut se téléporter d’un endroit à un autre dans un battement d’aileron et surfer sur un tsunami. Ce poisson n’est pas né de la dernière pluie et enterre (ou noie, plutôt) n’importe quel dauphin avec sa prétention. Gemi est un génie.

L'Attaque Du Requin A Deux Têtes
 

Ce qui n’est pas le cas de ses encas, malheureusement pour eux. Cons comme des balais sans brosse, nos jeunes sont incapables de se sortir des situations les moins dangereuses. Incapables de se rendre compte qu’un monstre sous-marin de belle taille nage derrière eux, incapables de mesurer le danger lorsqu’ils vont s’ébattre sur la plage tandis qu’il rôde, incapables de rester simplement à bord d’un bateau. Ils préfèrent sauter à l’eau alors qu’ils se savent poursuivis par le requin… Même les moins stupides d’entre eux n’auront pas la présence d’esprit de regagner la rive et des rochers protecteurs à environ trois mètres d'eux, restant dans l’eau à élaborer un plan foireux (du genre faire une torche avec un t-shirt mouillé et un briquet qui a séjourné dans la mer plusieurs heures) alors que Gemi se rapproche dangereusement.  Nos adolescents ne sont donc pas au meilleur de leur potentiel et le monstre ne va pas gêner pour le leur faire savoir, occasionnant un nombre impressionnant de victimes. Christopher Ray et son équipe se montrent également généreux avec le sang et les débris humains car leur poisson carnivore ne fait pas dans la dentelle lorsqu’il s’attaque aux personnages du film, rappelant par la même occasion la voracité des créatures génétiquement modifiées du Peur Bleue de Renny Harlin.

L'Attaque Du Requin A Deux Têtes
 

Pour rentabiliser un film aussi improbable que  2-Headed Shark Attack, The Asylum s’est assuré la présence au casting de deux soi-disant vedettes, aussi peu chères que le studio a l’habitude d’en caster. Après Ving Rhames, Meredith Baxter-Birney, Jordan Ladd, Mario Van Peebles, Debbie Gibson, Carl Weathers et même Jaleel White (le Steve Urkell de La Vie De Famille, ne faites pas comme si vous n’aviez jamais regardé), David Michael Latt s’offre les services de Carmen Electra et Charlie O’Connell. La première traine sa carcasse refaite d’ex-naïade de Malibu et n’a que très peu de lignes de dialogues, le second joue les héros passant le flambeau. Ils ne sont jamais crédibles un instant en professeurs d’université mais passent bien à l’image. Electra est nulle, O’Connell fait ce qu’il peut mais le fait mal et n’a pas le talent de son frère Jerry, récemment passé de vie à trépas dans le Piranha 3D de Alexandre Aja. A leurs côtés, la jeune Brooke Hogan se montre bien meilleure comédienne même si c’est encore loin d’être gagné tant son personnage est capable du meilleur comme du pire d’une minute à l’autre. Néanmoins, la fille de Hulk Hogan s’en sort mieux que la plupart des autres et fait illusion comme lorsque Kate affronte seule avec une planche de bois le monstre en se plaçant entre ses deux têtes pour éviter d’être dévorée ! David Gallagos, le nerd de service, fait son travail avec attention. Enfin, le reste du casting est exceptionnel et hilarant, le beau gosse Geoff Ward est génial en costaud fourbe et Corinne Nobili fait preuve d’une belle absence d’émotions dans toutes ses scènes, comme s’il ne s’agissait que d’un mannequin de cire mal doublé en post-production !
La réalisation est évidemment à l’avenant puisqu’elle oscille entre le n’importe-quoi et l’amateurisme éhonté. Il faut voir les mouvement de caméra passant d’un personnage à l’autre lors des scènes de dialogues, la présence inopiné d’un membre de l’équipe technique lors d’un passage sur la bateau et surtout un montage hautement aléatoire grâce auquel le surréalisme des séquences est intact, aidé en cela par des effets spéciaux numériques parfois de bonne tenue pour une petite production (420 000 dollars) et un monstre de latex aux dents molles !

L'Attaque Du Requin A Deux Têtes
 

L’Attaque Du Requin A Deux Têtes tutoie les grands du nanar, les Crocodile Fury ou Le Lac Des Morts-Vivants d’autrefois, mais avec cette touche de modernisme latent propre au studio qui l’a produit et distribué. Avec ce genre de film, le second degré est de mise car la volonté pourtant évidente de proposer un spectacle (in)volontairement drôle et pathétique n’est pas toujours perceptible. C’est aussi un film suffisamment autre pour que l’on se pose des questions au terme de sa projection : y a-t-il deux requins à deux têtes ? Un grand et un petit ou Gemi est-il capable de modifier sa taille au gré de ses attaques ? Pourquoi Cole se jette à l’eau alors qu’il est en sécurité sur le hors-bord ? Pourquoi Kate part faire un semestre d’études en pleine mer alors qu’elle est terrifiée par l’eau ? Pourquoi Kristen décide de servir d’appât alors qu’on ne lui a rien demandé ? Et quid du tsunami surgi à l’improviste emportant une bonne partie de l’atoll ?

Tant d’interrogations laissées en suspens permettent différentes interprétations du film de Christopher Ray, qui, à sa manière, pourrait être un cas d’école de cinéma. Et Gemi, notre requin à deux têtes ou nos requins à un corps ? Le reverrons-nous ? Affrontera-t-il le megashark devenu nucléaire dans l’épisode 2 au cours d’affrontements homériques ? Et quels méfaits pelliculés les studios Asylum vont-ils nous infliger dans un avenir proche ? En attendant, précipitez-vous sur 2-Headed Shark Attack, des films comme celui-là, on n’en voit pas assez ! Après, libre à vous de préférer Citizen Kane. Même si les deux films n'ont rien nageoire.

2-HEADED SHARK ATTACK
Réalisateur : Christopher Ray
Scénario : H. Perry Horton & Edward DeRuiter
Production : David Michael Latt
Photo : Stuart Brereton
Montage : Rob Pallatina
Bande originale : Chris Ridenhour
Origine : USA
Durée : 1h28
Sortie française : octobre 2012 (DTV)




   

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