Australia
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- Critique par Nicolas Marceau le 13 janvier 2009
Out of Australia
Outrancier, vulgaire, coloré, hystérique, romantique, flamboyant, musical… Qu’on aime ou pas le travail de Baz Luhrmann, force est de constater que le bonhomme ne s’est jamais illustré pour sa demi-mesure, redonnant à des spectacles considérés comme désuets ou académiques toute leur frénésie populaire.
Une note d’intention affichée dès le premier volet de sa Trilogie du Rideau, le sympathique Ballroom Dancing, qui fustigeait les conventions des concours de danse pour proposer une vision moderne de la danse de salon. En 1996, le frénétique Romeo + Juliette venait rappeler dans le bruit et la fureur que William Shakespeare, avant d’être considéré un grand auteur classique, s’adressait d’abord à un public d’ivrognes et de prostituées. Cinq ans plus tard, le décadent Moulin Rouge fermait la boucle avec brio en dépoussiérant la comédie musicale pour lorgner vers l’opéra ba-rock osé.
Quoi de plus normal que Luhrmann se soit alors mis en tête de livrer une autre trilogie consacrée cette fois aux fresques épiques ? Si l’étape du péplum semble temporairement retardée (sa biographie consacrée à Alexandre Le Grand fut annulée quand Oliver Stone eut le feu vert pour la sienne. Les deux auteurs possèdent d’ailleurs le même goût pour la démesure), il était inconcevable de ne pas en profiter pour enchaîner sur un bon gros mélo comme Hollywood savait en produire à son âge d’or, Autant En Emporte Le Vent en guise de modèle incontournable. Du chef-d’œuvre soit-disant intouchable de Victor Flemming, Australia reprend à peu près tous les ingrédients, les plus essentiels, les plus puissamment mythologiques, de ceux qui parlent à l’inconscient collectif et sont à même de rassembler le grand public dans une sorte de communion sur grand écran. Comme Scarlett O’Hara, le personnage campé par Nicole Kidman perd son mari au début du récit, marquant le début d’un parcours physique et spirituel qui l’aideront à s’accomplir en tant que femme. Comme Scarlett O’Hara, la demoiselle trouvera refuge dans une maison paradisiaque surplombée par l’Arbre de la Vie. A cette occasion, Luhrmann effectue un fondu enchaîné sur le couple enlacé devenant ce fameux Arbre au crépuscule, dévoilant à la fois que l’héroïne puise sa force dans l’Amour en même temps que les évènements tragiques qui se profilent. Tragiques mais surtout historiques puisque la Guerre de Sécession qui servait de toile de fond chez Flemming laisse place ici aux échos de la Seconde Guerre Mondiale, avec le bombardement de Darwin par les japonais en lieu et place de l’incendie d’Atlanta. Ajoutez une séquence de bal avec l’héroïne mise aux enchères et dansant avec le beau mâle au sourire carnassier incarné par Hugh Jackman et vous aurez une idée assez précise de l’hommage total que revendique Australia.
Autant En Emporte Le Vent est d’ailleurs loin d’être la seule référence de l’auteur de Moulin Rouge puisque les rapports amour/haine entre l’aristocrate issue de la ville et l’homme bourru de la nature ne sont pas sans rappeler ceux qui faisaient tout le sel de l’African Queen de John Huston. Mais c’est surtout du côté d’un autre chef-d’œuvre soit-disant intouchable de Victor Flemming qu’il faut aller chercher le coeur d'Australia : Le Magicien d’Oz, le parcours du jeune aborigène Nullah s’apparentant en quelque sorte à celui de Dorothy cherchant son identité avec ses compagnons de voyage avant de comprendre que sa place est chez lui parmi les siens (pour le coup, la morale "il n’y a pas de meilleur endroit que chez soit" est quand même moins tarte que chez Flemming où l’héroïne préférait le monde en noir et blanc avec une méchante vieille femme voulant tuer son chien plutôt que celui coloré et magique de Oz). Pas un hasard donc si le jeune enfant déguste une pomme (du fameux Arbre de la Vie ?) en regardant cette célèbre comédie musicale au cinéma. Pas un hasard non plus si la chanson "Over the Rainbow" revient comme un leitmotiv, apportant une des plus belles séquences du film, quand Nicole Kidman chante son désir de connaître le bonheur d’être mère. Quand on se rappelle que Le Magicien d’Oz fut un des premier film à employer le procédé du Technicolor Trichrome à une époque où le noir et blanc dominait encore tout, difficile de ne pas considérer le nouveau métrage de Baz Luhrmann comme un retour au cinéma de l’émerveillement total et absolu.
Malheureusement, toutes ces bonnes intentions ne suffisent pas à rendre l’ensemble digeste sur la durée. En affichant si consciemment ses références, Baz Luhrmann finit par se prendre les pieds dans le tapi et à sombrer malgré lui dans une auto-parodie un tantinet embarrassante. Pas vraiment la faute des comédiens dont l’apparence bigger than life collent assez bien avec les ambitions du projets (Nicole Kidman est botoxée de partout, Hugh Jackman affiche sa musculature d’icône gay en prenant une douche au coin du feu). Non, ce qui coince dans Australia, c’est d’abord son scénario fourre-tout mixant histoire d’amour glamour, ode à la fraternité des peuples, chevauchée sauvage façon John Ford et contexte historique artificiel comme s’il fallait répondre à un cahier de charges scrupuleux. Certes, les anciennes fresques hollywoodiennes étaient généralement conçues sur ce moule par les studios mais encore fallait-il savoir transcender ces codes. Ce que n’arrive presque jamais à faire Baz Luhrmann, coincé dans sa volonté d’en faire toujours trop. Ainsi, passées les 90 premières minutes fonctionnant plutôt correctement (à quelques morts de personnages secondaires pas émouvantes pour un sous), Australia se retrouve piégé par la résolution de ses enjeux dramatiques. Un peu comme Autant En Emporte Le Vent dont le souffle romanesque s’arrêtait net passé le conflit de la Guerre de Sécession pour foncer tête baissée dans le mélo redondant. L’histoire ne sait plus trop où aller mais le réalisateur souhaite impérativement atteindre les 2h40 de projection, comme si la dimension épique du récit était intrinsèquement liée à la durée du métrage. Alors pour relancer la dramaturgie, il nous assène une scène de guerre si radine en terme d’ampleur qu’on a soudain très envie de revoir l’attaque de Pearl Harbor filmée par Michael Bay. Les personnages sont séparés par les évènements, se retrouvent, s’enlacent et affrontent le vilain méchant ressorti dans la dernière bobine histoire d’instiller un semblant de tragique (mais en fait non, c’était juste du suspens artificiel de mauvais soap). Une heure de rien qui entachent sérieusement les quelques réussites du métrage qui en ressort boursouflé et parfaitement vain. (il se murmure que la Twenty Century Fox aurait exigé que la fin soit modifiée, remplaçant le dénouement tragique initialement prévu par un happy end. Vrai ou pas, cela n’enlève rien aux défauts de la seconde partie du film).
Mais le plus décevant reste certainement la mise en scène de Baz Luhrmann qui, passé un premier quart d’heure supersonique, s’essaie à l’académisme béat. Trop rares seront ses délires kitsch enchanteurs (une séquence de baiser sous l’orage, c’est toujours très beau), comme s’il ne parvenait pas à plier le classicisme de son récit à sa réalisation sous amphétamines. Du coup, on ne parvient pas toujours à saisir si l’humour de certaines séquences est volontaire ou pas. Plus grave : alors qu’on espérait une ode à la beauté de l’Australie, les cartes postale de ce pays magnifique empestent le numérique mal dégrossi, ce qui est toujours embêtant quand on nous promet une fresque se réclamant à demi-mot de David Lean. On passe ainsi de plans larges somptueux sur des décors naturels à une série de gros plans visiblement tournés en studio, avec des acteurs faisant semblant de galoper sur des chevaux mécaniques. L’immersion en prend un sacré coup car si l’idée qu’il s’agisse d’un hommage aux métrages d’antan (dont les fonds verts ne trompent plus personne aujourd'hui) fait illusion un moment, on comprend vite qu’il s’agit surtout d’une post-production bâclée, témoin cette séquence d'un troupeau courant au bord d’une falaise d’une laideur visuelle absolument effarante (en dépit d’une résolution très poétique) ou bien ces navires de guerre à la qualité d’intégration variable selon les plans.
Pétri de bonnes intentions mais plombé par son fétichisme rétro hurlant "Oscars !!!" à chaque plan au détriment des délires habituels de réalisation post-modernes du cinéaste, Australia déçoit. Trop artificiel alors qu’il ne l’est paradoxalement pas assez, trop hollywoodien alors qu’il est réalisé et interprété par des australiens, cette déclaration d’amour à un pays somptueux s’achève sur une phrase du jeune aborigène soulignant la nécessité de raconter des histoires. Si on ne contestera pas cette volonté noble chez Baz Luhrmann, on pourra émettre de gros doutes sur la manière de la raconter. On l’a connu bien meilleur conteur par le passé.
AUSTRALIA
Réalisateur : Baz Luhrmann
Scénario : Baz Luhrmann, Stuart Beattie & Ronald Harwood
Production : Baz Luhrmann & Catherine Knapman
Photo : Mandy Walker
Montage : Dody Dorn & Michael McCusker
Bande Originale : David Hirschfelder
Origine : Amérique - Australie
Durée : 2h35
Sortie française : 24 décembre 2008