Animal Kingdom
La loi de la jungle
Il arrive de temps en temps que d'Australie, ou d'autres pays anglophones, proviennent des films qu'on croirait issus du moule hollywoodien. Animal Kingdom, grand prix à Sundance cette année, en fait partie.
La ruse du film de David Michôd est simple mais parfaitement exécutée : transvaser un fantasme américain – la famille de psychopathes criminels – dans un paysage étranger, commun par la langue. C'est l'illusion première mise en œuvre par le film, qui a su tromper les jurés à Sundance et failli leurrer l'académie des Oscars. C'est une vieille soupe dans un meilleur pot.
Animal Kingdom se déroule à Melbourne de nos jours. Narrée du point de vue de Josh, agneau innocent et témoin de l'histoire, cette trame conventionnelle, filmée en Scope pour le style, use et abuse de codes moraux manichéens et datés. Ceux-ci excluent l'émotion et la sensibilité d'un long-métrage qui se transforme en polar où l'intrigue repose non pas sur la narration mais sur le degré de perversité des protagonistes.
Alors Josh, subterfuge de scénariste à défaut d'avoir une utilité dramatique propre, devient le contrepoint d'une famille dont le sadisme transparaît à chaque séquence, accumulation de vexations et d'actions immorales. Celle-ci finit par positionner le spectateur contre ses membres, contre l'intrigue, contre le film.
Animal Kingdom n'est pourtant pas dépourvu de séquences intéressantes, voire prometteuses (certaines incluant Josh, celles avec la matriarche – interprétée par Jackie Weaver -, la fin). L'introspection de Josh est également une caractérisation bien pensée. Cependant, l'absence de dimension tragique grève en permanence toute dramaturgie fonctionnelle, et même les efforts cabotins de Guy Pearce ne suffisent plus à ramener le spectateur dans un film qu'il a définitivement quitté. C'est que le film australien, en jouant le tout psychologique et la simplification excessive, finit sa course dans un entre-deux amer où se confrontent le film rêvé et l'objet réalisé par David Michôd.
Le schéma global du long-métrage est finalement épuisant par sa dimension caricaturale (même pas assumée) : l'innocence, la désillusion, l'horreur, la culpabilité, le sacrifice, la vengeance morale. Cette suite prévisible et transparente désamorce à elle seule toute adhésion à ce qu'on pourrait appeler cruellement un film de gare.
Nul doute qu'Hollywood s'attachera prochainement les services de David Michôd dans une énième recette de vieille soupe, sûrement un thriller policé et froid, où le peu d'âme qui transparaissait dans cet Animal Kingdom sera depuis longtemps évanoui. C'est que des sirènes puissantes partagent désormais le cinéma entre ceux qui cherchent à le réinventer et ceux qui se contentent de l'imiter.
Et Josh de préfigurer le cinéaste qui reste apathique devant l'imitation qu'il a produite, aliénation de tout un pan de cinéma américain, singerie maladroite de Sidney Lumet, de Jerry Schatzberg, de Michael Mann. Personne n'aime les copieurs.
ANIMAL KINGDOM
Réalisateur : David Michôd
Scénario : David Michôd
Produit par : Liz Watts, Bec Smith & Vincent Sheehan
Photographie : Adam Arkapaw
Montage : Luke Doolan
Musique : Antony Partos
Origine : Australie
Durée : 1h52
Sortie Française : 27 avril 2011