Planète Terreur

Cojones holocaust

Affiche Planète Terreur

Le mal aimé du diptyque Grindhouse, Planète Terreur, en rejouant les séries B déjantées d’antan pour un festival jouissif de contre-culture, réussit il y a trois ans ce que le récent Machete a foiré dans les grandes largeurs. Soit le sommet de la carrière de son auteur, Robert Rodriguez.


Planète Terreur constitue donc l’Everest de Rodriguez, qu’il parvient à gravir grâce à la complicité de Tarantino qui, ici comme pour Une Nuit En Enfer (et peut être Despérado où il tient un rôle ?), oriente, canalise et décuple l’énergie du Mexicain d’origine qui a généralement tendance à se disperser, se perdre dans les autres postes d’une production. Sa propension à vouloir s’occuper de tout (réalisation, scénario, montage, musique, voire même peut-être un jour la vente de pop-corn jusque dans les salles ?) oblitère les enjeux narratifs (Sin City ou plutôt Statique City !) comme esthétiques (les boursouflures visuelles que représentent la série des Spy Kids ou Shark Boy Et Lava Girl). S’il n’arrive jamais vraiment à développer les compétences de ses ambitions, il n’est pas incongru d’affirmer que Rodriguez respire, transpire malgré tout le film d’exploitation.
Ses films parfois montés à la hache foisonnent d'idées rarement exploitées entièrement, prétextes aux sujets les plus casse-gueule ou des concepts aussi improbables qu'un mariachi plus flingueur que mélomane, des extra-terrestres boutés hors de la fac grâce aux propriétés d'une étrange poudre blanche, des espions en culottes-courtes...

Le projet Grindhouse confirme qu’aussi génial et ambitieux soit-il, Tarantino en a l’esprit mais pas la lettre. Plutôt qu’une simple illustration de motifs préexistants, Q.T transcende à merveille les références les plus improbables afin de les intégrer à son univers et servir son propos. La disparition de la patine spécifique (scratch, rayures, images tremblotantes) d’une partie à l’autre de son Boulevard De La Mort est un moyen purement cinégénique de marquer le changement de ton, l’évolution du caractère des personnages féminins et la difficulté pour un cinéma passé à subsister, à résister à la modernité. A contrario, Rodriguez se limite à aller au bout du concept, utilisant les marques de vieillissement de la pellicule de manière permanente, allant même jusqu’à exploiter sa fainéantise légendaire par le biais d’une ellipse aussi folle que géniale à cause d’une bobine entière portée disparue !
Son unique volonté est de fournir des gunfights homériques, explosions dantesques, projection de sang et tripaille en tout genre, relevé de femmes létales, belles et excitantes. Une tambouille finalement plus digeste qu’attendue.

Planète Terreur
 

D’autant que le film regorge de personnages hauts en couleur bénéficiant d'une iconisation outrancière et jouissive (l'entrée en scène de Bruce Willis est un régal), de situations absurdes et scènes mémorables (voir ce que Naveen Andrews prélève et collectionne sur ses adversaires).
Car finalement, à l'instar des films d'exploitations dont il se réclame, l'histoire de Planète Terreur importe peu. Elle est même archi-rebattue : une poignée de survivants doit combattre et survivre à l'attaque de zombies infectés par un virus chimique. C'est définitivement une intrigue prétexte à tous les délires. Et le personnage de Rose McGowan en est une parfaite illustration. Amputée de la jambe droite, elle arbore fièrement in fine un bon gros shotgun.


FEMMES ÉPROUVÉES
L’influence de Tarantino ne se fait pas uniquement ressentir par sa participation, les deux références qui lui sont liées (Ava Gardner et le genre des Women In Prison) et le clin-d’œil appuyé de son compère lorsqu’il filme les deux jumelles baby-sitters en train de se faire les ongles des pieds, cadrant uniquement leurs jambes. Tout comme Boulevard De La Mort, Planète Terreur est une mise à l’épreuve des corps - physiques et cinématographiques – et plus particulièrement celui des femmes.Le segment de Tarantino
est ainsi la parfaite synthèse, tant visuelle que thématique, d'une œuvre entièrement dévouée à la gent féminine. Chez lui, les femmes sont indépendantes, aussi féroces et plus malines que les hommes. Souvent meurtries mais toujours plus aptes à survivre.

Un féminisme réaffirmé de manière pourtant paradoxale puisque tout en jouant, presqu'à la parodie, du fétichisme pour leurs pieds, les femmes sont sublimées par la caméra et des dialogues jubilatoires. Mais quand elles ne servent pas de monnaie d'échange pour un tour de bolide, elles sont réduites en charpie. La scène de l'accident, au lyrisme et à la cruauté mêlés, est l'occasion de détailler sous quatre angles différents les dégâts causés à leurs corps magnifiques. Un film en forme d'hommage paroxystique qui dénote de leur importance croissante dans sa filmographie.

Cette mise à mal, on la retrouve chez son ami Rodriguez.
Outre des acteurs communs – Rose McGowan, Michael Parks, QT himself – Planète Terreur partage la même fascination pour le corps féminin. Sa mise en valeur, par le biais de lap dance et striptease sensuels ou du fantasme absolu de l'infirmière en jarretière, s'accompagne d'une mise à l'épreuve physique. Membres sectionnés chez l'un, remplacés chez l'autre par une jambe de bois, puis une mitraillette. Une apogée mutilatoire qui les renforçe mentalement et rend ces femmes encore plus charismatiques. Une misogynie délétère qu’il s’agit de punir de manière encore plus graphique que celle incarnée par Stuntman Mike.


Planète Terreur
 

Une thématique commune traitée différemment et de manière complémentaire. Bien sûr, c'est d’abord l'hommage aux films ayant bercé leur adolescence qui a présidé à l'élaboration de Grindhouse. Ce fut pourtant un échec commercial cuisant parfaitement incompréhensible car les personnages sont attachants, bien campés, les seconds couteaux au diapason (Mickael Biehn, Tom Savini) et les séquences d'anthologies se succèdent : se frayer un chemin à coups de couteaux tout en évitant les projections de matières contaminantes, les infectés se délectant des tripes des patients et du personnel soignant de cet hôpital basculant en enfer, l'assaut sur le snack où sont réfugiés les survivants, le démastiquage en règle pour s'en échapper... Tout ceci rappelant rien moins que les maîtres Romero et Carpenter.


ROMERO DANS LE VISEUR ET CARPENTER DANS LE R
ÉTRO
Plus encore que La Nuit Des Morts-Vivants de Romero, d'abord modèle à reprendre puis à pervertir, Planète Terreur est définitivement tributaire de John Carpenter.
Une influence décisive et omniprésente car, contre toute attente, Rodriguez étonne par son scénario travaillé, une mise en scène maîtrisée et inventive, enfin au service de l’histoire et non plus ostentatoire et en roue libre.
La musique, les confrontations, l'ambiance crépusculaire, tout renvoie à la maestria de Big John pour mettre en scène un film de siège. Une variation carpentérienne illustrée avec brio par Rodriguez, stigmatisant comme son aîné les autorités : l'armée est responsable de la propagation de virus et il ne faut rien attendre d'une police locale dépassée.
Confrontés aux assauts d'une masse indéfinie et hostile, les survivants doivent se retrancher. En un lieu clos propice à l'exacerbation des tensions internes nées du danger extérieur comme de la badass attitude de l'anti-héros vers qui tous les espoirs convergent.
Et lorsque la situation semble désespérée, les issues condamnées, il est temps de faire exploser les corps comme le décor. Le film de Rodriguez s'avère au final une relecture plutôt convaincante de l'oeuvre du maître. Comme si l'anti-dieu de Prince Des Ténèbres, en se propageant, précipitait un enclavement nécessaire afin de circonscrire la menace, augurant d’une ville-prison digne des Escape From New York / Los Angeles.


Planète Terreur
 

Etrangement, le public américain bouda son plaisir, ne rendant pas justice à la vision des deux compadre. Et si Boulevard De La Mort est sorti rallongé dans nos contrées, c'est bien sur l'aura d'auteur à part de Tarantino que le film fut vendu, Festival de Cannes oblige. Injustement oublié de la campagne promo de son pote, le film de Rodriguez apparaît comme le canard boiteux de la bande. Leurs divergences esthétiques et narratives en font pourtant des films indissociables dans leur démarche de ressusciter ce genre de double-programme. Et leur réception permet de questionner les fondements de la culture dite populaire.


UNE EXPERIENCE CONTRE-CULTURELLE DU CHAOS
En 1996, l'expérience Grindhouse  avait déjà été tentée par les deux compères, Une Nuit En Enfer étant une tentative non avouée. Sauf que sa particularité était de l'expérimenter au sein du même film, sans coupures. La première partie dialoguée est du Tarantino pur jus préparant à l'hystérique seconde partie de l'ami Rodriguez. Planète Terreur s'apparente donc plus à une relecture qu'à un remake. Il joue sur la même dynamique d'une montée en crescendo trouvant sa résolution paroxystique dans un final débridé où les décors comme les corps finissent par exploser. Bardé de zombies-like, de plantureuses créatures féminines et d’effets gore à gogo, il permet en outre de souligner la tendance actuellement à l'œuvre.

Face à une esthétisation de plus en plus conventionnelle, des images numériques de plus en plus lisses et transparentes, Planète Terreur se présente comme une alternative on ne peut plus radicale. Ce n'est sans doute pas par simple pudeur et respect de son aîné (La Nuit Des Morts-Vivants) que les agents contaminant sont nommés infectés. En niant leur nature zombifiée, ils stigmatisent toute une production grand public puisant aux sources du genre tout en refusant d'en assumer l'héritage. Sans doutes les prétentions de Planète Terreur s'avèrent être plus basiques, n'empêche qu'il détonne clairement dans le paysage.
Et s'il est autant marqué d'imperfections à la fois narratives et esthétiques, c'est bien pour rendre compte du lissage formel qui s'opère par ailleurs. Dans ce métrage, pas de digressions ou de réflexions sur la société ou le genre. Pas le temps. Comme si le film, lui-même pris de convulsions, devait lâcher tout ce qu'il a dans le ventre avant de succomber au virus (du conformisme ?). Une façon de nous réveiller et d'échapper au cauchemar de Stepford

Planète Terreur
 

Confronté à des films de genres malmenant les codes et la narration, le spectateur lambda se trouve démuni car incapable d'interpréter ce qu'il voit autrement que par des grilles de lecture obsolètes et hors sujet. Dans le diptyque Grindhouse, la question demeure de savoir comment appréhender ce trop plein de bavardages, ces suites ininterrompues d'outrances visuelles et stylistiques. Le fait que le public américain l'ait boudé est là pour l'attester.
Face à une réalité sculptée à même les codes dans lesquels se complaît son audience, Grindhouse propose une matière brute à (re)définir. Le rejet de ce projet atypique, dans sa longueur comme dans sa forme et son unité est révélateur d'une industrie toujours plus uniformisée.
A noter que le grandiose Mise A Prix participe de la même démarche  : questionner le positionnement d'Hollywood face à des films autres, dont la vacuité apparente ne doit pas masquer une réelle sincérité et un respect des spectateurs.
Le recours à des effets spéciaux à même le plateau (la KNB's touch), à des cascades sans artifices (se sont bien Russel et Zoé Bell au volant ou sur le capot) le singularise, soulignant de fait une emprise du numérique toujours plus croissante (et inquiétante ?). C'était également le but de Zodiac que de s'interroger sur l'hybridation de la réalité avec le numérique. Sous une forme plus classieuse, mais à chacun ses armes, Rodriguez et Tarantino ayant choisi une explosion festive et jubilatoire.

Plus qu'une expérience américaine convoquant la nostalgie d'un âge d'or où les séries B se permettaient tous les excès esthétiques autant que narratifs, Grindhouse se définit comme une exception contre-culturelle américaine dont Planète Terreur est un digne rejeton à défendre.


GRINDHOUSE: PLANET TERROR
Réalisateur : Robert Rodriguez

Scénario : Robert Rodriguez

Production : Robert Rodriguez, Quentin Tarantino, Weinstein Brothers

Photo : Robert Rodriguez

Montage : Ethan Maniquis & Robert Rodriguez

Bande Originale : Robert Rodriguez, Graeme Rivell, Carl Thiel

Origine : USA

Durée : 1H45

Sortie française : 14 août 2007




   

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