L'opération Françothon
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- Analyse par Johan Torquel le 29 octobre 2007
Pour quelques euros de plus...
Il nous avait prévenu le père Sergio ! Hélas trois chefs-d’œuvre n’ont pas suffi… Après nous avoir mis en garde contre la perversité du modernisme, de la perte des idéaux et de la dissolution du sacré, faisant triompher à coup sûr la rationalité étriquée face à l’intérêt spirituel, Leone nous a envoyé un avertissement.
Il Etait Une Fois Dans L’Ouest mettait en scène Charles Bronson. Il ouvrait le bal en tuant trois truands, bouclant ainsi sa trilogie cynico-triangulaire pour nous faire entrer dans la trilogie métaphysico-dialectique. D’un côté vous avez Franck (Henry Fonda), le cow-boy fin de race. Un pied dans le Far West sauvage, un autre dans la société industrielle qui se profile. Il est malin, prévoyant et machiavélo-individualiste. Dans le monde raisonnable et dégageant tout a priori transcendant, où l’individu contrôle tout, Franck nage dans le bonheur.
Mais Franck a un ange gardien. Peu loquace, peu sympathique et doté d’un but inconnu et mystérieux, il arrive à percer les yeux métalliques de Fonda. Que peut bien lui vouloir cet énergumène ? Il veut le faire replonger dans l’ancien monde, celui des hommes, des principes : mais Franck a trempé son caractère de meurtrier en acier trempé dans la boue des intérêts financiers larvés. Leone, plongeant son regard d’artiste dans la société qui se dessine, essayent de nous dire que ce genre de raclures mérite la mort, et qu’il faut faire prévaloir des intérêts supérieurs. Son héros, une entité fantomatique, vient comme un dernier rempart contre l’évolution des choses. Allant contre la dramatisation outrancière à l’anglo-saxonne, prenant son temps, tout son temps, Leone incluait dans la structure dans son film l’humanité qu’il voyait se déliter…
Même schéma dans Il Etait Une Fois La Révolution : Coburn, le mystique, va essayer d’élever Steiger, le bandit sans foi ni loi. Comme dans l’opus précédent, il cache son passé, son but pour mieux devenir un héros anthologique dans le dernier quart d’heure du film. Toujours l’amitié, omni présente, basée sur les principes helléniques aristotéliciens, valeurs supérieures, au centre du film. Mais cette fois, le héros ne repartira pas tranquillement vers un horizon plus sauvage. Leone, poussant d’un cran le désespoir, fait exploser Coburn. Il ne peut plus se payer le luxe de rester en vie… L’idéal doit se consolider dans la mort, se transporter dans le souffle d’un boum de TNT.
Pour clore sa trilogie visionnaire du désespoir, Leone va encore faire marcher l’amitié comme moteur du récit. Il emmène De Niro dans les arcanes de la déchéance, le dépouillant de tous ses biens. A la fin, ses jambes, seulement portées par le résidu d’amitié envers James Wood, l’entraîne dans une réunion. Reniant ses principes sacrés (le judaïsme), Wood est devenu la pétasse ultra-libérale calculatrice, complètement installé dans la peau de nouvel homme, calcul, raison, profit qui fait tant gerber Leone, De Niro et votre serviteur. Pas de victoire glorieuse sur cette mouvance, pas de mort triomphante faisant perdurer la résistance, ici, il n’y a plus rien à faire. Juste à se suicider comme le dernier des étrons dans un camion benne, pour montrer qu’on a bien conscience du stade auquel on est arrivé. Cette prise de conscience sera la marque héroïque de ce dernier film.
Quelle place ont l’héroïsme, la sincérité, la recherche de l’absolu, sur les valeurs du calcul, du financier et du relativisme incessant ?
Elles ont de moins en moins de place pour s’exprimer. C’est ici la lecture sous-jacente que l’on peut faire de cette trilogie humaniste.
Comment peut-on rendre hommage à un artiste de cette envergure ? A quelqu’un qui a pris le chemin boueux de l’âme, nous laissant une œuvre impérissable ?
Comme tous les artistes, il est mort trop tôt, trop tôt pour voir la logique régressive aberrante qu’il dénonçait devenir finalement victorieuse.
Comment moi, petit écrivaillon inconsistant, puis-je essayer de faire perdurer ses efforts ?
Et bien allons y pour le synopsis de Once Upon A Time In France (le titre à l'anglo-saxonne est important).
A ma gauche, j’ai l’anti-héros Leonien : politicien, petit, bavard, plutôt porté sur les lieux communs, sur les costards à rayures. Un seul de ses discours suffit à rendre la totalité du cogito ergo sum cartésien caduque. Il imbrique les lieux communs comme un rubik's cube et quand ça fait tilt, notre anti-héros pense s’être trouvé une philosophie. Nous l’appellerons Trouillot.
A ma droite, le héros Leonien. Plutôt grand, peu affable, du genre "je tempère mes passions et mes plaisirs pour m’élever", motivé par un intérêt supérieur donc, reste à savoir lequel. Tout droit sorti d’une école antique, appelons le Diogène. Quel intérêt supérieur peut-on trouver de nos jours, en 2007, à l’ère de la domination de la praxis ? Et comment le mettre en forme sur une pellicule ?
Réglons d’abord le problème de la forme, c'est-à -dire la nature de l’interaction entre nos deux protagonistes. Diogène viendrait donc du passé de Trouillot pour lui titiller la conscience. S’il n’est pas aisé de faire faire émerger la partie cervicale supérieure chez un cow-boy primitif (Fonda dans Il Etait Une Fois Dans L’Ouest), chez un bandit mexicain débile (Steiger dans Il Etait Une Fois La Révolution) ou chez un gangster orientant sa foi sur l’American Dream (Wood dans Il Etait Une Fois L’Amérique), cela relève de l’exploit avec Trouillot. Les trois heures trente du troisième opus de Leone n’y suffiront pas ! Gageons qu’une saga introspective de six heures sera le strict minimum pour que la crise de conscience d'un hyperbourgeois soit crédible.
Diogène, bien qu’idéaliste n'a pas perdu les nécessités de l'action et se doute que la voie pédagogique sera stérile. Les explosifs de Coburn ne seront pas de trop. Faire comprendre à Trouillot que l’intérêt individuel direct et que le cliché, doublé d’un dialogue putassier, est une insulte à l’héritage politique platonicien et donc à la nation qu'il est censé représenter, va être cossu. Voir impossible.
Trouillot donc, commence à être suivi par Diogène. Sa présence inaltérable, régulière mais incompréhensible suffirait à nourrir chez Trouillot des interrogations les plus existentielles. Il l’aperçoit au premier rang dans ses meetings, immobile, stoïquement assis, un regard chargé de mort. Il utiliserait tous son réseaux d’influence pour répondre à cette question guidant notre film : qui est-il ? Inutile. Comme Fonda dans Il Etait Une Fois Dans L’Ouest, ça le taraude, il cherche dans son passé, remonte dans son enfance (nous pourrions placer des flash-back idylliques sur des envolées morriconiennes, où le petit Trouillot apprend la philosophie avec ses maîtres à penser comme Jabontisky ou Huntington...).
Une quête infructueuse des faits objectifs le conduira vers une quête plus spirituelle, et le guidera dans les arcanes de son être (oui, on peut toujours rêver). Chaque vision de Diogène entraînera une rechute et une remise en cause à chaque fois plus forte de son ontologie. Au bout de cinq heures filmique et cinq ans diégétique, après avoir entraîné son pays dans son complexe d'impuissance autodestructeur, après avoir trahi à la fois l’héritage français, européen, catholique, antique, après nous avoir entraîné dans une phase terminale darwinienne, faisant de son peuple des petites salopes productivistes complètement digérés par leurs intérêts restreints, sous le regard Diogène, Trouillot comprend enfin dans quelle impasse personnelle, civilisationelle et morale dans laquelle il s’est fourré ! Pas assez brave pour provoquer Diogène en duel et s’en prendre une dans le buffet, même pas assez perspicace pour se faire exploser, et encore pas assez lucide pour s’aplatir dans une benne, quelle marge de manœuvre nous reste t’il pour donner à notre personnage une fin digne de ce nom ?
Elle était assez mince à vrai dire, mais elle existe, ne désespérons pas.
Voici la scène : soudain envahi par une joie morale spinozienne, Trouillot livre un dernier discours où il exergue son bon peuple a enfin oser appréhender la complexité du réel ! Hélas, devenus inapte, le regardant avec des yeux de poissons asthéniques, leur cerveau est irréversiblement devenu hermétique à tout ce qui gratte un peu au delà de l’efficiency. Sous les pupilles toujours aussi pesantes de Diogène, Trouillot a cette fameuse crise de conscience idéologique toute Leonienne…
J’ai longtemps réfléchi à un sort au moins aussi digne que celui de Wood et de la benne à ordure. Je n’ai pas trouvé.
Mais après tout, ce n’est pas qu’à moi de juger cela, mais aussi à vous…
Envoyez vos idées pour enfin déterminer et écrire la fin de Trouillot.