La Vague
Tsunami qui vous veut du bien
Une dictature est-elle encore possible dans l'Allemagne d'aujourd'hui ? C'est d'après cette question que La Vague s'engage à nous montrer les rouages de la manipulation, ou plutôt d'une rectification des esprits.
C'est seulement en quelques petits détails qu'un professeur rectifie une classe d'ados moyens. Des détails qui n'ont rien à voir avec le domaine intellectuel, ou émotionnel. Faisons le parallèle avec le cinéma de propagande.
EIN REICH, EIN VOLK, EIN...
De l'Allemagne Nazie au Japon Impérialiste, la propagande s'est appliquée à unifier le peuple derrière un leader. Il est important de noter que les faits et les actions sont plus importants que les idées ou les théories ici. C'est par des codes extrêmement simples que le cinéma de propagande arrivait à communiquer au peuple. Exemple au Japon avec les films de guerre.
Une patrie, c'est des différences évidentes entre régions, que ce soit un dialecte particulier, un accent, des traditions, des riches, des pauvres... Des différences. Parce que l'Armée est une institution qui doit refléter la grandeur de la Patrie, elle efface ces différences en imposant entre autres :
- un uniforme : aucune différence visuelle entre soldats ;
- un vocabulaire type : un mot = une idée précise ;
- une droiture physique et morale : respect de la hiérarchie, de la Patrie ;
Soit un corps militaire unifié, droit, obéissant qui se comprend et s'entend. Au cinéma, un exemple de cet "esprit" à l'oeuvre va être une scène de transmission d'un télégramme pouvant sauver la vie de soldats japonais. La scène respecte l'ordre hiérarchique, chaque soldat passe le télégramme au suivant jusqu'à un haut gradé. Le découpage est rapide, l'enjeu est essentiel. Il est évident que si l'un d'entre eux traîne, désobéit, ou que le télégramme est remis directement à un soldat prêt à l'action - sans passer par un haut gradé - alors le résultat sera catastrophique.
Mais ce n'est pas tout. Pour renforcer l'unité du corps militaire, le cinéma profitera d'un autre moyen : les chants militaires (Toward A Decisive Victory In The Sky, 1943). Lorsque les soldats se mettent vaillamment à chanter, il se produit un miracle : ils chantent tous d'une seule et même voix. Plus de patois, plus d'accents. C'est l'harmonie parfaite ! (1)
Ces films vont donc rassurer le peuple pour qu'il soutienne un corps militaire, lequel fait un avec la volonté du leader, l'Empereur. L'unité par excellence !
LA NOUVELLE VAGUE
Du côté de nos lycéens allemands, et du prof anarchiste über-cool, le mécanisme de rectification commence par la réorganisation de l'espace. On passe d'une salle bordélique à une salle de classe impeccable avec tables bien alignées. Ensuite, il rétablie la hiérarchie, il n'est plus un bon pote, mais un professeur que l'on écoute, que l'on respecte.
Puis, il injecte une dose d'ordre pour amener une modification au niveau corporel (la droiture) et du langage (expression des idées). Quand les élèves veulent s'exprimer, ils doivent une règle : lever la main, attendre le signe du professeur, se lever et répondre de façon claire et précise.
Avec des exercices physiques - bouger les bras, marcher d'un seul pas - les élèves vont se ré-approprier l'espace, prendre confiance, et surtout commencer à s'unir. À noter que les réticences sont facilement effacées, pour légitimer ces exercices bruyant autant dire qu'il y a un prof détesté par tous dans la salle du dessous. C'est amusant, et ça consolide le groupe.
De même lorsque les élèves ont des places assignées, les moins bons sont avec les plus bons. Mais attention nous dit-on, il n'y a pas de cancres ou de mauvais élèves. Ainsi chacun trouve une place, une considération, et un rôle - voir la répartition des ateliers. Le tout achevé par le port d'un uniforme, et la création d'un signe commun. La Vague est née.
D'une façon totalement mécanique, en utilisant les outils basiques que sont le langage et l’expression corporelle, les lycéens comme les soldats se retrouvent enfermés dans un sentiment illusoire de suprématie. Et dans les deux cas, le retour à la réalité fait très mal.
(1) Ces codes seront détournés par des cinéastes qui montreront des paysans à la peau burinée, et ridiculiseront le protocole militaire : voir Kobayashi Issa (1941), Feux Dans La Plaine (1956), Japan's Longest Day (1968), Under The Flag Of The Rising Sun (1972)...
Sur le cinéma de propagande, lire Une Histoire Mondiale des Cinémas de Propagande.
DIE WELLE
Réalisateur : Dennis Gansel
Scénario : Dennis Gansel & Peter Thorwarth d'après le roman de Todd Strasser
Production : Nina Maag, Christian Becker, Martin Moszkowicz
Photo : Torsten Breuer
Montage : Ueli Christen
Bande originale : Heiko Maile
Origine : Allemagne
Durée : 1h47
Sortie française : 4 mars 2009