Jeremiah Johnson
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- Analyse par Pierre Remacle le 4 juin 2008
Wild thing
"Freedom’s just another word for nothin’ left to lose."
Me And Bobby McGee - Kris Kristofferson
Un homme seul. Il en a assez de la guerre. Il en a assez de la "civilisation". Il veut autre chose. Pour trouver cet "autre chose", il s’en va. Loin des hommes. Loin des conflits. A cette époque (1850), les endroits sauvages sont encore nombreux : la montagne fera l’affaire. L’apprentissage de la vie de trappeur n’est pas facile. Le vent. Le froid. La faim. La solitude. Mais notre homme n’est pas de ceux qui renoncent. Lentement, comme deux vieux adversaires, la montagne et lui apprendront à se respecter l’un l’autre. L’homme y trouvera un mentor. Un ami. Un fils. Une femme. Il s’y construira une maison. Un bonheur. Mais il y découvrira aussi la douleur. La fureur. La vengeance. La liberté.
Approchez-vous du feu. Ecoutez.
Ecoutez la légende de l’homme de la montagne.
Ecoutez la légende de Jeremiah Johnson.
HORIZONS LOINTAINS
"Le paysage morne, infiniment désolé, qui s’étendait jusqu’à l’horizon était au-delà de la tristesse humaine. … Là, l’éternité, dans son immense et insaisissable sagesse, se moquait de la vie et de ses vains efforts."
Croc-Blanc - Jack London
Par quoi commencer ?
On se sent un perdu devant un tel film. On est aussi démuni que le personnage de Jeremiah lorsqu’il découvre les rigueurs de sa nouvelle vie. Rien ne peut préparer à tant de beauté, à tant de questions sur soi-même. Ce film est comme une montagne qu’il nous faut conquérir. Mais pour cela, il nous faut d’abord la comprendre. Cela ne sera pas facile. Personne n’a jamais dit que cela le serait. Mais si Jeremiah y est parvenu, pourquoi pas nous ?
Ce film nous parle d’un désir éternel. Un désir qui a toujours été le moteur de l’Homme. Un désir qui nous a poussé à nous lancer sur l’océan inconnu. Un désir qui nous a même fait aller sur la lune. Aller plus loin. Aller au-delà. Aller là où l’homme ne s’est pas encore rendu. Là où il n’y a pas encore de routes. Là où il n’y a pas de guerre. Là où il n’y a pas encore de religions ni d’églises.Aller là où seule la liberté sépare le ciel de la terre. Découvrir ce qu’il y a derrière la dernière frontière.
Pour Jeremiah Johnson, ce désir l’emmène vers la montagne. Un endroit à la fois inhospitalier et accueillant. A la fois sans pitié et protecteur. Un endroit qui vous dépouille tout en vous rendant plus fort. Qui donne tout à celui qui ne demande rien.
Respirer un air si pur qu’il fait mal. C’est comme respirer pour la première fois. Comme naître. On pourrait considérer cette démarche comme un "retour à la nature", mais cette idée est inexacte. La notion de "retour" implique que l’on revient vers quelque chose, ou quelqu’un, que l’on a quitté. Or, la nature ne nous a jamais quitté. Elle est derrière nous. Elle est devant nous. Elle était là avant. Elle sera là après. Elle nous attend depuis toujours. En allant à sa rencontre, Jeremiah n’effectue pas de "retour", non. Il ne regarde pas vers le passé, comme on pourrait trop facilement le croire. Au contraire : il devance la multitude des hommes (voir la famille de pionniers que Jeremiah rencontre à la fin du film). Il leur ouvre le chemin.
Il répond à "l’appel". Il se souvient de ce qu’il est.
L’ETOFFE DES HEROS
"How many years can a mountain exist
Before it’s washed to the sea ?
Yes, ‘n’ how many years can some people exist
Before they’re allowed to be free ?”
Blowin’ In The Wind - Bob Dylan
Trois noms. Trois hommes.
Un pour l’écrire.
John Milius. Un homme extrême, aux idées qui ne le sont pas moins. Mais aussi un homme dont l’efficacité d’écriture est, dans son registre bien particulier, quasiment sans égale. Un homme qui a démontré à de nombreuses reprises sa maîtrise du pouvoir de l’image et de l’icônisation. Et surtout, surtout, un homme hanté. Par l’humanité. Par la vie. Et par-dessus tout, par l’idée de Liberté. Que rêver de mieux pour un film tel que celui-ci ? Nous y reviendrons.
Un pour le réaliser.
Sydney Pollack. A l’époque, c’est déjà un réalisateur reconnu (en 1970, il est nominé aux Oscars dans la catégorie meilleur réalisateur pour They Shoot Horses, Don’t They ?). Il s’impliquera profondément dans la réalisation de Jeremiah Johnson, allant jusqu’à hypothéquer sa propre maison pour obtenir des fonds et ainsi compenser le dépassement de budget qui menaçait toute la production. Combien de réalisateurs en feraient autant de nos jours ? Notons que la réussite artistique indiscutable de Jeremiah Johnson est d’autant plus remarquable que ce film a été mis en boîte avec un maximum de deux prises par scène. Jeremiah Johnson sera d’ailleurs nominé à la Palme d’Or à Cannes en 1972, mais ne remportera malheureusement aucun prix.
Un pour l’interpréter.
Robert Redford. Est-il encore besoin de le présenter ? Le beau mec par excellence. Un des "enfants chéris" d’Hollywood. En 1969, il explose avec Butch Cassidy And The Sundance Kid. Jeremiah Johnson sera le film de la confirmation. Ce film sera l’occasion pour lui de retrouver son vieil ami Sydney Pollack, aux côtés duquel il a tourné son premier film (War Hunt, 1962) et sous la direction duquel il a figuré dans l’aussi mélancolique qu’excellent This Property Is Condemned (Propriété Interdite, 1966). Le succès de cette collaboration ne se démentira pas au fil des années, Redford et Pollack tournant pas moins de sept films ensemble dont The Way We Were, Havana, Out Of Africa, etc. On n’aurait pu choisir meilleur acteur pour interpréter Jeremiah. Sobre, habité, refusant tout glamour dans son apparence, Redford n’est plus Redford. Il EST Jeremiah Johnson. Mais, bien plus qu’une incarnation physique, c’est dans l’esprit même de Redford que l’on retrouve toute l’essence du personnage de Jeremiah Johnson.
"There's plenty of room to roam and be alone with nature. That's living. The city life is merely existing”. Ce genre de déclaration, de profession de foi, parle d’elle-même. Redford a trouvé son personnage. Jeremiah a trouvé son enveloppe corporelle. Précisons enfin pour la bonne bouche que le film a été tourné dans le magnifique Parc National Zion, dans l’Utah. C’est dans cet état que Redford s’est installé et a fondé son célèbre festival de cinéma de Sundance. La boucle est bouclée.
Trois noms. Trois hommes.
Un film pour les réunir.
Un film pour les trouver.
Un film pour les amener tous et dans la légende les lier.
JEREMIAH LE BARBARE
"Tuer ma famille, abattre ma maison et violer le temple sacré de mon enveloppe charnelle… Comprendras-tu enfin à quel point c’est futile ?"
Hellboy – Au Nom Du Diable - Mike Mignola
En effet, à la vision de Jeremiah Johnson, il est très difficile de ne pas songer à cet autre chef-d’œuvre ultime qu’est Conan Le Barbare. Et ce n’est pas un hasard si derrière ces deux films on retrouve la même personne : John Milius. Pour le screenplay de Jeremiah Johnson, Milius se basera sur le roman de Vardis Fischer Mountain Man ainsi que sur la légende du montagnard Liver-eating Johnson ("Johnson le dévoreur de foie").
Si le rôle de Milius s’est limité à celui d’écriture pour Jeremiah Johnson (et encore, son screenplay sera remanié), on peut néanmoins discerner dans ce dernier film des thématiques que Milius continuera à développer dans son magnum opus de 1982. Citons par exemple le point de vue sur la religion. Dans Conan, la secte du grand méchant Thulsa Doom apporte l’oubli et la mort à ses fidèles. De même, dans Jeremiah, Milius déconsidère grandement l’idée de religion : ainsi, celle-ci est présentée comme une mauvaise chose, rabaissant l’homme, l’entravant et lui spoliant sa liberté innée. On le voit à travers l’étonnement que manifeste Jeremiah lorsqu’il se rend compte que la tribu indienne des Flatheads a été évangélisée. De même, Jeremiah ne se privera jamais de pester contre les prières et autres "bondieuseries" récitées par Cygne, son épouse indienne. Le clou est une fois de plus enfoncé lors du tournant du film : un détachement de l’armée régulière est mandaté pour secourir des pionniers coincés dans la montagne mais a besoin des talents de guide de Jeremiah pour arriver à temps. Un révérend fait partie du détachement et est représenté comme quelqu’un de méprisant envers les croyances des indiens. Il se servira même de la religion comme outil de chantage pour convaincre un Jeremiah hésitant de leur servir de guide ("Ce sont des chrétiens, comme vous !").
Néanmoins, le point de vue de Milius sur la religion n’est pas univoque. Ainsi, le premier mot d’homme libre que Conan dira, juste après avoir rompu ses chaînes d’esclaves, sera celui de son dieu ("Crom !"). De la même manière, la seule parole que pourra émettre Jeremiah devant la beauté indicible et pure du corps nu de son épouse Cygne sera une injonction au créateur ("Bon Dieu !"). Et au fond, que dire d’autre lorsqu’une jolie femme s’offre à vous ? Il y a également le surnom que Griffe d’Ours, le mentor de Jeremiah, donne à ce dernier : "pèlerin". Car Jeremiah recherche la liberté, seule religion que de tels hommes reconnaissent.
De là, nous arrivons à une autre idée "miliusienne" : l’homme vrai est un "sauvage", un "barbare" (le qualificatif de Conan est tout sauf innocent) au-delà des lois, au-delà de l’autorité humaine. Un être sur lequel rien ni personne n’a de prises. Sans attaches, sans autre famille ni maison que celles qu’il se fabrique lui-même (ainsi, Jeremiah construira sa demeure de ses propres mains). Un homme qui se fait tout seul.
Un homme qui de par ses échecs et ses réussites avance vers la liberté.
Et à travers celle-ci, devient éternel : l’autel dressé par les indiens Crows célébrant leur adversaire Jeremiah est l’aboutissement matériel de cette idée. La tagline du film en est une autre illustration : “some say he’s dead… some say he never will be". Tagline que nous retrouvons exprimée presque telle qu’elle par un pionnier que rencontre Jeremiah vers la fin du film : "Certains disent que vous êtes morts à cause de ça. D’autres que vous ne mourrez jamais à cause de ça."
D’autres points communs entre Conan et Jeremiah sont discernables. L’idée selon laquelle les morts nous guident : Conan prendra son épée des mains du squelette d’un souverain mort depuis longtemps, tout comme Jeremiah trouvera son fusil dans les bras d’un trappeur (Jack la hachette) mort de froid. Il y a également le concept que les morts nous avertissent : la Terre des esprits de Conan est une réadaptation du cimetière des indiens que Jeremiah profanera en guidant le détachement de sauvetage. Cette scène est d’ailleurs la seule de tout le film que l’on pourrait être tenté de considérer sous un aspect fantastique. Jeremiah a accompli sa "mission". Il revient vers sa famille. Il retraverse le cimetière indien. Il s’arrête. C’est le silence. Et là, il regarde les sépultures. QUELQUE CHOSE se passe. On le devine. Jeremiah le sent obscurément. Il sait que quelque chose ne va pas. Et tout d’un coup, il comprend. Instinct ? Sens animal ? Compréhension fusionnelle de la nature de la vie de la montagne ? Comment savoir ?
Il y a également cette représentation du feu purificateur, pour incinérer l’amour perdu de Conan et de Jeremiah. Et la rencontre du héros avec celui qui deviendra son ami : le futur compagnon d’aventures de Conan, Subotaï, est enchaîné et condamné à nourrir les loups là où Jeremiah rencontrera Del Gue, un autre trappeur, enterré vivant. C’est ce même Del Gue qui dans sa profession de foi finale traduit le mieux toute la pensée, toute la conception de la vie que Milius a inscrite par le feu et le sang dans ses films.
"These here is God’s finest sculptings !
And there ain’t no laws for the brave ones!
And there ain’t no asylums for the crazy ones.
And there ain’t no churches, except for this right here!
And there ain’t no priests excepting the bird.
By God, I are a mountain man, and I’ll live ‘till an arrow or a bullet find me.
And then I’ll leave my bones on this great map."
Tout est dit.
HARD LAND OF LIBERTY
"Je peux le dire d’après ta façon de marcher. Tu n’es pas encore fatigué. Peut-être que tu attends quelque chose au bout ?"
Sur La Route De Brighton - Richard Middleton
La "civilisation". On la célèbre. On la loue. Mais en définitive, que nous donne t’elle ? Jeremiah a fait ses comptes et apparemment, le résultat n’est pas probant.
Des malheurs. Des guerres (au début du film, Jeremiah porte quelques habits trahissant son passé militaire… chose que Griffe d’Ours ne manque pas de remarquer). Il n’a pas de femme. Pas d’enfants. Même la dernière chose qu’il réclame avant de se retirer sur la montagne, un fusil calibre 50, il ne peut l’obtenir et doit se contenter d’un calibre 30. Le message est clair : la "civilisation" ne nous donne jamais ce qu’on veut. Et donc, Jeremiah part dans la montagne.
Et là, il redécouvre ce que nous avons eu tout le temps d’oublier, ce que nous faisons tout pour oublier : que notre corps est notre seule véritable maison. Qu’en fin de compte, nous sommes toujours seuls. La survie dans un milieu hostile ne s’apprend pas facilement. Ainsi, l’emplacement que choisira Jeremiah pour allumer son premier feu sera mal choisi : sous une branche enneigée. Mais peu à peu, à travers la souffrance de la faim et du froid, Jeremiah comprend. S’adapte. Sous la houlette débonnaire de son mentor, le trappeur Griffe d’Ours, Jeremiah retrouve une sagesse millénaire, ancestrale, qui court dans nos veines. Sa barbe pousse. Il pêche avec ses mains, dépèce ses prises lui-même. Il troque. Il communique par des actes et non par des paroles. Car celles-ci n’entraînent que mensonges, trahisons, manipulations. Et d’ailleurs, les seules personnes avec qui parler sont des indiens, et il ne connaît pas leur langue. Il apprend qu’on ne triche pas avec la montagne : si on ne respecte pas ses règles, si on ne respecte pas la terre, celle-ci vous mange (illustration avec Del Gue enterré vivant). Il devra retrouver sa faculté d’émerveillement : devant la nature, devant un faucon ("Regarde, un faucon. Il va au MusselShell. Il me faudrait une semaine de cheval pour y arriver et lui… Bon Dieu, il y est déjà."), devant une femme nue ("Bon Dieu !").
Jeremiah est comme un homme innocent, qui doit découvrir une nouvelle vie.
Ainsi, il ne comprend même pas la valeur des cadeaux qu’il fera aux indiens : il s’attirera (dans un premier temps) l’amitié du redoutable chef des indiens Crows, Peint-sa-chemise-en-rouge, grâce à des peaux de bêtes qu’il lui offrira. De même, il donnera en présent au chef des indiens Flatheads les scalps d’indiens qu’il a tué en compagnie de Del Gue. Ces cadeaux considérés comme somptueux selon une loi de la montagne qu’il ne connaît pas encore très bien, Jeremiah les donne sans arrières pensées.
Et à lui qui ne demandait rien, la montagne lui donnera tout.
Tout d’abord, un fusil calibre 50. Juste celui qu’il voulait. Des amis : Griffe d’Ours, Del Gue. Un fils (adoptif, certes) : Caleb. Une femme: l’indienne Cygne. En l’épousant, il épouse la "sauvagerie" à peine civilisée. Il épouse son pays. Il épouse une nature qui s’offre enfin à lui. Une immensité.
Son fils et son épouse : aucun ne parle la langue de Jeremiah. Caleb est muet et Cygne ne parle que sa langue propre. Jeremiah va donc les nommer, comme les premiers pionniers ont à leur arrivée baptisé les montagnes, les lacs et les rivières qui n’avaient pas encore de noms.
Une fois Jeremiah responsable d’une famille, le temps de la sédentarisation arrive pour lui. Il repère un endroit confortable et décide de s’y installer avec sa famille. Il fabrique une maison et donne un abri aux siens. Il parle avec sa femme (et, on s’en rend compte, il a appris son langage). Il joue avec elle et son fils. Il coupe sa barbe : veut-il par ce geste ressembler d’avantage aux indiens (qui n’ont pas de barbes) et par là plaire à sa femme ? D’ailleurs, pas besoin de dialogues. Pas besoin d’explications. Tout l’amour entre Jeremiah et Cygne se traduit par des gestes simples et naturels. Pas besoin de baisers démonstratifs, ni de scènes de coucheries. Cygne qui fabrique le vêtement de peau de Jeremiah. Une caresse douce de Jeremiah soigné par Cygne. Un regard intense et brûlant de fierté lorsque cette dernière observe son époux. Voilà des scènes contenant toute la tendresse du monde. De même, lorsque Jeremiah veut aller aider Del Gue à récupérer ses affaires aux indiens qui les lui ont volées, Caleb ne dit rien mais serre fort son père adoptif dans ses bras pour le retenir. L’idée est là : l’amour pur et simple se transmet par des gestes. Pas par des paroles.
Et enfin, lors d’une chasse, Jeremiah est attaqué par une meute de loups. Il les tuera, sans tirer un seul coup de fusil. Jeremiah y est arrivé : il est un véritable trappeur. Ce statut d’homme de la montagne passe également par une perte progressive de la notion du temps. Il ne se repère plus via un calendrier, mais via le temps qu’il fait, via l’écoulement des saisons. Son cycle est devenu "animal" et non plus humain. La discussion que Jeremiah tient avec Griffe d’Ours à la fin du film le prouve encore. Est-il plus grande preuve de la fusion entre Jeremiah et la nature elle-même ?
LA MONTAGNE DU DESTIN
"Elle est de pierre. Les cœurs s’y brisent. Mais je l’aime."
La Colline Aux Suicidés - James Ellroy
Alors arrive le tournant. Jeremiah accompagne le détachement de sauvetage et, malgré ses réticences initiales, lui fait traverser le cimetière indien. Cette profanation ne restera malheureusement pas impunie. En rentrant chez lui, Jeremiah voit sa famille massacrée : Cygne et Caleb ont été assassinés par des indiens Crows, la même tribu du terrible Peint-sa-chemise-en-rouge. Après une nuit de deuil et de réflexion auprès des corps de ses aimés, Jeremiah quitte définitivement le lieu de son bonheur passé. Il berce une dernière fois les corps de son épouse et de son fils dans leur lit, puis met le feu à sa demeure.
Sa croisade a commencé. Elle sera sans fin.
Il piste très vite le groupe d’indiens qui a assassiné sa famille. Et Jeremiah les massacre. Il n’est plus l’homme "innocent" que l’on a appris à connaître au fil du film. La prestation de Redford a cette occasion est totalement saisissante : effrayant, sans la moindre once de pitié, Jeremiah semble inexorable. Il n’a plus de cœur : on le lui a pris. D’ailleurs, un accroc a été fait à sa chemise juste à cet endroit : la symbolique coupe le souffle. La scène de tuerie également. Et Jeremiah arrive devant le dernier indien qui se sait condamné. Ce dernier tombe alors à genoux et se met à chanter. Au-delà des mots, cette scène dépasse encore en intensité tout ce que l’on a pu précédemment voir. Atteignant une dimension presque métaphysique, on ne peut que contempler et écouter cet indien chantant sa propre fin, communiant une ultime fois avec la nature et reliant à jamais victime et coupable dans le sang et la mort.
Jeremiah le laissera partir. Sa vengeance se portera désormais sur l’entièreté de la tribu qui a détruit sa vie : les Crows.
Jeremiah Johnson est devenu une incarnation de Némésis. Nouveau Juif errant, sorte d’Ahasvérus des montagnes, il est invulnérable. Tout comme la montagne est "la moelle épinière du monde", ce que rien ne peut briser, Jeremiah est devenu immortel. Eternel.
La tribu des Crows enverra régulièrement des redoutables guerriers pour l’abattre.
Peine perdue. Jeremiah les vaincra tous.
Blessé, il survit.
Noyé, il respire à nouveau.
Brisé, il marche.
A son ixième combat, à sa ixième victoire, il hurle.
Il est chez lui. Non. Il est, tout simplement.
Jeremiah est donc devenu aux yeux des indiens aussi sacré que la nature elle-même. Les crows lui érigent même une sorte d’autel-mausolée, consacrant à la fois sa mort qu’ils désirent (et ne peuvent obtenir) et sa vie éternelle. Au début du film, les indiens étaient la nature par rapport à Jeremiah l’homme. Le rapport s’inverse à la fin, Jeremiah devenant la personnification d’une nature indomptable brisant les indiens/hommes qui tentent les uns après les autres de le vaincre.
Bien plus qu’un film, Jeremiah Johnson est un conte. La voix off ouvrant le film en est une illustration. On nous apprend, comme à des enfants, ce qu’est la nature. Ce qu’est le travail. Ce qu’est la mort. Ce qu’est l’amour. Ce qu’est la vengeance. Ce qu’est la vie. Ce qu’est un bon père, un bon mari. Bref, on nous apprend à devenir un homme. Récit initiatique ? Oui. Mais c’est nous qui sommes initiés.
Et comme une image vaut mieux qu’un long discours, le film nous quitte sur une vision d’une beauté suprême, presque hors de ce monde et du prochain.
Jeremiah Johnson, seul, presque aveuglé par le coucher de soleil, regarde l’horizon et cherche à saisir de la main la montagne qui se dresse devant lui. A-t-il terminé son voyage ?
Non, il ne fait que commencer.
JEREMIAH JOHNSON
Réalisateur : Sydney Pollack
Scénario : John Milius, Edward Anhalt & David Rayfiel d'après une nouvelle de Vardis Fisher
Production : Joe Wizan, Mike Roder & John R. Coonan
Photo : Duke Callaghan
Montage : Thomas Stanford
Bande originale : Tim McIntire & John Rubinstein
Origine : USA
Durée : 1h48
Sortie française : 1972
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